L'Encyclopédie de L'Agora : une vision organique du monde
«L'arbre ne court pas à la recherche d'une proie : elle vient à lui, baignant ses racines innombrables, effleurant ses branches et ses feuilles mouvantes. Sa proie à lui, c'est l'air qui passe chargé du gaz carbonique; c'est la rosée du ciel; ce sont les eaux chargées de sels minéraux qui circulent dans la terre.» (Marie-Victorin. source)
La plante est immobile et choyée. Sa nourriture lui est donnée. Il lui suffit pour l’accueillir de laisser croître ses racines dans la terre et dans le ciel. L’animal doit chercher sa nourriture, et pour cela, il est libre dans ses déplacements. Sans doute est-ce la raison pour laquelle on l’a associé étroitement à l’homme, mais ainsi amputé de sa dimension plante, ce dernier n’allait-il pas s’éloigner de ce qui deviendrait un jour un idéal pour les jeunes et pour les vieux une nécessité i : contempler et à cette fin rester immobile.
Aristote distingue trois âmes: l'âme végétative, l'âme sensitive, l'âme intellective. C'est par l'âme sensitive que nous nous apparentons à l'animal. L'homme n'est-il pas, selon Aristote, un animal raisonnable? Le lien entre l'âme végétative et les végétaux n'est pas aussi manifeste. L'âme végétative est celle qui, par rapport aux deux autres, se situe au plus bas degré d'universalité, son action se limitant au corps particulier qu'elle anime. Quand on dit qu'un grand malade est réduit à l'état végétatif, on est assez près du sens originel de ce mot. Certes, la plante, toujours selon Aristote, privée d'organes sensoriels et donc d'âme sensitive, ne possède que l'âme végétative, à laquelle on peut l'identifier. On ne dit toutefois pas que l'homme est une plante parce qu'il possède une âme végétative, comme on dit qu'il est un animal parce qu'il possède l'âme sensitive en commun avec les bêtes.
L'homme n’est-il pas une plante sensitive et raisonnable? Pourquoi cette définition de ne s'est-elle pas imposée? Nous aurions bien des raisons aujourd'hui de l'adopter, les unes fournies par la biologie, qui nous rappelle l'importance des couches primitives du cerveau, les autres par l'anthropologie, qui nous rappelle les racines de notre imaginaire dans le lointain passé, les autres par l'observation de l'humanité actuelle qui ne semble pas mesurer adéquatement tous les risques qu'elle court en s'éloignant, par sa mobilité et son adaptabilité de tout ce qui la rattache aux plantes. «Les femmes, dit le poète Heinrich Heine, sont des fleurs ambulantes»(wandelnde Blumen). Fleurissent-elles aussi bien quand elles n'ont plus de paysages vivants où se fixer?
«À quoi bon les loupes et les microscopes? Les véritables verres grossissants, ce sont les fleurs elles-mêmes. Il nous faut les contempler jusqu'au moment où elles deviennent transparentes, comme des lentilles, et nous verrons alors, derrière elles, au foyer de la gerbe des rayons, une lumière: la splendeur de la semence spirituelle, qui n'a aucune étendue. Telle est la véritable plante originaire. Quand le monde nous semble vaciller sur ses bases, un regard jeté sur une fleur peut rétablir l'ordre.» Ernst Jünger
La beauté, la perfection de tant de fleurs nous oblige à soulever la question de leur forme. Y a-t-il une analogie entre la création artistique et l’évolution de la nature en direction de tel ou telle fleur? En employant un tel vocabulaire , ne présumons-nous pas qu’il y a une finalité dans l’évolution, que la plus haute forme visée préside en quelque sorte à l’organisation de la matière dans sa direction?
Si vous posez une telle question à un biologiste orthodoxe, il y a fort à parier que sa réponse sera qu’il n’y pas d’intention, de progrès dans la nature. Tout s’expliquerait donc par le hasard des mutations et la sélection naturelle, c’est-à-dire par des pressions du milieu extérieur. Certes les travaux récents en génétique montrent que l’hérédité est un phénomène plus complexe qu’on ne le croyait il y a seulement vingt ans. La thèse dominante demeure néanmoins celle qui explique tout par la pression du milieu extérieur.
