Pour la biographie de Joseph Conrad, consulter:
http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Joseph_Conrad
«Comme dans les mythes qui décrivent le cosmos, [...] le récit de Joseph Conrad, intitulé , sépare nettement les mondes. Il y a d'un côté la Terre, de l'autre, la Mer. La Terre est un monde d'êtres compliqués, sédentaires, bureaucratiques, évoluant dans des décors limités et stéréotypés, le Foyer et le Bureau. [...] Et il y a la Mer. C'est le Lieu de la libre aventure, de la contemplation des horizons infinis, ciel et eau. Mais aussi l'espace de tous les affrontements, là où le plus souvent l'homme est seul et sommé de prendre des décisions rapides et fatales.» (A. Jaubert, «Préface»de La Ligne d'ombre, traduction de Florence Herbulot, Éditions de Sylvère Monod, Paris, Gallimard, «Folio Classique», 2010, p. 14-15)
La Ligne d'ombre [The Shadow-Line] est «comme une ligne des ténèbres, donc d'énigme, un sens caché à découvrir.» (ibidem, p. 7) «L'expression est magnifique et cependant difficile à interpréter», écrit Alain Jaubert et il cite l'auteur: «Oui, on va de l'avant. Et le temps, lui aussi, va de l'avant - jusqu'au jour où l'on aperçoit devant soi une ligne d'ombre annonçant qu'il va falloir aussi laisser en arrière la région de la prime jeunesse, sur les décisions de la maturité.» (ibid., p.8) La ligne d'ombre est «une frontière à franchir», une limite à assumer ou à transcender. Les humains se heurtent à certains moments de leur existence à des «situations-limites » selon Karl Jaspers (souffrance, combat, culpabilité*, folie, mort, hasard, absence de communication).
http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Karl_Jaspers
Ces situations-limites sont autant d'épreuves auxquelles les êtres humains sont soumis afin de façonner leur être ou d'accomplir leur destin. Dans La Ligne d'ombre, les épreuves sont nombreuses: l'affrontement avec le destin, l'attente de la contrariété, la maladie, la superstition, la folie.
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«Comme dans les mythes qui décrivent le cosmos, [...] le récit de Joseph Conrad, intitulé , sépare nettement les mondes. Il y a d'un côté la Terre, de l'autre, la Mer. La Terre est un monde d'êtres compliqués, sédentaires, bureaucratiques, évoluant dans des décors limités et stéréotypés, le Foyer et le Bureau. [...] Et il y a la Mer. C'est le Lieu de la libre aventure, de la contemplation des horizons infinis, ciel et eau. Mais aussi l'espace de tous les affrontements, là où le plus souvent l'homme est seul et sommé de prendre des décisions rapides et fatales.» (A. Jaubert, «Préface»de La Ligne d'ombre, traduction de Florence Herbulot, Éditions de Sylvère Monod, Paris, Gallimard, «Folio Classique», 2010, p. 14-15)
La Ligne d'ombre [The Shadow-Line] est «comme une ligne des ténèbres, donc d'énigme, un sens caché à découvrir.» (ibidem, p. 7) «L'expression est magnifique et cependant difficile à interpréter», écrit Alain Jaubert et il cite l'auteur: «Oui, on va de l'avant. Et le temps, lui aussi, va de l'avant - jusqu'au jour où l'on aperçoit devant soi une ligne d'ombre annonçant qu'il va falloir aussi laisser en arrière la région de la prime jeunesse, sur les décisions de la maturité.» (ibid., p.8) La ligne d'ombre est «une frontière à franchir», une limite à assumer ou à transcender. Les humains se heurtent à certains moments de leur existence à des «situations-limites » selon Karl Jaspers (souffrance, combat, culpabilité*, folie, mort, hasard, absence de communication).
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Ces situations-limites sont autant d'épreuves auxquelles les êtres humains sont soumis afin de façonner leur être ou d'accomplir leur destin. Dans La Ligne d'ombre, les épreuves sont nombreuses: l'affrontement avec le destin, l'attente de la contrariété, la maladie, la superstition, la folie.
Je ne sais pas à quoi je m'attendais. Peut-être à rien d'autre qu'à cette intensité particulière de l'existence qui est la quintessence des aspirations de la jeunesse. Quoi que j'attendisse, je m'attendais pas à être assailli d'ouragans. J'étais trop avisé pour cela. Il n'y a pas d'ouragans dans le golfe de Siam. Mais je ne m'attendais pas non plus à rester pieds et poings liés à ce degré désespérant qui m'était révélé avec le passage des jours. (p. 132)
[...]
