La mort d'autrui est un événement qui, advenant du dehors, affecte profondément les proches, parents ou amis, au-dedans d'eux-mêmes. Le deuil, effet de la mort d'autrui sur les survivants, est une forme d'expérience de mort à soi. En effet, lorsque le monde du défunt s'effondre, avec lui le monde des survivants se trouve radicalement changé. Dans « Ipséité et altérité : les phénomènes du deuil et de la rencontre », deuxième partie, par. 17 de L'événement et le monde, PUF, 1998, Claude Romano explique comment la mort d'une personne aimée est une expérience qui ne nous appartient pas, elle n'est pas éprouvée par nous personnellement. Elle nous laisse nous-mêmes inchangés de l'extérieur. Cependant, elle peut nous atteindre « au plus intime, au coeur de nos possibles... »
Certes, en tant que fait, la mort d'autrui est inexprimable : mourir, en effet, c'est ne plus être de ce monde, perdre le monde en tant que tel - et une telle « perte » qui survient à autrui, si elle s'accompagne pour nous de signes corporels, ne saurait être elle-même l'objet d'une expérience: car il n'y a de l'expérience propre que du propre, et à la mort d'autrui nous restons étrangers, irrémédiablement extérieurs, impuissants spectateurs de ce qui se dérobe à tout spectacle, puisqu'en un sens, ici, « rien » n'a eu lieu - et ce rien est la mort -, le spectacle d'un cadavre humain suscitant parfois l'indécence d'une curiosité d'autant plus grande qu'elle ne peut justement rien saisir, qu'elle demeure entièrement fermée à ce qui se passe. [...] Mais en quel sens l'événement de la mort est-il précisément un événement éprouvé - [...] - par ceux qui restent?
[...]
Nous ne mourons pas seulement à la personne aimée mais, à travers cette première mort, nous mourons à nous-mêmes, c'est-à-dire à celui que nous ne pouvions être insubstituablement que pour elle et elle seule. Mais comment un tel phénomène est-il possible? Comment le deuil, la mort de l'autre en tant qu'épreuve subie, mort à l'autre, peut-il être indissolublement mort à soi-même? Comment déterminer ce « soi-même » qui chancelle dans l'expérience du deuil, et auquel je meurs en mourant à autrui?
Dans l'événement du deuil, comme en tout événement, je suis en jeu moi-même en mon ipséité. Si tout événement est pour moi un événement, c'est-à-dire, me donne de me comprendre moi-même et de m'admettre comme moi-même, il en va ainsi de l'événement de la rencontre, où mon monde s'ouvre aux dimensions d'un monde autre, celui de l'autre, et, corrélativement, de l'événement du deuil, où ce monde se referme et referme le mien à sa suite, avec la constellation des possibilités qui n'étaient miennes que parce qu'elles m'étaient échues de la rencontre d'autrui. Puisque ma singularité, en d'autres termes, s'origine dans l'événement, elle s'origine aussi dans ces possibles par lui ouverts, qui s'entrelacent à ceux d'autrui dans une histoire commune, aussi incomparable, et dont la mort de l'autre représente, au double sens, le dénouement.
[...]
La liaison intrinsèque, indissoluble, de la mort à autrui et de la mort à moi-même est ce qui constitue en tant que tel le sens événementiel du deuil (o.c., p. 157-158).
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Nous ne mourons pas seulement à la personne aimée mais, à travers cette première mort, nous mourons à nous-mêmes, c'est-à-dire à celui que nous ne pouvions être insubstituablement que pour elle et elle seule. Mais comment un tel phénomène est-il possible? Comment le deuil, la mort de l'autre en tant qu'épreuve subie, mort à l'autre, peut-il être indissolublement mort à soi-même? Comment déterminer ce « soi-même » qui chancelle dans l'expérience du deuil, et auquel je meurs en mourant à autrui?
Dans l'événement du deuil, comme en tout événement, je suis en jeu moi-même en mon ipséité. Si tout événement est pour moi un événement, c'est-à-dire, me donne de me comprendre moi-même et de m'admettre comme moi-même, il en va ainsi de l'événement de la rencontre, où mon monde s'ouvre aux dimensions d'un monde autre, celui de l'autre, et, corrélativement, de l'événement du deuil, où ce monde se referme et referme le mien à sa suite, avec la constellation des possibilités qui n'étaient miennes que parce qu'elles m'étaient échues de la rencontre d'autrui. Puisque ma singularité, en d'autres termes, s'origine dans l'événement, elle s'origine aussi dans ces possibles par lui ouverts, qui s'entrelacent à ceux d'autrui dans une histoire commune, aussi incomparable, et dont la mort de l'autre représente, au double sens, le dénouement.
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La liaison intrinsèque, indissoluble, de la mort à autrui et de la mort à moi-même est ce qui constitue en tant que tel le sens événementiel du deuil (o.c., p. 157-158).