Mais peut-on expliquer ainsi l’évolution des formes? De nombreux savants en doutent, et notamment Rupert Sheldrake. Pour expliquer la genèse des formes, il fait appel à une notion nouvelle: les champs morphogénétiques, qui sont analogues au champ magnétique. Cette notion a été reprise récemment par deux savants anglais N. J Berril et B.C. Goodwin dans un article intitulé : The Life of Form : Emerging Patterns of Morphological Transformation. Après avoir évoqué la difficulté d’une explication de la génèse des formes en conformité avec la tendance dominante en biologie, ils se tournent vers une approche alternative consistant à montrer comment la dynamique complexe des réseaux génétiques agit à l’intérieur des champs morphogénétiques.
Le champ morphogénétique nous ramène à Goethe et à l'intuition qu’il eut lors d’un voyage en Italie à une époque de sa vie où il se passionnait pour la botanique. « Devant tellement de formes nouvelles et renouvelées, mon esprit fut saisi par une ancienne chimère : dans ce foisonnement, ne me serait-il pas donné de découvrir la plante originelle ? Une telle plante doit bien exister ! Car sinon, comment pourrais-je reconnaître que telle formation est une plante, si toutes n’étaient pas formées sur le même modèle »(La métamorphose des plantes) Hugo aura une intuition semblable à propos de la poésie : «Comme la mer, la poésie dit chaque jour tout ce qu'elle a à dire, puis elle recommence avec cette variété inépuisable qui n'appartient qu'à l'unité.»
Cette plante originelle, Goethe la cherchait-il au commencement de ce développement organique dont il a fait l’hypothèse longtemps avant Darwin ou était-elle pour lui un archétype, l’équivalent d’une Idée platonicienne. N’a-t-il pas écrit :
«Des membres, partout, la croissance obéit à des lois éternelles
Et la plus rare des formes contient en secret l'archétype».
Il semble bien que la plante originelle était à ses yeux à la fois la première dans le temps et le modèle dans l’éternel. Un spécialiste hongrois de ces questions Zemplen Gabor précise que la plante originelle a d’abord été l’ancêtre historique, pour devenir plus tard une idée formatrice, la plantéité de la plante.»
Saviez-Vous que Gustav Theodore Fechner, l’un des fondateurs de la psychologie expérimentale, l’homme qui mesurait tout, a aussi écrit un livre sur l’âme des fleurs ?
Quelques années avant de commencer à prendre la mesure précise des seuils de perception, Fechner avait écrit un ouvrage sur l'âme des plantes dans la plus pure tradition romantique.
Un peu plus tôt au cours de sa vie, suite à plusieurs années de surmenage, il avait sombré dans une étrange dépression accompagnée d'une maladie des yeux qui l'obligea à vivre dans l'obscurité pendant toute la durée de sa cure, c'est-à-dire trois ans. Quand il ouvrit les yeux pour la première fois, à la lumière du jour, il fut ébloui jusqu'à l'extase par les fleurs et il conserva à jamais la conviction qu'elles avaient une âme.
«Je me souviens très bien encore de l'impression que j'éprouvai quand pour la première fois, après plusieurs années d'une maladie des yeux et de réclusion dans une chambre obscure, je pénétrai, sans bandeau sur les yeux dans le jardin en fleur. Il me sembla que mon regard m'emportait au-dessus de la condition humaine, que chaque fleur m'éblouissait de sa propre lumière, comme si elle versait dans la lumière extérieure je ne sais quel rayon de sa lumière intérieure. Le jardin entier me parut lui-même transfiguré, comme si ce n'était pas moi, mais la nature qui ressuscitait. Et je pensais que c'était bien le moment de rendre à mes yeux toute leur fraîcheur pour permettre à une nature vieillie de retrouver sa jeunesse. On ne saurait croire à quel point la nature se fait neuve et vivante pour aller à la rencontre de celui qui vient vers elle avec un regard neuf.
L'image du jardin m'accompagna dans la chambre obscure, mais dans la faible lumière, elle n'en était que plus claire et plus belle et j'ai cru voir tout à coup une lumière intérieure à la source de la clarté extérieure des fleurs et la genèse spirituelle de couleurs qui se limitaient à transparaître à l'extérieur. Je ne doutais pas alors que je voyais briller l'âme des fleurs et je pensais, dans l'émerveillement et l'extase : voilà à quoi ressemble le jardin au-delà du mur de ce monde et toute la terre et tout le corps de la terre n'est que la clôture autour de ce jardin pour ceux qui sont encore à l'extérieur.»(1)
«L’ordre gothique, au milieu de ces proportions barbares, a toutefois une beauté qui lui est particulière. Les forêts ont été les premiers temples de la Divinité, et les hommes ont pris dans les forêts la première idée de l’architecture. Cet art a donc dû varier selon les climats. Les Grecs ont tourné l’élégante colonne corinthienne avec son chapiteau de feuilles sur le modèle du palmier. Les énormes piliers du vieux style égyptien représentent le sycomore, le figuier oriental, le bananier et la plupart des arbres gigantesques de l’Afrique et de l’Asie.»
