L'Agorales synthèses

L'Encyclopédie de L'Agora : une vision organique du monde


Amour

Vivre et aimer

Tout dans l’univers, et l’univers lui-même, tend vers le froid uniforme, et un désordre qui n’est rien d’autre que la rupture des liens unissant  les éléments constitutifs du vaste ensemble. Dans ce monde qui se défait, les êtres vivants sont des points d’ordre qui contredisent la loi générale. En eux l’énergie, qui se dégrade tout autour, se concentre pour former tantôt une plante qui grimpe, tantôt un animal qui vole, tantôt un animal qui pense... qui aime, qui aime ô merveille! au-delà de ce que l’espèce exige de lui pour assurer sa propre reproduction.

 Cet amour est un nouveau point d’ordre supérieur dans le monde vivant: quand deux êtres humains se regardent l’un l’autre avec tendresse, la vie s’accomplit, atteint le terme de son évolution. Ces deux êtres, qui par leurs regards réciproques dessinent le contour de l’oasis qu’ils vont créer, sont des mortels qui se savent mortels et qui, sans toujours oser ou pouvoir se le dire l’un à l’autre explicitement, espèrent, en s’unissant, créer une forme de vie supérieure: l’amour, où ils se sentiront plus près de l'éternité que dans leurs existences séparées.

Le vertige ascendant de l'amour

Nous sommes exposés à des angoisses, des rencontres avec le néant qui, après nous avoir conduits au seuil du suicide, peuvent être pour nous l'occasion de découvrir que le choix de vivre et le choix d'aimer ne font qu'un. Je pense à ce vertige de la contingence, où tout ce qui nous est le plus précieux, les êtres chers, l'univers, la vie,  perd tout sens, toute valeur, toute réalité, du seul fait que cela aurait pu ne pas exister, pourrait ne plus exister demain. Un autre coup de dé et tout disparaîtrait. Devant ce mal, notre raison et notre volonté sont impuissantes. Il passe et la vie reprend son cours, mais si un jour il persiste, nous sommes sans appui dans le monde. Les preuves de l'existence de Dieu ou d'une heureuse auto organisation de la matière ne nous sont d'aucun secours; elles sont elles-mêmes invalidées par la contingence. Le seul remède possible et il ne peut que nous être donné, c'est l'abandon au vertige ascendant et lumineux de l'amour.

«L'amour et la volupté. La plus haute fonction de la volupté ne serait-elle pas de favoriser, en supprimant l'obstacle du désir, l'essor de l'amour vers un mystère plus profond, vers l'inaccessible nudité de l'âme? À moins que l'amour ne soit que le prête-nom du désir; alors il ne survit pas à la possession. La volupté apparaît ainsi comme l'épreuve de l'amour: c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase, soit du côté du néant, soit du côté de l'infini. [...] La possession  physique purge l'amour des feux de l'instinct et des fumées de l'imaginaton; s'il n'est fait que de cela il s'éteint, mais s'il  porte en lui un peu de semence divine, elle s'élance tout entière vers son lieu qui est l'éternet, ou, en langage humain, l'impossible.» (G.T.)

L'amour n'est pas un état d'âme, mais une orientation de l'âme

Simone Weil : « L’amour n’est pas un état d’âme, mais une orientation de l’âme. » Une façon de dire que l’amour réside dans l’être, ce qui le protège contre les fluctuations du faire… et des humeurs qui appartiennent à la même surface changeante. Mais enlevez la distance entre l’état de l’âme et son orientation, enlevez la seconde dimension, spirituelle, qui crée cette distance et l’amour devient d’une extrême fragilité. Il n’y plus de place pour le pardon, à soi-même d’abord, puis à autrui.

Amour entre humains

Amour humain, amour divin, deux expressions ambiguës : on peut aimer un humain divinement et Dieu humainement.

Guerre froide des sexes

Ne sommes-nous pas tous, hommes et femmes confondus, victimes d’un bouleversement des mœurs qui nous coupe de tout repère et qui, pour cette raison, provoquera bien d’autres chocs violents avant cette Libération trop vite tenue pour acquise. De toutes les formes de créativité, celle qui a pour matière les mœurs est peut-être la plus difficile. On n’invente pas des codes amoureux comme on fabrique des pilules contraceptives. Ceux qui confondent cet art et cette technique courent à l’échec.

[…]

Retour sur les grands mythes du héros et de l’amour : Gilgamesh, l’Odyssée, Daphnis et Chloé et au sommet de la pile des ouvrages théoriques dont Le héros aux mille visages de Joseph Campbell.

