L'Encyclopédie de L'Agora : une vision organique du monde
Plus nous avançons sur le chemin de la paix intérieure et de l'intégrité, plus le sens de l'appartenance croît et s'approfondit. Ce n'est pas seulement l'appartenance [...] à une communauté qui est en cause, mais aussi l'appartenance à l'univers, à la terre, à l'eau, à tout ce qui vit, à toute l'humanité.
Voir le site Appartenance-Belonging.
Comment renouer avec la vie sous ses diverses formes : élémentaire, psychologique, spirituelle, intellectuelle aussi. Elles sont indissociables. On a tendance aujourd’hui à exclure la dimension intellectuelle de la sphère de la vie, l’éducation étant d’abord conçue, non comme une quête de nourriture pour l’esprit mais comme un moyen d’acquérir une méthode pour réussir dans une carrière de technicien. Klages dirait que du désir de créer une œuvre (Werk) qui est une fleur de la vie, on est passé à celui de poser un acte (Tat) consistant à résoudre un problème. Si bien que nous en sommes réduits à rêver d’échapper à nos maux par la conquête de la planète Mars.
Puisque nous naissons avec les gènes et sans doute aussi avec l’inconscient enchanté de nos ancêtres, la réinsertion dans le flux de la vie demeure possible, mais à certaines conditions. Tout a été dit sur ces conditions dans les grandes traditions spirituelles et philosophiques. Avec raison, plusieurs reviennent en ce moment aux enseignements de Lao Tseu et de Maître Eckhart sur le détachement de soi en vue du rattachement à mieux que soi. Le contexte nouveau nous oblige toutefois à une mise à jour de ces invariants. Dans un retour au réel aujourd’hui, le jeûne médiatique pourrait bien être la première chose qui s’impose.
« L'homme, exilé sur la terre, est maintenant exilé de la terre ».G.T.
En 1998, je publiais Après l'homme le cyborg? C'était un cri d'indignation accompagné de considérations métaphysiques sur le glissement – qui m'apparaissait irréversible – vers la posthumanité. On voyait déjà apparaître à l'horizon cet être hybride, mi-chair mi-métal, ultime réussite de l'évolution, qu'on appellera cyborg, androïde, posthumain ou transhumain. J’avais le sentiment d'appartenir à une génération qui tomberait de l'arbre de la vie avant d'avoir mûri. Je ne me résignais pas à être un exilé de la terre, après avoir été exilé sur elle.
Spontanée dans la nature sauvage, la résilience exige de délicates interventions quand l'habitat humain est en cause. Jean Giono, le poète de la résilience, a évoqué ces interventions dans deux récits complémentaires.
Dans le premier, L'homme qui plantait des arbres, porté au cinéma par Frédéric Back, la renaissance commence par la périphérie, par l'environnement lointain. Pour que les êtres humains reviennent dans le village, il faut d'abord que les sources y coulent de nouveau. Dans le second récit intitulé Regain, la renaissance commence par le centre. Le dernier habitant d'un village abandonné, un homme jeune et vigoureux rencontre un femme qui accepte de partager son sort. Cette femme redonne vie à la maison: résilience domestique. Et l'homme, vivant de la vie de sa maison, redonne leur fertilité aux champs.
Ce lien étroit entre les phénomènes sociaux (humains) et les phénomènes écologiques (biophysiques) est devenu sous le nom de SES (Système économico social) l'unité de base dans la recherche scientifique sur le développement durable
De plus en plus utilisé dans les sciences, le concept de résilience occupe une place importante dans la recherche sur le développement durable. Il est l'un des concepts avec ceux, voisins, de vulnérabilité et de capacité d'adaptation, qui caractérise le SES. Retenons ici que les phénomènes sociaux (humains) et les phénomènes écologiques (biophysiques) sont en interaction mutuelle à l'intérieur d'un même ensemble.
Mon propos est de voir dans quelle mesure la métaphore prometteuse de la résilience peut nous aider à échapper aux pièges du réductionnisme et à préciser les conditions dans lesquelles, en faisant des transpositions d'un champ d'application à un autre, du vivant au conscient, ou inversement, par exemple, on peut enrichir la pensée et l'action relative à chacun de ces champs. Peut-elle nous éclairer sur les ressorts propres à la philia ou faudra-t-il nous rabattre sur le fol espoir de la sauvegarder par transgénie?
Brouillard ou arc-en-ciel de sens?