Vers les forêts d’Abitibi
A table, récemment chez des amis, au moment où je disais mon enthousiasme pour le livre de Peter Wohlleben, La vie cachée des arbres, notre hôte, un ingénieur forestier, se lève précipitamment et revient pour m’offrir un livre intitulé Le rire des arbres, les pleurs des forêts. C’était sa façon de me rappeler que le sens de l’arbre existe aussi au Québec L’auteur, Luc Fournier, tourneur de bois né en Abitibi et y vivant toujours, se présente comme un artiste artisan. Il est aussi un poète penseur, conscient jusqu’à l’extase cosmique du fait que la forêt dans sa densité lente et verte est, après la mer, le second berceau de la vie…et un lieu de ressourcement. Son livre est aussi touffu et varié qu’une forêt boréale encore vierge, les symboles et les faits, la rationalité et la spiritualité y entretiennent le même rapport que les racines des arbres et les champignons. Quelques maladresses dans le style n’enlèvent rien de sa pertinence et de sa profondeur au message fondamental : Tu veux te connaître toi-même, ô homme, contemple le sort que tu as réservé à tes arbres et des forêts
La Fontaine contre Descartes
Discours à Madame de la Sablière
(...)
Ce fondement posé, ne trouvez pas mauvais
Qu'en ces Fables aussi j'entremêle des traits
De certaine Philosophie
Subtile, engageante, et hardie.
On l'appelle nouvelle. En avez-vous ou non
Ouï parler ? Ils disent donc
(30) Que la bête est une machine ;
Qu'en elle tout se fait sans choix et par ressorts :
Nul sentiment, point d'âme, en elle tout est corps.
Telle est la montre qui chemine,
A pas toujours égaux, aveugle et sans dessein.
Ouvrez-la, lisez dans son sein ;
Mainte roue y tient lieu de tout l'esprit du monde.
La première y meut la seconde,
Une troisième suit, elle sonne à la fin.
Au dire de ces gens, la bête est toute telle :
(40) L'objet la frappe en un endroit ;
Ce lieu frappé s'en va tout droit,
Selon nous, au voisin en porter la nouvelle.
Le sens de proche en proche aussitôt la reçoit.
L'impression se fait, mais comment se fait-elle ?
Selon eux, par nécessité,
Sans passion, sans volonté.
L'animal se sent agité
De mouvements que le vulgaire appelle
Tristesse, joie, amour, plaisir, douleur cruelle,
(50) Ou quelque autre de ces états.
Mais ce n'est point cela ; ne vous y trompez pas.
Qu'est-ce donc ? Une montre. Et nous ? C'est autre chose.
Voici de la façon que Descartes l'expose ;
Descartes, ce mortel dont on eût fait un dieu
Chez les Païens, et qui tient le milieu
Entre l'homme et l'esprit, comme entre l'huître et l'homme
Vue d’ensemble de Plutarque à Montaigne, à Descartes, à La Fontaine, à Ghandi, à Keith Thomas, à Robert Delort, à Peter Singer, à Marguerite Yourcenar, à Milan Kundera…
Entre les fiers taureaux des grottes de Lascaux et leurs descendants actuels entrant, déjà morts, dans un abattoir industriel, quel contraste! Entre l’homme des origines, rempli d’admiration et de frayeur sacrée devant les grands mammifères et l’homme d’aujourd’hui qui peut les cloner mais aussi les protéger, quel renversement de perspective! L’histoire des changements survenus entre ces deux moments a-t-elle un sens? L’homme devenu le maître tyrannique des animaux, après avoir été leur rival, deviendra-t-il leur frère compatissant? On pourrait le croire tant la cause du droit des animaux a progressé au cours des deux derniers siècles. Mais tout ce progrès moral n’est-il pas annulé par ces abattages sans autres causes qu’économiques et par ces fermes usines qui continuent de se substituer aux élevages traditionnels? La cruauté des hommes à l’endroit des animaux a-t-elle vraiment diminué? N’est-elle pas seulement devenue plus abstraite, plus distante, plus froide, plus massive, comme la cruauté des humains entre eux? D’un côté cette cruauté abstraite, de l’autre, par compensation, un souci du bien-être des bêtes tel que bien des animaux sont dénaturés à force d’être cajolés! Autre cruauté, celle-là déguisée en sensiblerie!