Amour étoié, amour voilé

L’amour : «l’infini à la portée des caniches.» Interprétation possible de ce mot de Céline : si caniches que soient les amants, s’ils le sont authentiquement, leur amour enferme une aspiration à l’infini, il participe à une deuxième dimension. L’élémentaire est proche de son opposé le transcendant. Entre les deux, il existe un lien polaire.
[…]
Le cas désespérant n’est pas celui des caniches instinctifs, c’est celui des caniches dressés, libérés, hygiéniques, festifs, volontaires, performants. Leur moi, qui occupe tout l’espace, est aussi éloigné de l’élémentaire que du transcendant. Leur amour est unidimensionnel. Vous aurez beau vous évertuer à mettre l’infini à la portée du moi, vous n’y parviendrez jamais. Le moi étant pour lui-même l’infini, il en repousse les autres manifestations. «Le pitoyable contentement de soi!» dira Nietzsche.

Les racines de l'amour

S'inspirant de la division tripartite de l'âme selon Platon (tête coeur, ventre), l'auteur nous rappelle que la qualité de nos amours dépend pour une large part de l'harmonie entre les trois parties de l'âme, harmonie qui suppose un double enracinement: dans la terre et dans le ciel.

Dans de nombreuses régions du monde, de l'Occident en particulier, l'amour est généralement vécu en ce moment comme une revanche du corps sur une âme qui, au cours des derniers siècles, aurait abusé de son pouvoir sur lui. D'où ce renversement de l'impératif traditionnel: le «il faut se maîtriser» de la morale classique est devenu un «il faut se libérer». (Remarquons la persistance du «il faut». La raison n'a pas abdiqué, elle se porte désormais au secours des instincts mais par là, elle les dénature peut-être plus que lorsque qu'elle leur opposait une résistance).[…]

Pourquoi s'acharner contre les caricatures et les contrefaçons de l'idéal, sinon pour retrouver un idéal épuré au-delà de l'exercice de lucidité? Quand l'opération s'arrête à mi-chemin, l'âme reste jonchée de débris d'illusions n'enfermant plus d'étincelles d'idéal. Le cynisme, cette grimace de l'idéal étouffé, s'y installe confortablement, en attendant de faire place au pire de tous les vices, le vice noir, fait de l'absence de couleurs: l'indifférence.

Maints indices nous incitent à penser que l'opération s'est arrêtée à mi-chemin dans l'ensemble de l'Occident et de façon marquée dans les pays comme le Québec, où la réaction contre les anciens idéaux a été particulièrement subite et radicale

Jane Eyre ou la nudité de l'âme

«Qu'il aura été long et dur le chemin de Jane vers l'amour. Elle sera passée de l'émerveillement de l'amour naissant aux tortures de l'amour trahi, puis interdit, de l'amour trahi à la joie ineffable de l'amour recouvré: tous les étages de l'amour, toutes les étapes de l'amour, tels que peu d'êtres les connaissent au cours d'une vie.»

Choix de poémes sur l'amour

S'il est présent, le monde à mes yeux est présent.
Que le monde soit là et lui seul soit absent,
L'univers devient invisible.
Méléacre

Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé.

Lamartine

Autres poètes cités: Aragon, Tagore, Racine, Hugo, Wendel Berry, Gabriela Mistral, Suzanne Paradis.

L'amour du monde

De la même manière, l'amour que le génie porte au monde est pour sa pensée une source créatrice, alors qu'une attitude entièrement désintéressée le conduirait au contraire à un abrutissement complet, à une vue du monde de plus en plus pauvre et même, à la fin du compte, à une absence totale de contenu objectif. (Max Scheler)

Le monde et la nature aux yeux de Simone Weil

Simone Weil, cette femme ivre de surnaturel, aimait-elle la nature? Gustave Thibon n’en doutait pas. Il l’a souvent observée contemplant la vallée du Rhône, moments uniques dont un fut l’occasion d’une expérience mystique. Mais si elle aima la nature ce ne fut pas la manière des romantiques. Elle semblait même hésiter à employer le mot nature. Dans l’attente de Dieu, l’un des ouvrages où elle aborde ces questions elle parle de préférence de la beauté de l’univers, de la beauté du monde, de la beauté de l’ordre du monde.

Mais elle demeure sensible à la nature, ce que montre bien sa traduction du poème de Méléagre Le printemps. Gardons toutefois de voir en elle une écologiste. Ce n’est pas le développement durable de l’habitat humain qui était son premier souci mais l’amour de Dieu pour l’homme et de l’homme pour Dieu. C’est l’inspiration requise pour penser un rapport harmonieux avec le monde qui lui importait et non les moyens techniques et financiers pour le mettre en œuvre. De ce point de vue elle ressemble aux cisterciens. Ce sont ces êtres qui ont parlé mille fois plus de Dieu que de la nature qui, en Occident, ont su créer les plus beaux établissements durables.

