«Ce sonnet présente un renversement remarquable: ce n'est pas le poète qui s'adresse à la femme décédée, mais au contraire la femme décédée s'adresse à son mari survivant. Ce poème a été écrit non pas à la suite d'une perte que Mallarmé aurait subie lui-même, mais pour un ami.» (John E. Jackson, «Douleur, deuil et mémoire» dans Y. Bonnefoy, dir., La conscience de soi de la poésie, Deuil, 2008, p. 198)
Sur les bois oubliés quand passe l'hiver sombre
Tu te plains, ô captif solitaire du seuil,
Que ce sépulcre à deux qui fera notre orgueil
Hélas! du manque seul des lourds bouquets s'encombre.
Sans écouter Minuit qui jeta son vain nombre,
Une veille t'exalte à ne pas fermer l'oeil
Avant que dans les bras de l'ancien fauteuil
Le suprême tison n'ait éclairé mon Ombre.
Qui veut souvent avoir la Visite ne doit
Par trop de fleurs charger la pierre que mon doigt
Soulève avec l'ennui d'une force défunte.
Ame au si clair foyer tremblante de m'asseoir,
Pour revivre il suffit qu'à tes lèvres j'emprunte
Le souffle de mon nom murmuré tout un soir.
2 novembre 1877
Stéphane Mallarmé (1842-1898)
http://www.tadine.ca/poesie/mallarme/malla03.shtml