La Charte des droits des animaux
Il existe depuis quelques années une charte des droit des animaux reconnue par les Nations-Unies. Cette charte est conforme aux vœux formulés dans le passé par Hippocrate, Léonard de Vinci, Voltaire, Maupertuis, Goethe, Schiller, Victor Hugo, Tolstoï, Mark Twain, G. B. Shaw, Gandhi, C. G. Jung, les Prix Nobel Hermann Hesse et Albert Schweitzer.
Marguerite Yourcenar a accordé son appui au projet:
«Si nous étions capables d'entendre
les hurlements des bêtes prises à la trappe,
nous ferions plus attention à la détresse
des prisonniers de droit commun.»
On peut aussi aimer les animaux au point de s'identifier à leur destin tragique. On s'abstiendra alors de cruauté gratuite à leur égard mais sans en faire une question d'éthique et sans élever le végétarisme au rang d'un impératif catégorique. C'était la position de Nietzsche, si l'on en juge par ses nombreux écrits sur la vie et par le dernier acte qu'il a posé avant de sombrer définitivement dans la folie. De passage à Turin, il s'est indigné contre un cocher en train de frapper son cheval à coup de cravache. Il s'est ensuite jeté au cou de la bête en pleurant. Cet événement a inspiré le commentaire suivant au romancier Milan Kundera:
«La vraie bonté de l'homme ne peut se manifester en toute liberté et en toute pureté qu'à l'égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l'humanité (le plus radical, qui se situe à un niveau tel qu'il échappe à notre regard), ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci: les animaux. Et c'est ici que s'est produite la plus grande déroute de l'homme, débâcle fondamentale dont toutes les autres découlent ».10
Si l'animal est une machine, alors l'homme est-il lui-même autre chose? Ne peut-on pas réduire les actions du vivant à une simple mécanique complexe? Les enjeux sont aujourd'hui plus importants que jamais car, si l'homme est une mécanique complexe, au nom de quoi défendre, ou limiter les expérimentations humaines, les transplantations d'organes, la reproduction assistée etc? Les destins de l'homme et de l'animal sont unis étroitement.
«Qu'est-ce donc ? - Une montre. Et nous? - C'est autre chose.»
« Avec cette petite phrase, La Fontaine, dans son Discours à Madame de La Sablière, donne un résumé parodique de la théorie cartésienne des «animaux-machines»; toute l'ironie de la phrase réside dans le «...Et nous?»: la question est de savoir à quel titre l'homme peut s'excepter d'un discours sur les animaux et «désolidariser» sa propre nature de la leur. Que l'homme soit au coeur du débat sur l'animal, Condillac, un autre opposant à la théorie des animaux-machines, le souligne aussi au début de son Traité des animaux (1755). «Il serait peu curieux de savoir ce que sont les bêtes, si ce n'était pas un moyen de savoir ce que nous sommes.» Il n'y a donc pas d'affirmation gratuite sur l'animal: tout discours sur la nature des animaux a des retombées sur l'homme. Faire de l'animal une simple machine, c'est en même temps comprendre l'ensemble des actions humaines à partir d'un modèle mécaniste: nous voudrions donner ici, en évoquant l'histoire de la philosophie, un aperçu des enjeux, tant métaphysiques qu'éthiques, de cette réduction mécaniste du vivant.
Autre rapport pessimiste sur la disparition des espèces…Malheureusement, dans les rapports de ce genre, le diagnostic n’est jamais complet. On ne précise pas que lorsque la vie s’éteint dans la nature elle s’éteint aussi dans les êtres humains. Hélas! si l’extinction dans la nature est mesurable, l’extinction à l’intérieur de chacun d’entre nous, étant d’ordre qualitatif, est invisible et indolore, sauf peut-être pour ceux qui habitent encore les deux mondes, qui vivent en symbiose avec la vie extérieure tout en subissant l’influence et l’empreinte des machines.