Chemin faisant, elle a abordé les principaux problèmes qui expliquent pourquoi les hommes sont près à troquer leur mère la Terre…contre de l’argent et de la puissance.

Voyage dans l'histoire des conceptions du monde

Le rapport de l'homme moderne avec l'univers est un mélange instable d'ivresse et d'angoisse. Ivresse de la conquête de l'espace, par le téléscope d'abord, par les fusées ensuite... Ivresse des grandes énigmes dénouées: éloignement des galaxies qui permet de situer le big bang, l'explosion initiale, il y a 15 milliards d'années; découverte des trous noirs, des quasars.

Le prochain sommet de cette ivresse sera vraisemblablement atteint dans quelques années, quand les Américains auront placé en orbite un télescope qui permettra de repousser plus loin encore la limite de l'explorable.

Mais déjà au XVIIe siècle, avant même que Newton n'ait établi la mécanique céleste sur des bases solides, l'angoisse apparaissait comme la face cachée de l'ivresse: «Le silence éternel des espaces infinies m'effraie!» avoue Pascal.

 

Le génie et l'amour du monde

L'esprit civilisateur, qui met tout en œuvre: prévoyance, prudence, sollicitude, perspicacité, pour se livrer à sa conquête du monde, est donc aux l'antipodes de l'amour du monde. Il se borne à transformer le monde et à le façonner dans des buts utilitaires. Il est nécessaire dès lors qu'une sorte d'hostilité et de méfiance à l'égard des choses devienne la disposition intérieure fondamentale de l'homme dans son travail de civilisation. Voilà pourquoi les systèmes philosophiques qui sont nés d'un amour du monde sont tous à l'extrême opposé des systèmes nés de l'esprit civilisateur. Dans la philosophie de Platon et d'Aristote, — pour autant que celle-ci représente une conceptualisation de la pensée issue du génie grec considéré dans son ensemble, — nous avons un monde qui, avec son royaume de « formes » hiérarchisées, son harmonie et son ordre logique, est certes digne de susciter notre amour, bien qu'il n'ait pas été façonné par une civilisation de la technique. Aussi longtemps que le regard spirituel se porte sur un monde tel que celui-là, qui contient une rationalité et une harmonie immanentes, il est naturel que l'intention de conquérir ce monde et de le transformer par l'action de l'homme fasse totalement défaut.

L’éros cosmogonique ou l’amour extatique du monde

Comparée au sacré de l'éros cosmogonique, la pulsion d'union charnelle est un adiaphoron, et la volupté de la satisfaction une solution qui reste dans les limites du bonheur animal. Ce qui en distingue  le frisson érotique, c'est le fait qu'au moment de l'accomplissement suprême, il reste un éros du lointain et que dans l'ivresse l'un est à l'autre un autre avec lequel il ne se confond jamais, comme l'oeil de l'univers qui le regarde dans la nuit pourpre. S'abandonner à celui-là ne signifie pas: le désirer; embrasser celui-là ne signifie pas: se fondre à lui; et sombrer en lui signifie: s'éveiller! La solution de ce que l'on appelle l'énigme du monde est l'intériorisation extatique du mystère du monde.

Amour de Dieu

Nous avons montré ailleurs! que l'acte d'amour est, dans tous les ordres de valeurs, le véhicule par lequel proprement l'homme élargit et agrandit son monde de valeurs. C'est ainsi que chez le saint l'amour de Dieu devient, à l'égard de l'objet de sa contemplation et sous l'influence de l'activité divine, un principe d'enrichissement: en effet, par cet amour le saint pénètre de plus en plus profondément dans l'être de la divinité et se met dans la disposition voulue pour recevoir d'elle et sur elle de nouvelles révélations.  (Max Scheler)

Les degrés de l'amour selon saint Bernard

«Vous voulez apprendre, écrit Bernard à son destinataire Haimeric, comment Dieu doit être aimé ? Eh bien, je vous dirai que la raison d'aimer Dieu, c'est Dieu Lui-même, et que la mesure de cet amour, c'est d'aimer sans mesure». Il reprend ainsi la célèbre formule de Sévère de Milève, que saint Augustin avait popularisée, et il examine en quoi «il n'est rien de plus juste, ni de plus fructueux, que d'aimer Dieu»: «L’amour est un mouvement de l'âme, non un contrat, affectus est, non contractus. Il ne s'acquiert, ni n'acquiert rien par un pacte. Il nous affecte spontanément et nous rend nous-mêmes spontanés; le véritable amour se contente de lui-même, il a sa récompense s'il a ce qu'il aime». Tout nous venant de Dieu, notre amour de Dieu n'est que le paiement d'une dette, une dette que Dieu Lui-même nous permet de lui acquitter: «Par sa première opération Dieu me donne à moi-même; par sa seconde Il se donne, Lui, et là où Il se donne, je me rends à moi-même»... «Ce qui est admirable, c'est que nul ne peut Te chercher, qu'il ne T'aie déjà trouvé». Pascal avait un grand précurseur; il est vrai que Port-Royal est de fondation cistercienne...