L'île de Koh-Ring, grande arête noire dressée au milieu d'une série d'îlots minuscules, allongée sur l'eau vitreuse comme un triton parmi des vairons, semblait marquer le centre du cercle fatal. Il paraissait impossible de s'en écarter. Jour après jour, elle restait en vue. Plus d'une fois, dans une brise favorable, je la relevai dans le crépuscule qui s'évanouissait rapidement, pensant que c'était pour la dernière fois. Vaine espérance. Une nuit de souffles capricieux défaisait l'acquit d'une faveur temporaire, et le soleil levant faisait ressortir le modelé noir de Koh-Ring, plus que jamais stérile, inhospitalière et rébarbative d'aspect. (p. 133)
[...]
La solitude intense de la mer agissait comme un poison sur mon esprit. Quand je tournai les yeux vers le navire, j'eus la vision morbide d'un cimetière flottant. Qui n'a pas entendu parler de découvertes de navires, dérivant à l'aventure, avec tout leur équipage mort? Je regardai le matelot à la barre, j'eus envie de lui parler, et de fait, son visage prit une expression d'attente, comme s'il avait deviné mon intention. Mais pour finir, je descendis, pensant que je pourrais être seul un petit moment avec toute l'ampleur de mes ennuis. Mais par sa porte ouverte, M. Burns me vit descendre et me lança d'un ton maussade: «Eh bien, capitaine?» (p. 142)
[...]
Je le considérais à ce moment comme un modèle de bon sens. Je conçus même pour ce motif une sorte d'admiration pour cet homme, qui [...] s'était approché de la condition d'esprit désincarné autant qu'il est possible à un homme de le faire sans en périr. Je remarquai le tranchant surnaturel de l'arête de son nez, les profondes cavités de ses tempes, et je l'enviai. Il était à tel point réduit qu'il mourrait probablement sous peu. Homme enviable! Si proche de l'extinction - alors que j'avais à supporter en moi un tumulte de vitalité souffrante, de doute, de confusion, de remords et une répugnance indéfinie à faire face à l'horrible logique de la situation. Je ne pus m'empêcher de murmurer: «J'ai un peu l'impression de devenir fou moi-même.» (p. 143)
[...]
L'île de Koh-Ring, grande arête noire dressée au milieu d'une série d'îlots minuscules, allongée sur l'eau vitreuse comme un triton parmi des vairons, semblait marquer le centre du cercle fatal. Il paraissait impossible de s'en écarter. Jour après jour, elle restait en vue. Plus d'une fois, dans une brise favorable, je la relevai dans le crépuscule qui s'évanouissait rapidement, pensant que c'était pour la dernière fois. Vaine espérance. Une nuit de souffles capricieux défaisait l'acquit d'une faveur temporaire, et le soleil levant faisait ressortir le modelé noir de Koh-Ring, plus que jamais stérile, inhospitalière et rébarbative d'aspect. (p. 133)
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La solitude intense de la mer agissait comme un poison sur mon esprit. Quand je tournai les yeux vers le navire, j'eus la vision morbide d'un cimetière flottant. Qui n'a pas entendu parler de découvertes de navires, dérivant à l'aventure, avec tout leur équipage mort? Je regardai le matelot à la barre, j'eus envie de lui parler, et de fait, son visage prit une expression d'attente, comme s'il avait deviné mon intention. Mais pour finir, je descendis, pensant que je pourrais être seul un petit moment avec toute l'ampleur de mes ennuis. Mais par sa porte ouverte, M. Burns me vit descendre et me lança d'un ton maussade: «Eh bien, capitaine?» (p. 142)
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Je le considérais à ce moment comme un modèle de bon sens. Je conçus même pour ce motif une sorte d'admiration pour cet homme, qui [...] s'était approché de la condition d'esprit désincarné autant qu'il est possible à un homme de le faire sans en périr. Je remarquai le tranchant surnaturel de l'arête de son nez, les profondes cavités de ses tempes, et je l'enviai. Il était à tel point réduit qu'il mourrait probablement sous peu. Homme enviable! Si proche de l'extinction - alors que j'avais à supporter en moi un tumulte de vitalité souffrante, de doute, de confusion, de remords et une répugnance indéfinie à faire face à l'horrible logique de la situation. Je ne pus m'empêcher de murmurer: «J'ai un peu l'impression de devenir fou moi-même.» (p. 143)