Knut Hamsun (1859-1952), Prix Nobel de la Littérature (1920), écrit son roman Victoria pendant son voyage de noces. À la fin du XIX ° siècle, Johannes, fils de meunier, et Victoria, fille du château. Tout les sépare, la tradition familiale, les classes sociales, l'argent. Hamsun a fait de ce roman un chef d'oeuvre d'amour et de mort sur le malheur d'aimer. Dans ses nuits d'insomnie, Johannes, essaie sans succès de terminer son roman. Distrait par de tristes souvenirs, il se met à écrire «quelque chose» et finit par raconter des récits d'amour, pour retrouver son inspiration. Ainsi en est-il du premier extrait que nous présentons et qui est le récit de deux mères si différentes dans l'amour qu'elles portent en elles. Le deuxième extrait est une expression trop tardive, mais réelle d'un amour qui n'a pu se dire ni se vivre pleinement. En effet, mourante, Victoria fait porter par son ancien précepteur, une lettre d'adieu* à Johannes où elle lui déclare son grand amour depuis toujours et lui demande pardon d'avoir été si cruelle à son égard en lui refusant son amour.
Pour la biographie de K. Hamsun:
http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Knut_Hamsun
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Quelqu'un demande ce qu'est l'amour. On répond: «L'amour, c'est un vent qui murmure dans les rosiers, avant de tomber. Mais il peut être aussi un sceau inviolable jusqu'à la mort. Dieu a créé plusieurs types d'amour: ceux qui durent et ceux qui s'évanouissent.»
Deux mères se promènent en bavardant. L'une porte des vêtements d'un bleu très gai parce que son amant est revenu de voyage. L'autre est en deuil. Elle avait trois filles, deux brunes et une blonde. La blonde est morte, il y a déjà dix ans, mais la mère continue de porter le deuil*.
- Quelle merveilleuse journée! s'exclame la première en frappant dans ses mains. La chaleur m'enivre, l'amour m'envoûte, je suis heureuse. Je pourrais me déshabiller ici, dans la rue et tendre mes bras vers le soleil pour l'étreindre.
La seconde demeure silencieuse et n'ébauche ni sourire ni réponse.
- Tu portes encore le deuil de ta petite fille? lui demande innocemment son amie. Cela fait dix ans qu'elle est morte, n'est-ce pas?
- Oui. Elle aurait eu quinze ans cette année.
- Mais tu as deux autres filles...
- Bien sûr, mais elles ne dégagent aucune lumière; celle qui est morte était si claire, réplique la femme en noir, en éclatant en sanglots.
Et les deux mères se quittent, empruntant chacun un chemin différent, chacune avec son amour, bien à elle...
(Knut Kamsun, Victoria, Histoire d'un amour, traduit du norvégien par Ingunn Guilhon, Calmann Lévy, 1977, p.153-154)
Deux mères se promènent en bavardant. L'une porte des vêtements d'un bleu très gai parce que son amant est revenu de voyage. L'autre est en deuil. Elle avait trois filles, deux brunes et une blonde. La blonde est morte, il y a déjà dix ans, mais la mère continue de porter le deuil*.
- Quelle merveilleuse journée! s'exclame la première en frappant dans ses mains. La chaleur m'enivre, l'amour m'envoûte, je suis heureuse. Je pourrais me déshabiller ici, dans la rue et tendre mes bras vers le soleil pour l'étreindre.
La seconde demeure silencieuse et n'ébauche ni sourire ni réponse.
- Tu portes encore le deuil de ta petite fille? lui demande innocemment son amie. Cela fait dix ans qu'elle est morte, n'est-ce pas?
- Oui. Elle aurait eu quinze ans cette année.
- Mais tu as deux autres filles...
- Bien sûr, mais elles ne dégagent aucune lumière; celle qui est morte était si claire, réplique la femme en noir, en éclatant en sanglots.
Et les deux mères se quittent, empruntant chacun un chemin différent, chacune avec son amour, bien à elle...
(Knut Kamsun, Victoria, Histoire d'un amour, traduit du norvégien par Ingunn Guilhon, Calmann Lévy, 1977, p.153-154)
******************
Cher Johannes, quand vous lirez ces lignes, je serai morte. Tout est si étrange maintenant, je n'ai plus honte et je vous écris à nouveau comme si rien ne l'empêchait. Avant, quand j'étais encore bien vivante, j'aurais préféré souffrir nuit et jour, plutôt que de vous écrire une fois de plus; mais mon âme commence à s'enfuir et je ne réfléchis plus dans les mêmes termes. J'ai eu une hémorragie chez des étrangers, le médecin m'a examinée et a pu constater qu'il ne me restait plus qu'un morceau de poumon; alors, pourquoi avoir honte?