C’est mon cas. Depuis quelques années, je ne vois plus d’hirondelles dans la niche protégée où je prends congé de mon ordinateur. J’ai le sentiment qu’une partie de mon âme m’est enlevée. Les hirondelles illustrent par leur fragilité et leur souplesse des qualités de la vie qui existent aussi en moi, au moins à l’état d’ébauche et qui s’atrophient quand disparaît l’oiseau qui en est le symbole. C’est ainsi, je pense qu’il faut interpréter ce mot du psychiatre Henri F. Ellenberger : « Quand une espèce animale disparaît le bestiaire intérieur de l’humanité s’appauvrit. » Celui qui n’a jamais vécu dans l’intimité des hirondelles ne saura jamais de quoi leur absence le prive. C’est pourquoi à mesure que se répandent les modes de vie où l’on n’a de contacts qu’avec des machines ou des objets fonctionnels, l’indifférence et l’insensibilité à l’endroit des espèces vivantes s’accroissent, ce qui accélère l’extinction des dites espèces, etc., boucle de rétroaction positive sans fin.
Boucle dans laquelle s'inscrivent les animaux industrialisés de l'une des nouvelles vedettes de du non-art contemporain, Richard Orlinsky. À comparer au douanier Rousseau, un autre artiste populaire mort en 1910.
La greffe salvatrice
D’où l’importance de multiplier, pour les enfants d’abord, les occasions de vivre dans l’intimité des plantes et des animaux. Nous vous invitons donc à emprunter notre sentier des fleurs sauvages avec l’espoir qu’il vous incitera à emprunter les sentiers réels de randonnée. Nous vous invitons aussi à participer au développement de l’éco psychologie. Renoue toi-même avec la vie et tu éprouveras le besoin de la défendre hors de toi.
Jules Michelet
Le philosophe Glenn Albrecht, professeur de développement durable à l'université Murdoch de Perth et ancien activiste qui dénonça dans la presse les industries fossiles d'Australie, est l'un des penseurs de l'écopsychologie qui s'intéresse à l'existence d'un inconscient écologique.
Le drame de l'Upper Hunter Valley fournit à Albrecht l'occasion d'approfondir ses recherches. Il y a une vingtaine d'années, les résidents de cette luxuriante vallée située au Sud Est de l'Australie jouissaient d'un climat et d'un environnement qui lui ont valu le surnom de Toscane du Sud. Une oasis pour la culture de l'alfalfa et l'élevage des vaches laitières. Jusqu'à ce qu'une exploitation massive de mines de charbon à ciel ouvert transforme complètement la vallée: une poussière dense et collante s'est abattue sur les toits des maisons, les récoltes et les animaux. Rivières et ruisseaux ont été pollués par les produits chimiques qui y furent rejetés à quoi s'ajoute une autre source de pollution: le ronronnement obsédant des camions de transport.
Les résidents ont fait appel à Albrecht qui est allé constater sur place leur détresse. Ils avaient perdu ce sentiment pacifiant que procure l'appartenance à un lieu de vie naturel dont on jouit depuis sa naissance ou que l'on a choisi.
On connaissait la souffrance des personnes déplacées par des catastrophes ou par des décisions administratives (les aborigènes par exemple transportés dans un territoire éloigné). Mais qu'en est-il de la souffrance des personnes subissant la transformation brutale de leur environnement? Selon Albrecht cette souffrance est plus profonde que celle provoquée par des conditions difficiles. C'est un état psychologique jusque-là méconnu et qu'il décrit comme une solastalgia. Un mot qu'il a créé à partir du latin solacium (confort)et du grec algia (douleur). Une nostalgie, une détresse née non pas de la séparation d'avec son milieu de vie mais de sa dégradation.
Solastalgia: ce mot commence à se répandre; il désigne entre autres la souffrance ressentie par les Inuit faisant face aux changements climatiques de leur environnement. Et également, celle des habitants de la Nouvelle Orléans lorsqu'ils retournèrent vivre dans leur ville ravagée par Katrina. (On sait maintenant que de nombreux résidents moururent rapidement lorsque déportés un peu partout aux États-Unis). La dégradation de l'environnement à l'échelle planétaire est telle que cette solastalgia est ressentie plus ou moins dans l'ensemble du monde. La question qui se pose: quelle est la profondeur de cette souffrance, de cette rupture d'avec l'appartenance pacifiante à son milieu de vie? Quel est le lien entre la bonne santé de la nature et celle de l'esprit? Il existe un lien entre le comportement des humains et les façons de penser qui contribuent au réchauffement planétaire. Comment amener les victimes à agir sur la dégradation de la nature? Comment les aider à surmonter leurs barrières intérieures, leur sentiment d'impuissance, de tristesse, d'anxiété, de désespoir, de torpeur?
Qu’est-ce que cela ? Mon Dieu! Est-ce possible… Une vache, c’est une vache.