À l'origine, en métallurgie, la résilience désigne une qualité des matériaux qui tient à la fois de l'élasticité et de la fragilité, et qui se manifeste par leur capacité à retrouver leur état initial à la suite d'un choc ou d'une pression continue. Le Robert ne retient qu'une de ces deux idées, celle de la résistance au choc, et définit la résilience comme le rapport, exprimé en joules par cm2, de l'énergie cinétique absorbée qui est nécessaire pour provoquer la rupture d'un métal à la surface de la section brisée.
Le terme anglais resiliency évoque l’idée de tolérance aux failles et aux anomalies ainsi que celle d’insensibilité aux défaillances. Transposé en éthique, le concept n’est pas sans affinité avec l’apathie ou l’ataraxie des stoïciens*. En psychologie morale*, il désigne l’aptitude à résister à la souffrance et à faire face à la vie, à rebondir après une détresse et à lutter pour sa survie. L’acquisition ou le développement de cette aptitude pourrait donc être utile sous certaines réserves. Le concept de «résilience» a été élaboré dans plusieurs domaines (dossier «Résilience» dans l’Encyclopédie de l’Agora, encyclopédie virtuelle,
En psychologie, Fritz Redl introduit le concept d’ego resilience en 1969 et décrit le phénomène des enfants invulnérables (invulnerable children). Dès 1980, plusieurs ouvrages sont consacrés à la réussite fulgurante d’individus ayant connu une enfance catastrophique de maltraitance. En France, Boris Cyrulnik est un promoteur fort médiatisé de la résilience:
Les communautés, comme tout système vivant, ont leur spontanéité et sont capables de résilience. Plutôt que de tenter de les réanimer ou de les reconstruire (building communities) par des moyens mécaniques puissants, n'est-il pas plus sage de se limiter à une action négative consistant à éliminer les obstacles à leur développement spontané? L'auteur appelle cette approche hippocratisme social. Il a précisé sa pensée sur le sujet dans un article subséquent intitulé Le roseau et le tardigrade.
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L'hippocratisme social
Hippocrate avait compris que ce n'est pas la médecine qui guérit la nature, que c'est cette dernière qui se guérit elle-même, aidée parfois par la médecine. De même pour les communautés: elles se constituent ou se reconstituent d'elles-mêmes, aidées parfois par des intervenants dont le premier devoir est de ne pas nuire. Si bien que les quatre principes fondamentaux d'Hippocrate devraient devenir ceux de l'action sociale:
Premièrement, ne pas nuire
Deuxièmement, combattre le mal par son contraire
Troisièmement, mesure et modération
Quatrièmement, chaque chose en son temps
Peut-on lire la Renaissance comme un phénomène de résilience culturelle? Il s'agit pour l'auteur d'apporter un élément de preuve à la thèse suivant laquelle l'indice de résilience des sociétés grecques est directement lié au niveau d'humanisme que ces sociétés avaient réussi en partie à atteindre.
En 529, l'empereur Justinien ferme l'École d'Athènes et les néoplatoniciens émigrent en Iran. Un millénaire plus tard ou presque, avant la prise de Constantinople par les Turcs, des platoniciens immigrés à Florence transfèrent l'héritage de l'Antiquité et fondent, en 1440, l'Académie platonicienne, qui sera le creuset de la Renaissance. Cette vivacité millénaire de la philosophie platonitienne est un cas historiquement observable, parmi tant d'autres, d'un corps de doctrine ayant résisté à la censure et aux dérives de la transmission, par-delà les siècles et les continents.
La résilience, c’est la capacité de retomber sur ses pieds, de garder le cap, d’assurer la pérennité d’un organisme ou d’une société, le maintien d’une certaine permanence dans un environnement turbulent.
La notion de résilience est toutefois polyvalente. Dans une socio-économie résiliente, ce qui est permanent n’est pas nécessairement toujours défini de la même manière. Il y a toute la différence du monde entre une résilience qui assure la conservation intégrale d’un certain état de l’économie (dans une socio-économie stationnaire) et une résilience qui assure un certain régime de renouvellement (dans une socio-économie dynamique). Pour bien jauger le degré de résilience d’une socio-économie, il faut donc l’analyser selon diverses longueurs d’ondes, car dans chacune d’elles la résilience prend un sens différent.
Nous allons d’abord nous donner un vocabulaire et mettre en place un cadre d’analyse simple. Ensuite, nous procéderons à l’examen de la résilience dans l’économie à quatre paliers.Puis nous allons montrer comment, malgré la transformation fondamentale de l’économie en apparence, certains éléments de l’économie traditionnelle comme la confiance sont en train de refaire surface comme piliers fondamentaux de la socio-économie moderne. En conclusion, nous montrerons que la résilience joue un rôle fondamental mais ambigu en économie.
