L'originalité de ce récit, réside dans la dextérité littéraire avec laquelle l'auteure parvient à nous faire saisir l'intensité et la spécificité de sa sensation de perte irréparable qu'elle a éprouvée, enfant, à la mort soudaine de son père qui l'aimait et qu'elle aimait, d'un père présent dans son absence. La rupture déchirante et la chute dans le vide se révèlent paradoxalement être le lieu même d'une lente maturation d'une enfant dont la solitude est accompagnée d'un dialogue constant avec le père défunt et dont la fragilité est secourue par l'amour attentif des proches.
Mon père m'aimait. C'est la seule certitude que je possède. Tout ce dont je sois certaine dans la vie. Il m'aimait, mais il est parti un jour, comme ça, sans se demander si j'en souffrais. Je crois. Il m'a tout arraché, le coeur, la force, la joie, le souffle. Depuis, j'ai du mal à respirer et j'écoute mon coeur en espérant qu'il s'arrête enfin. Pourtant, mon père m'aimait. C'est ma seule certitude encore à ce jour.
[...]
Car, à huit ans, je me suis éteinte.J'ai arrêté de grandir. À vrai dire, j'ai tout arrêté, j'ai décidé de demeurer une enfant. C'est tout ce que je sais faire dans la vie.
[...]
Lorsqu'il me regardait, l'existence, mon existence, prenait tout son sens. J'ai découvert le monde avec lui. J'apprenais à ne pas souffrir et à être heureuse. J'étais alors bien loin de me douter que la vie sans lui pouvait exister.
À son départ, pour la première fois, j'ai eu l'impression qu'on me laissait tomber, qu'on m'abandonnait. Il me laissait seule. Depuis, je suis toujours en suspension dans le vide, en train de tomber sans cesse, m'agrippant aux quelques racines qui longent le profond précipice qui m'attire en ses entrailles.
Aussi loin que je me souvienne, il était mon phare dans la nuit. Il savait tout aussi bien faire fuir les fantômes de mes cauchemars qu'éveiller les fées de mon doux sommeil. Avec lui, j'avais tous les droits, d'abord celui de vivre. En me quittant, il m'a tout soutiré en un seul souffle. Et le noir m'a étranglée. Ma vie ne tient plus qu'à un fil auquel j'ai l'impression d'être pendue en permanence. Et si la vie, pour moi, ça n'avait été que lui...
[...]
Le jour où il est parti, un orage a fait rage en moi. Je me suis ennuagée.
[...]
Mon père est mort subitement le 11 février 1965. Je n'avais que huit ans depuis deux semaines à peine.
Son coeur s'est arrêté de battre. Soudainement. Simplement. Il est mort comme un enfant tombe d'un arbre. Par maladresse
Ce jour-là, il a tué quelque chose en moi. Peut-on vivre avec un mort dans l'âme?
J'ai perdu mon père, j'étais trop jeune. Lui aussi. Une fillette devrait toujours pouvoir s'élancer vers son père et lui crier «Papa!»
Moi, enfant, j'ai dû me taire.
Je suis allée te voir hier. Je me suis assise dans l'herbe au milieu de ce champ de bataille. J'étais seule. Tu étais ailleurs. J'ai regardé autour de moi, il n'y avait personne. Que des pierres fantomatiques.
J'ai eu peur. En plein jour. Pour rien. Le soleil brillait portant. Rien n'y a fait. J'aurais peur dorénavant. Tu m'avais laissée seule sans m'expliquer comment ne pas avoir peur de tout, de rien. Je n'ai jamais cessé d'avoir peur depuis que tu es parti.
Papa, si j'avais su que la mort te rongeait de l'intérieur, j'aurais retenu tes vautours.
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http://peintaqualliludicole.andenneblogs.be/files/anne-pere-enfant.jpg
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Car, à huit ans, je me suis éteinte.J'ai arrêté de grandir. À vrai dire, j'ai tout arrêté, j'ai décidé de demeurer une enfant. C'est tout ce que je sais faire dans la vie.
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Lorsqu'il me regardait, l'existence, mon existence, prenait tout son sens. J'ai découvert le monde avec lui. J'apprenais à ne pas souffrir et à être heureuse. J'étais alors bien loin de me douter que la vie sans lui pouvait exister.
À son départ, pour la première fois, j'ai eu l'impression qu'on me laissait tomber, qu'on m'abandonnait. Il me laissait seule. Depuis, je suis toujours en suspension dans le vide, en train de tomber sans cesse, m'agrippant aux quelques racines qui longent le profond précipice qui m'attire en ses entrailles.
Aussi loin que je me souvienne, il était mon phare dans la nuit. Il savait tout aussi bien faire fuir les fantômes de mes cauchemars qu'éveiller les fées de mon doux sommeil. Avec lui, j'avais tous les droits, d'abord celui de vivre. En me quittant, il m'a tout soutiré en un seul souffle. Et le noir m'a étranglée. Ma vie ne tient plus qu'à un fil auquel j'ai l'impression d'être pendue en permanence. Et si la vie, pour moi, ça n'avait été que lui...
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Le jour où il est parti, un orage a fait rage en moi. Je me suis ennuagée.
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Mon père est mort subitement le 11 février 1965. Je n'avais que huit ans depuis deux semaines à peine.
Son coeur s'est arrêté de battre. Soudainement. Simplement. Il est mort comme un enfant tombe d'un arbre. Par maladresse
Ce jour-là, il a tué quelque chose en moi. Peut-on vivre avec un mort dans l'âme?
J'ai perdu mon père, j'étais trop jeune. Lui aussi. Une fillette devrait toujours pouvoir s'élancer vers son père et lui crier «Papa!»
Moi, enfant, j'ai dû me taire.
Je suis allée te voir hier. Je me suis assise dans l'herbe au milieu de ce champ de bataille. J'étais seule. Tu étais ailleurs. J'ai regardé autour de moi, il n'y avait personne. Que des pierres fantomatiques.
J'ai eu peur. En plein jour. Pour rien. Le soleil brillait portant. Rien n'y a fait. J'aurais peur dorénavant. Tu m'avais laissée seule sans m'expliquer comment ne pas avoir peur de tout, de rien. Je n'ai jamais cessé d'avoir peur depuis que tu es parti.
Papa, si j'avais su que la mort te rongeait de l'intérieur, j'aurais retenu tes vautours.
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