Habitant la campagne profonde depuis des lunes et des soleils, des canicules et des blizzards, dans une maison blottie sur un vaste terrain entouré de champs où paissent des troupeaux, une pléiade d’animaux sont venus flairer le potager, déshabiller le maïs, croquer les pommes abandonnées de l’automne, attraper une poule nomade.
Ils sont tous venus faire notre connaissance, biches si belles survenant à l’improviste, moufettes malodorantes et indélogeables sous la galerie, ratons laveurs ou renards si ondoyants, prédateurs de nos poules, chats errants disputant à Cocodi sa ration de croquettes, et même une dinde sauvage, ô merveille, juchée sur un pommier, un matin de printemps, et son mâle au pied e l’arbre faisant le guet.
Et les oiseaux, cet harfang des neiges royalement agrippé à un poteau, tout blanc sur la blancheur d’une couverture de neige, Et ces pics bois tapant obstinément notre réveil aux aurores, sur la vitre de notre chambre. J’en oublie et des plus aimés, tous les oiseaux qui sonnent l’appel de l’été lorsque, fatigués de jardiner, nous nous reposons en regardant pousser nos salades : l’oriole, le jaseur des cèdres, la mésange de toutes les saisons, le vif chardonneret. Et bien agrippée au sol, indifférente à leur vol, une tortue qui s’est réfugiée sous l’échelle d’un ouvrier.
L'Encyclopédie de l’Agora n’est pas une somme des connaissances établie par une myriade de spécialistes sans grandes affinités entre eux. Elle est une œuvre, celle d’un auteur principal entouré d’amis ayant des affinités intellectuelles avec lui et ébauchant séparément leur propre synthèse. [En savoir davantage]
Plus nous avançons sur le chemin de la paix intérieure et de l'intégrité, plus le sens de l'appartenance croît et s'approfondit. Ce n'est pas seulement l'appartenance [...] à une communauté qui est en cause, mais aussi l'appartenance à l'univers, à la terre, à l'eau, à tout ce qui vit, à toute l'humanité.
À l’heure où les astrophysiciens décrivent la farandole des galaxies et la valse des étoiles, la conception dominante de l’univers se réduit au mot Big Bang, évoquant une explosion, comme celle d'Hiroshima. La tradition, et une certaine science depuis peu, nous invitent à lui préférer, métaphore pour métaphore, celle de l'éclosion, associée à celle de l'oeuf cosmique. S'il est incontestable qu'il y eut violence à l'origine, faut-il en conclure que cette violence doit être absurde comme dans une explosion, faut-il exclure qu'il puisse s'agir d'une violence ayant un sens, comme celle de l'éclosion?
«Seule la vie peut donner la vie. L’intelligence peut façonner, mais étant morte, elle ne peut donner une âme. De la vie seulement peut jaillir le vivant.» Goethe, Zahme Xenien
«Est dit éternel ce qui par soi ne peut changer ni vieillir ni périr. Une sublime amitié est éternelle en ce sens qu'elle ne peut être atteinte qu'obliquement et par des événements qui lui sont tout à fait étrangers. L'amour prétend être éternel. Les pensées les plus assurées, comme d'arithmétique et de géométrie, sont éternelles aussi. La durée, au contraire, est essentielle à tout ce qui change et vieillit par soi. L'idée de rassembler tout l'éternel en Dieu est raisonnable, quoique sans preuve à la rigueur, comme au reste tout éternel, amitié, amour, arithmétique.» (Alain, Les dieux et les arts)
«On va à Dieu par des commencements sans fin», écrit un Père de L’Église. Cette page est notre premier commencement… Une parfaite définition de Dieu par le plus grand des théologiens serait moins à sa place ici que nos balbutiements. Étant les auteurs d’une oeuvre qui comporte déjà mille allusions à Dieu, c’est à nous, cohérence oblige, qu’il appartient d’évoquer le foyer vers lequel convergent ces allusions.
L’humanisme est une vision du monde où tout gravite autour de l’homme comme tout gravitait autour de Dieu dans la vision antérieure en Occident. Ainsi défini, l’humanisme est le produit d’une révolution copernicienne inversée: l’homme, auparavant satellite de Dieu, devient l’astre central.
La plante est immobile et choyée. Sa nourriture lui est donnée. Il lui suffit pour l’accueillir de laisser croître ses racines dans la terre et dans le ciel. L’animal doit chercher sa nourriture, et pour cela, il est libre dans ses déplacements. Sans doute est-ce la raison pour laquelle on l’a associé étroitement à l’homme, mais ainsi amputé de sa dimension plante, ce dernier n’allait-il pas s’éloigner de ce qui deviendrait un jour un idéal pour les jeunes et pour les vieux une nécessité i : contempler et à cette fin rester immobile.