J'ai réfléchi, ici dans mon lit, aux dernières paroles que je vous ai adressées. C'était dans la forêt, un soir. Je ne pensais pas alors que ce seraient mes derniers mots, car, si je l'avais su, je vous aurais dit au revoir, et vous aurais remercié. Désormais, je ne vous verrai plus, et je regrette de ne pas m'être jetée à vos pieds, de n'avoir pas embrassé vos souliers et la terre qu'ils foulaient, pour vous montrer à quel point je vous aimais. Hier et aujourd'hui, j'ai souhaité avoir encore assez de forces pour pouvoir rentrer au pays et revoir l'endroit dans la forêt où nous étions lorsque vous me teniez les mains. Je me serais couchée sur le sol, et j'aurais cherché une trace de vous en embrassant la bruyère tout autour. Mais je ne pourrai le faire, à moins que je n'aille un peu mieux, comme maman le croit.
[...]
C'est horrible pour moi de mourir, je ne le veux pas, je garde encore un peu d'espoir, et prie le Seigneur d'améliorer mon état, ne fût -ce que pour voir le printemps. [...] Je n'ai pas vécu ma vie, je n'ai rien fait pour personne et cette vie mal vécue doit s'achever ici.
Si vous saviez comme cela me désole de la quitter, vous feriez peut-être quelque chose, vous feriez peut-être tout ce qui est en votre pouvoir. Mais vous n'y pouvez sans doute rien.
[...]
Oui, Johannes, je vous ai aimé, toute ma vie, je n'ai que vous. C'est moi, Victoria, qui écris ces mots et Dieu les lit par-dessus mon épaule.
Et maintenant, je dois vous dire au revoir; je n'y vois plus, car il fait presque nuit. Au revoir, Johannes, merci pour chaque jour. Quand je m'en irai de la terre, je vous remercierai encore, jusqu'à la fin, et je prononcerai votre nom tout au long du chemin, pour moi toute seule. Vivez bien votre vie et pardonnez-moi tout le mal que je vous ai fait. Ne m'en veuillez pas de ne m'être pas jetée à vos pieds pour vous demander pardon. Je le fais maintenant en pensée.
Soyez heureux, Johannes et adieu. Merci encore pour chaque jour, pour chaque instant. Je suis à bout de forces.
Votre
Victoria
(op. cit., p.182-189, extraits)
IMAGE
Knut Hamsun
http://www.adressa.no/meninger/kronikker/article1228481.ece
J'ai réfléchi, ici dans mon lit, aux dernières paroles que je vous ai adressées. C'était dans la forêt, un soir. Je ne pensais pas alors que ce seraient mes derniers mots, car, si je l'avais su, je vous aurais dit au revoir, et vous aurais remercié. Désormais, je ne vous verrai plus, et je regrette de ne pas m'être jetée à vos pieds, de n'avoir pas embrassé vos souliers et la terre qu'ils foulaient, pour vous montrer à quel point je vous aimais. Hier et aujourd'hui, j'ai souhaité avoir encore assez de forces pour pouvoir rentrer au pays et revoir l'endroit dans la forêt où nous étions lorsque vous me teniez les mains. Je me serais couchée sur le sol, et j'aurais cherché une trace de vous en embrassant la bruyère tout autour. Mais je ne pourrai le faire, à moins que je n'aille un peu mieux, comme maman le croit.
[...]
C'est horrible pour moi de mourir, je ne le veux pas, je garde encore un peu d'espoir, et prie le Seigneur d'améliorer mon état, ne fût -ce que pour voir le printemps. [...] Je n'ai pas vécu ma vie, je n'ai rien fait pour personne et cette vie mal vécue doit s'achever ici.
Si vous saviez comme cela me désole de la quitter, vous feriez peut-être quelque chose, vous feriez peut-être tout ce qui est en votre pouvoir. Mais vous n'y pouvez sans doute rien.
[...]
Oui, Johannes, je vous ai aimé, toute ma vie, je n'ai que vous. C'est moi, Victoria, qui écris ces mots et Dieu les lit par-dessus mon épaule.
Et maintenant, je dois vous dire au revoir; je n'y vois plus, car il fait presque nuit. Au revoir, Johannes, merci pour chaque jour. Quand je m'en irai de la terre, je vous remercierai encore, jusqu'à la fin, et je prononcerai votre nom tout au long du chemin, pour moi toute seule. Vivez bien votre vie et pardonnez-moi tout le mal que je vous ai fait. Ne m'en veuillez pas de ne m'être pas jetée à vos pieds pour vous demander pardon. Je le fais maintenant en pensée.
Soyez heureux, Johannes et adieu. Merci encore pour chaque jour, pour chaque instant. Je suis à bout de forces.
Votre
Victoria
(op. cit., p.182-189, extraits)
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Knut Hamsun
http://www.adressa.no/meninger/kronikker/article1228481.ece