Dans son article «Douleur, deuil, mémoire», l'auteur aborde la question de la conscience de soi de la poésie sous l'angle du problème des rapports de la littérature à la mémoire et au deuil*. Il choisis la thématique du deuil non seulement parce qu'il joue un rôle essentiel dans l'économie de la vie intérieure qui mène à l'écriture, mais aussi parce qu'il met en relief un paradoxe qui lui paraît important de méditer. Le deuil ou du moins le travail du deuil, le Trauerarbeit, est un travail d'oubli.
(John E. Jackson, «Douleur, deuil et mémoire» dans Yves Bonnefoy, dir., La conscience de soi de la poésie, Paris, Seuil, « Le genre humain», 2008, p. 192-208)
Dénouer unà un les liens, les liens d'amour, mais aussi sans doute de haine, qui nous reliaient à la personne perdue, c'est d'abord dénouer une mémoire. Qu'on envisage le processus en termes économiques, comme Freud* décrivant le retrait des investissements libidinaux de l'objet dans le Moi qui aura ainsi, le moment venu une réserve affective à sa disposition pour un nouvel amour, ou qu'on le présente plutôt ainsi que le fait Proust comme le sevrage de toutes les facettes du Moi qui étaient en relation avec cet objet, le travail du deuil semble, à première vue, consister en un processus d'effacement destiné à soustraire le survivant à la douleur, parfois térébrante, causée par l'absence de l'objet perdu. Faire le deuil de quelqu'un n'est pas l'oublier, mais rendre sa perte ou son absence supportables. La personne reste présente, mais présente comme absence. Pour qu'elle puisse être gardée, il faut qu'elle soit perdue, mais pour que sa perte soit acceptable, il faut qu'elle soit gardée. Son statut est donc paradoxal.
La littérature, la poésie en particulier, s'est depuis très longtemps nourrie de ce paradoxe. La parole étant, par définition, le lieu où l'absence peut trouver sa représentation, la personne aimée - le plus souvent une femme - trouvait à revivre dans l'évocation que faisait d'elle le poète. (op. cit., p. 191)
Par la suite, l'auteur analyse des poèmes de Ronsard*, Shakespeare*, Baudelaire*, Mallarmé* et Celan*.