«L'Enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l'âme humaine. C'est un des plus difficiles à définir. Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l'existence d'une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d'avenir. Participation naturelle, c'est-à-dire amenée automatiquement par le lieu, la naissance, la profession, l'entourage. Chaque être humain a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle par l'intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie.»
SIMONE WEIL, L'enracinement
On a tendance aujourd’hui, du moins en Europe et en Amérique, à préférer la diversité à l’identité, même lorsque la diversité prend la forme d’un multiculturalisme pur. Nietzsche avait aperçu ce danger: «Tous les temps et tous les peuples jettent pêle-mêle un regard à travers vos voiles; toutes les coutumes et toutes les croyances parlent pêle-mêle à travers vos gestes.
Toutes les époques déblatèrent les unes contre les autres dans vos esprits; et les rêves et les bavardages de toutes les époques étaient plus réels encore que vos veilles!
De tous les ensembles entourant les individus dans le monde moderne, l'État-nation semble bien être celui qui a le mieux résisté à l'érosion générale. S'il y eut médiatisation de la famille plutôt que domestication des médias, c'est l'inverse qui semble s'être passé dans le cas de l'État-nation. La nationalisation des médias a été une réussite au moins partielle. L'usage que les nazis firent de la radio indiquerait même que les nouveaux médias étaient d'abord destinés à renforcer le sentiment national. C'est l'une des thèses de McLuhan.
Le patriotisme de compassion. Trois noms sont associés dans mon esprit à cette idée qui pourrait bien enfermer l’inspiration dont le Québec, la France et bien d’autres pays occidentaux ont besoin en ce moment : celui de Simone Weil, l’auteur de l’Enracinement, celui d’Albert Camus qui a publié l’Enracinement dans sa collection Espoir chez Gallimard et celui d’Alain Finkielkraut qui, en ce moment, défend le patriotisme de compassion avec une éloquence qui dépasse l’éloquence.
[…]
Le patriotisme de compassion, nous dit Simone Weil, appartient à la même sphère du sacré : il consiste à aimer sa patrie non en tant que sienne, mais en tant que chose fragile et précieuse, qui réunit en un point du temps et de l’espace, les conditions de l’accomplissement d’êtres humains.
Au 20e siècle, le rêve de tout peuple voulant s'affranchir d'une “domination” étrangère réside dans la conquête d'un illusoire contrôle absolu sur le territoire “national” et l'appartenance à l'Organisation des Nations-Unies, ultime consécration de l'existence juridique d'un État. L’État moderne peut se définir comme un État-nation. L'histoire moderne s'inscrit donc sous le signe des nationalités: phénomène ancien pour les uns, phénomène lié aux développements socio-politiques depuis la Renaissance pour les autres.
L'Encyclopédie de l’Agora n’est pas une somme des connaissances établie par une myriade de spécialistes sans grandes affinités entre eux. Elle est une œuvre, celle d’un auteur principal entouré d’amis ayant des affinités intellectuelles avec lui et ébauchant séparément leur propre synthèse. [En savoir davantage]
« C'est à coups de tonnerre et de feux d'artifice célestes qu'il faut parler aux sens flasques et endormis. Mais la voix de la beauté parle bas: elle ne s'insinue que dans les âmes les plus éveillées. Doucement mon bouclier a vibré et a ri aujourd'hui : c'était le frisson et le rire sacré de la beauté! » Nietzsche
Selon Marguerite Yourcenar, Marc Aurèle,le sage Marc-Aurèle, le divin Marc, est le Romain de l’antiquité dont il subsiste le plus de sculptures. Preuve qu’il a été le plus admiré, aimé. S’il est vrai que la qualité d’un amour se mesure à la beauté, à la variété et au nombre des œuvres d’art qu’il a inspirées, le christianisme est une prodigieuse histoire d’amour.
Plus nous avançons sur le chemin de la paix intérieure et de l'intégrité, plus le sens de l'appartenance croît et s'approfondit. Ce n'est pas seulement l'appartenance [...] à une communauté qui est en cause, mais aussi l'appartenance à l'univers, à la terre, à l'eau, à tout ce qui vit, à toute l'humanité.
La perspective historique la plus longue possible est la voie royale pour préciser le diagnostic et trouver les meilleurs remèdes au mal qui frappe l’éducation.
La caractérologie, une science en plein essor au début du XXème siècle, semble être aujourd’hui en voie d’extinction. Ne serait-ce pas parce que le caractère des personnes a disparu ? Certains maîtres en cette discipline, dont Ludwig Klages, en avaient prédit l’extinction pour cette raison.
Proche du scepticisme sur le plan intellectuel, la neutralité est aussi proche de l'indifférence sur le plan affectif et de l'indifférentiation sur le plan physiologique.