Tout dans l’univers, et l’univers lui-même, tend vers le froid uniforme, et un désordre qui n’est rien d’autre que la rupture des liens unissant les éléments constitutifs du vaste ensemble. Dans ce monde qui se défait, les êtres vivants sont des points d’ordre qui contredisent la loi générale. En eux l’énergie, qui se dégrade tout autour, se concentre pour former tantôt une plante qui grimpe, tantôt un animal qui vole, tantôt un animal qui pense... qui aime, qui aime ô merveille! au-delà de ce que l’espèce exige de lui pour assurer sa propre reproduction.
Qu’est-ce que la vérité ? Pourquoi nous donnons-nous tant de mal pour la trouver, la défendre et la répandre ? Tentons d’abord de répondre par le recours le plus simple et le plus spontané à la raison. La vérité c’est la vie, ce qui assure sa persistance et sa croissance : distinguer la plante toxique de la plante nourricière, la vraie beauté, celle qui élève par opposition à celle qui dégrade. La preuve est dans le résultat, dans le degré d’accomplissement des êtres en cause.
En bas de cette échelle, l’élan impétueux de l’animal sauvage bondissant hors de sa cage-piège; en haut un sage ébloui par ses principes, un mystique ravi par son Dieu. Impulsion dans le premier cas, contemplation dans le second. Point de choix en ces extrêmes. «Les instincts des animaux survivent dans l’homme à l’état d’ébauche.» (K.Lorenz). À leur place, un grand vide angoissant. Ce vide est le lieu de naissance de la liberté.
Le mal dont le bien doit triompher en nous pour nous rendre meilleur n’est pas une simple carie dentaire qu’on peut obturer en quelques secondes, mais une infection centrale résistant aux antibiotiques. La vie de celui qui désire vraiment en guérir ressemblera à un chenin de croix ou à la marche d’un Bouddha à recherche de la voie du milieu.
« C'est à coups de tonnerre et de feux d'artifice célestes qu'il faut parler aux sens flasques et endormis. Mais la voix de la beauté parle bas: elle ne s'insinue que dans les âmes les plus éveillées. Doucement mon bouclier a vibré et a ri aujourd'hui : c'était le frisson et le rire sacré de la beauté! » Nietzsche
«Si les citoyens pratiquaient entre eux l'amitié, ils n'auraient nullement besoin de la justice; mais, même en les supposant justes, ils auraient encore besoin de l'amitié.» ARISTOTE, Éthique à Nicomaque
Proche du scepticisme sur le plan intellectuel, la neutralité est aussi proche de l'indifférence sur le plan affectif et de l'indifférentiation sur le plan physiologique.
D’abord la justice et bien commun! Il sera souvent question de la démocratie dans cette synthèse. Trop peut-être, car en ce moment, dans les démocraties occidentales du moins, dont certaines sont en voie de désintégration, on a recours au concept de démocratie lui-même comme critère pour juger de la situation concrète dans les démocraties en cause. Funeste tautologie contre laquelle Aristote nous avait mis en garde.
C'est dans l'indignation devant l'injustice qu'il faut d'abord chercher la voie de la justice. Il faut toutefois au préalable pouvoir distinguer le sentiment authentique et universel d'injustice de l'insatisfaction personnelle qui est à l'origine des revendications.
Quelques regards critiques dans un contexte, celui du progrès technique, où l’approbation inconditionnelle et universelle va de soi, en dépit de cette mise en garde maintes fois formulée : « ce qui est possible devient nécessaire.» Qui donc en ce moment veut et peut s’opposer aux innovations, souvent discutables pourtant, dans le domaine des techniques de reproduction humaine?
Sapere : goûter et savoir. Associer ces deux expériences pour mieux comprendre l’une et l’autre et s’habituer ainsi à distinguer la vraie culture, nourricière, de la fausse, réduite au divertissement. Deux sujets vastes.
La perspective historique la plus longue possible est la voie royale pour préciser le diagnostic et trouver les meilleurs remèdes au mal qui frappe l’éducation.
La caractérologie, une science en plein essor au début du XXème siècle, semble être aujourd’hui en voie d’extinction. Ne serait-ce pas parce que le caractère des personnes a disparu ? Certains maîtres en cette discipline, dont Ludwig Klages, en avaient prédit l’extinction pour cette raison.
