L'enjeu institutionnel des rites funéraires convoque la communauté à manifester son rapport culturel à la mort comme interdit majeur, c'est-à-dire: comme ce qui doit ne pas s'intégrer dans l'existence. Les rites funéraires sont une protestation, un rappel du refus de la mort, réalité dont on doit maintenir son caractère insensé et mystérieux, voire même terrifiant et insupportable. La mort ne doit disparaître ni comme signe de l'innommable et de l'impensable rupture, ni comme signe de l'invisible des morts qui n'ont plus de visage, ni comme signe de l'incertitude d'un inaccessible avenir.
«Le rejet de la mort est une attitude universelle», écrivait Louis-Vincent Thomas. Il n'y a pas de sociétés «primitives», de communautés premières ou d'époques d'autrefois, qui permettent d'établir une «nature» des attitudes devant la mort, comme si cette nature devait nécessairement porter à la compréhension d'un fait biologique auquel les cultures n'apporteraient que le supplément imaginaire de significations compensatoires. [,,,]
L'enjeu institutionnel des rites funéraires ne consiste donc pas seulement à se débarrasser élégamment du cadavre ni à calmer la tristesse des survivants. Il ne s'agit pas que d'une théâtralité compensatoire autour d'une boîte ou que d'un émouvant adieu. Ou pour le dire autrement, la culture d'une société ne se borne pas à la manoeuvre de certains sentimentalismes. Essentiellement la ritualité funéraire convoque le groupe devant la limite de la mort, et ce faisant oblige au rappel des interdits majeurs qui fondent l'humanité. Parce qu'on ritualise la mort, on ne l'accepte pas davantage. [...]
Et ce que la ritualité funéraire met humainement en scène, c'est la limite du visible à quoi la vie humaine elle-même ne se résume pas. [...] Mais le long travail d'une mémoire qui ne retient jamais tout, qui oublie, et qui trouve son dynamisme dans l'obligation symbolique de la séparation [...], se construit dans une ritualité qui oblige à mettre en scène l'invisible. [...]
Si la ritualité funéraire peut se vivre comme l'occasion d'une ultime relation, elle ne fournit jamais à strictement parler d'une ultime relation. Plutôt s'agit-il du début d'une non-relation, dont on ne peut jamais s'accommoder sans passer par la mise en forme culturelle d'un rapport à l'invisible. [...]
La communauté des vivants s'affronte à la mort par l'intermédiaire d'un mort qui n'est plus celui qu'on a connu. Et c'est donc une rupture, un saut infranchissable [...] devant quoi la communauté des vivants se rassemble. Aujourd'hui tout semble devoir se passer comme si la rupture devait être amoindrie, comme si le saut n'était pas déjà accompli du défunt hors de la société des vivants [...].
Aujourd'hui l'expert en rituels vous bricole à partir de la vie banale et des grands rituels du passé toutes sortes de menus intermédiaires. Et l'on pourra dire que le service rendu est appréciable puisqu'il s'agit de ritualiser coûte que coûte. Mais essentiellement ce que la carte du prêt-à-ritualiser propose, c'est du relationnel, alors que la ritualité traite avec l'impossibilité de la relation, ou c'est la continuité alors qu'il s'agit de discontinuité. [...] On fabrique de la convivialité entre survivants, de la réunion de vivants autour du défunt comme «encore-là», tout en donnant à comprendre qu'il n'y est plus [...].
Comprendra-t-on que la ritualité funéraire n'est pas simplement l'affaire des vivants devant «la mort», mais qu'elle présentifie de manière complexe les morts devant les vivants.
L'enjeu institutionnel des rites funéraires ne consiste donc pas seulement à se débarrasser élégamment du cadavre ni à calmer la tristesse des survivants. Il ne s'agit pas que d'une théâtralité compensatoire autour d'une boîte ou que d'un émouvant adieu. Ou pour le dire autrement, la culture d'une société ne se borne pas à la manoeuvre de certains sentimentalismes. Essentiellement la ritualité funéraire convoque le groupe devant la limite de la mort, et ce faisant oblige au rappel des interdits majeurs qui fondent l'humanité. Parce qu'on ritualise la mort, on ne l'accepte pas davantage. [...]
Et ce que la ritualité funéraire met humainement en scène, c'est la limite du visible à quoi la vie humaine elle-même ne se résume pas. [...] Mais le long travail d'une mémoire qui ne retient jamais tout, qui oublie, et qui trouve son dynamisme dans l'obligation symbolique de la séparation [...], se construit dans une ritualité qui oblige à mettre en scène l'invisible. [...]
Si la ritualité funéraire peut se vivre comme l'occasion d'une ultime relation, elle ne fournit jamais à strictement parler d'une ultime relation. Plutôt s'agit-il du début d'une non-relation, dont on ne peut jamais s'accommoder sans passer par la mise en forme culturelle d'un rapport à l'invisible. [...]
La communauté des vivants s'affronte à la mort par l'intermédiaire d'un mort qui n'est plus celui qu'on a connu. Et c'est donc une rupture, un saut infranchissable [...] devant quoi la communauté des vivants se rassemble. Aujourd'hui tout semble devoir se passer comme si la rupture devait être amoindrie, comme si le saut n'était pas déjà accompli du défunt hors de la société des vivants [...].
Aujourd'hui l'expert en rituels vous bricole à partir de la vie banale et des grands rituels du passé toutes sortes de menus intermédiaires. Et l'on pourra dire que le service rendu est appréciable puisqu'il s'agit de ritualiser coûte que coûte. Mais essentiellement ce que la carte du prêt-à-ritualiser propose, c'est du relationnel, alors que la ritualité traite avec l'impossibilité de la relation, ou c'est la continuité alors qu'il s'agit de discontinuité. [...] On fabrique de la convivialité entre survivants, de la réunion de vivants autour du défunt comme «encore-là», tout en donnant à comprendre qu'il n'y est plus [...].
Comprendra-t-on que la ritualité funéraire n'est pas simplement l'affaire des vivants devant «la mort», mais qu'elle présentifie de manière complexe les morts devant les vivants.