David Penven fut rédacteur en chef de l'hebdomadaire Journal de Saint-Bruno à Saint-Bruno-de-Montarville, Québec (Canada) et dirige maintenant Ma petite vache a mal aux pattes, le blog d’un père qui a quitté le travail pour s’occuper de sa tribu de cinq enfants. Et qui de surcroît demeure dans une banlieue de la Montérégie sur la rive Sud de Montréal. Conscient des limites et de la finitude* de la vie, il nous communique ses expériences du deuil* vécues dans son ancien lieu de travail*
http://latribuapapa.blogspot.com/
Dans ma carrière de journaliste de la scène régionale, j’ai surtout côtoyé la mort de manière professionnelle, c’est-à-dire de loin. Propre, clair et net. Concrètement, j’ai été obligé, en raison du métier, de rapporter les décès des personnes que j’ai fréquentées dans le cadre de ma profession.
Lorsque l’on travaille à titre de rédacteur en chef durant un peu plus de dix ans dans le même hebdomadaire, on devient le curé de campagne des lieux. Au fil des interviews officielles, on finit toujours par recueillir, sous le sceau de la confidence et de la complicité qui forcément se développent, des petites tranches de vie des personnes assises devant notre bureau. Sans forger d’amitiés profondes, on se voue un respect mutuel.
Ainsi, j’ai enterré dans mes pages une quinzaine de personnalités. Enfin, pas toutes. Il y a eu des politiciens, des présidents d’organismes communautaires, des époux ou épouses de ces derniers. Et aussi des enfants*.
Dans tous les cas, la mort, comme c’est souvent le cas, était survenue de manière sournoise, c’est-à-dire par surprise. Pas de décès dus à la maladie. Peut-être, mais si peu.
Je me suis toujours étonné de mon professionnalisme en pareilles circonstances. J’aurais pu entamer une carrière dans les pompes funèbres*. Alors que le personnel de mon lieu de travail ne savait pas trop comment se comporter avec la personne en deuil* qui venait rapporter le décès d’un être cher et fournir, par le fait même, les informations concernant sa mort, moi j’entamais, sans détour, mais avec respect et douceur tout de même, l’entrevue. Enfin, disons que le mot «entrevue» est un peu exagéré.
Quand même, lorsque j’avais connu le défunt, à ce moment-là, mon rôle de rédacteur nécrologique me pesait. J’avais la terrible sensation de vivre, à la vitesse grand V, deux deuils à la fois. Le premier, celui du choc découlant de la nouvelle. « Hé ! David, Untel est mort ce matin. Sa fille t’a téléphoné… ». Ouf ! Good morning ! Drôle de façon d’entamer sa journée. Et comme si cela n’était pas suffisant, il fallait que je procède à la collecte d’informations afin de publier la nouvelle dans les pages du journal. Bonjour deuxième deuil ! Je ressentais la désagréable sensation que quelqu’un était en train de jouer dans mon «bobo», comme si la douleur, l’état de choc et la tristesse n’étaient pas suffisants.
L’absurdité de cette situation, c’est qu’en raison des ressources minimalistes de la presse régionale, les rédacteurs en chef d’hebdos, doivent, à leur corps défendant, endosser le rôle d’homme orchestre. Ils doivent tout faire : photos (pas toujours, mais régulièrement), mise en pages et surtout couvrir les différentes sections de leur publication respective (actualités municipales, culturelles, communautaires, sportives, et j’en passe). Le traitement de la nouvelle du décès qui nous affecte, se glisse entre un compte rendu d’une équipe de hockey pee wee et l’annonce d’une représentation au centre culturel du coin. Pas le temps de s’apitoyer ou de philosopher sur le sens réel de la vie et de notre mission «en ce bas monde». Et puis, il y a toujours la crainte de faire une erreur dans l’article. C’est le type de nouvelle qui ne laisse pas de place à la gaffe. Le défunt avait quel âge? Les circonstances de sa mort? (si c’est un suicide d’un homme respecté retraité de la vie active, comme cela est déjà arrivé, on ne mentionne pas la cause de la mort par respect pour sa famille ; oui, je sais, il y a matière à débat à ce chapitre). Sa biographie est-elle exacte? Bref, cette vigilance m’obligeait à mettre de côtés mes émotions.
Sauf que parfois, cela est difficile.
Lorsque l’adolescent d’une personnalité de mon coin est décédé en raison de son état de santé, j’ai failli craquer. D’autant plus que j’avais interviewé le garçon qui se distinguait sur la scène sportive malgré une malformation cardiaque. Pour son père, il était un héros. Un modèle constant de persévérance.
En guise de prozac, je rédigeais, dans le cadre de mes billets hebdomadaires, un hommage sincère aux disparus. Une manière, pour moi, de faire la paix. De me réconcilier avec le monde. De laisser tomber le masque. Une façon aussi d’aller plus loin que l’article, parfois javellisé, que j’avais pondu, au sujet du défunt. J’entamais ainsi mon troisième et dernier deuil.
Le véritable.
On essaie tous, tant bien que mal, de tirer son épingle du jeu, mais ce que la vie peut paraître absurde parfois! Trouvez pas?
« Travailler, faire d'son mieux. En arracher, s'en sortir. Et espérer être heureux, un peu, avant de mourir », comme le chante les Cowboys fringants.
Juste espérer être heureux, un peu.
le 13 septembre 2010