Le mot ordinateur a des origines théologiques. Celui qui a proposé de traduire computer par ordinateur, Yves Perret, a justifié son choix en précisant que le mot ordinateur se trouve dans le dictionnaire Littré comme adjectif désignant Dieu en tant qu'Il est celui qui met de l'ordre dans le monde. L'ordinateur ressemble pourtant moins à Dieu qu'à l'homme [...]
Plus un sport est naturel, plus il y a de chances qu'on puisse le pratiquer longtemps, parce qu'on en aura toujours le goût et les moyens. Quel que soit le sport choisi, il ne restera durable que si on le pratique avec mesure, dans le respect de l'ensemble de l'organisme et de chacun des organes et des muscles sollicités, avec en outre le souci de rendre toujours plus harmonieux les rapports de l'âme et du corps.
«C'est par le truchement de l'expression artistique que les valeurs les plus hautes acquièrent une signification éternelle et une force capables d'émouvoir l'humanité. L'art possède la faculté illimitée de transformer l'âme humaine — faculté que les Grecs appelaient psychagogia. Seul, en effet, il dispose des deux éléments essentiels à l'influence éducative: une signification universelle et un appel immédiat. Parce qu'il combine ces deux moyens susceptibles de faire autorité sur l'esprit, il surpasse à la fois la réflexion philosophique et la vie réelle.» Werner Jaeger, Paideia: la formation de l'homme grec
Faire acte de science c’est échapper à la contrainte sous toute ses formes : préjugés personnels, conformisme, tradition, pression sociale, financière, opinion majoritaire, y compris celle des pairs. Serait-ce la raison pour laquelle la science a fleuri dans la Grèce antique puis dans l’Europe moderne. Et n’est-ce pas en raison de l’oubli de cette règle qu’elle tombée en disgrâce dans la Russie stalinienne et les États-Unis de Donald Trump ?
L'attente active, celle qui consiste à soumettre à la critique les réponses imparfaites, Socrate l'appelait philosophie, mot qui signifie amour (philein ) de la sagesse (sophia). Cet amour s’accomplit à deux conditions : la rigueur dans la pensée et le souci de la purification dans la vie personnelle.
Quelques regards critiques dans un contexte, celui du progrès technique, où l’approbation inconditionnelle et universelle va de soi, en dépit de cette mise en garde maintes fois formulée : « ce qui est possible devient nécessaire.» Qui donc en ce moment veut et peut s’opposer aux innovations, souvent discutables pourtant, dans le domaine des techniques de reproduction humaine?
Le mot ordinateur a des origines théologiques. Celui qui a proposé de traduire computer par ordinateur, Yves Perret, a justifié son choix en précisant que le mot ordinateur se trouve dans le dictionnaire Littré comme adjectif désignant Dieu en tant qu'Il est celui qui met de l'ordre dans le monde. L'ordinateur ressemble pourtant moins à Dieu qu'à l'homme [...]
Selon Marguerite Yourcenar, Marc Aurèle,le sage Marc-Aurèle, le divin Marc, est le Romain de l’antiquité dont il subsiste le plus de sculptures. Preuve qu’il a été le plus admiré, aimé. S’il est vrai que la qualité d’un amour se mesure à la beauté, à la variété et au nombre des œuvres d’art qu’il a inspirées, le christianisme est une prodigieuse histoire d’amour.
Ce catholicisme qui nous a faits ! Plusieurs sont d’avis qu'il nous a défaits à la fois politiquement et psychologiquement. Depuis 1960, ils ont eu toutes les tribunes dont ils pouvaient rêver pour exposer leurs regrets et leurs doléances. Dans cette synthèse, nous voulons donner la parole à ceux qui, sans avoir renoncé à leur esprit critique, veulent bien reconnaître que le catholicisme nous a aussi faits… un peu, a contribué à notre épanouissement et à notre accomplissement, en tant que peuple comme en tant qu’individus. Même si elle ne devait être qu’un dernier adieu reconnaissant, cette synthèse est nécessaire [...]
Le Québec est un microcosme. Se trouve-t-il un seul groupe humain sur la planète auquel il ne ressemble pas par quelque côté?
On y parle les deux langues qui ont le plus contribué à faire le monde tel qu'il est aujourd'hui: le français et l'anglais. La société de ce Québec était traditionnelle, médiévale même, il y a à peine cinquante ans; elle devance aujourd'hui la Californie dans certaines expérimentations.