Fidèle à sa méthode d'exposition, Bernard distingue quatre degrés de l'amour: au premier, l'homme s'aime lui-même; au second, il aime Dieu pour soi; au troisième, il aime Dieu pour Lui; au quatrième, il ne s'aime plus soi-même que pour Dieu: «Qui s'en remet à Dieu non seulement parce qu'il est bon pour lui, mais parce qu'il est bon, celui-là en vérité aime Dieu à cause de Dieu, et non à cause de soi-même». 

 

Saint Bernard et le paradoxe cistercien

Tant de ressources de tous ordres consacrées à l’amour de Dieu alors qu’il y avait tant de misère autour de ces oasis de prière et de contemplation qu’étaient les monastères! Voilà ce que pense le contemporain en chacun de nous. L’histoire nous suggère une autre interprétation de ces événements. Chez les cisterciens, comme chez les bénédictins auparavant, la beauté intérieure, divine, a, peu à peu, donné naissance à des paysages  et à des œuvres d’art, (architecture, musique, peinture, sculpture, vitraux) de premier ordre. La prospérité allait bientôt permettre d’ajouter l’agréable ( bons vins, bons fromages, bon fruits…) au bien et au beau. De nombreux historiens des civilisations, dont Lewis Mumford, verront là le point de départ de la richesse matérielle dont nous sommes si fiers (et si inquiets! ) aujourd’hui. Tout commence en mystique, tout finit en économique. Paraphrase de Charles Péguy : «Tout commence en mystique tout finit en politique.»

Thomas More : plutôt aimer Dieu sans le connaître que le connaître sans l’aimer.

Union des contraires aussi dans la manière dont le laïc et homme d’action Thomas More fut contemplatif: jusqu’à la prière perpétuelle, jusqu’à la foi la plus entière et la plus inconditionnelle, non pas faute de maîtriser la dialectique apprise des anciens, mais parce que, comme Pic de la Mirandole — dont il traduisit la biographie — il croyait qu’il ne fallait pas chercher Dieu par la spéculation mais le posséder par l’amour: "Mon pauvre Angelo, que nous sommes fous! Dans notre condition mortelle, nous sommes plus capables d’aimer Dieu que de l’exprimer ou de le connaître. En aimant, nous peinons moins, nous profitons plus, et nous honorons Dieu davantage. Malgré tout cela nous préférons le chercher toujours par la spéculation sans jamais le trouver au lieu de le posséder par l’amour, alors que le trouver serait vain sans l’amour." (cité par Germain Marc’hadour in Thomas More, Paris, Éditions Seghers, 1971, p. 21

Eros, Psyché, Eros du lointain

Eros et Psyché

Retenons de ce portrait qu'Eros est toujours sur la «piste de ce qui est beau», les beaux corps n'étant que la première étape dans une ascension, de plus en plus spirituelle, vers la Beauté en soi.

Ce demi-dieu a surtout intéressé les philosophes et les mystiques.C’est un mythe, un récit archaïque repris par Apulée sous forme de conte, Eros et Psyché, qui est à l'origine des représentations d'Eros qui ont le rapport le plus direct avec le Cupidon de notre Saint Valentin. Ce conte contient plusieurs portraits fortement constrastés d'Eros. Il y apparaît tantôt comme un mauvais «garnement ailé», tantôt comme un amant digne de ce mot de Bernard de Clairvaux, «la seule mesure de l'amour, c'est d'aimer sans mesure.»
 

Eros, philia et agapè

Qu’y a-t-il de plus important que l’amour ? Mais comme cette chose est difficile à dire. Les Grecs avaient en gros trois mots : érosphilia et agapè.

Notons que le Nouveau Testament, pourtant écrit en grec, n’emploie pas le mot éros. On en parle sans aucun doute, mais c’est pour condamner l’amour ainsi nommé et refuser de le nommer, comme le prouve I Corinthiens 7.2.

Quand il s’agit de l’agapè et de philia, c’est une autre histoire. D’abord, le mot philia apparaît 20 fois dans le Nouveau Testament. La philia est l’amour qu’on peut avoir pour quelque chose (l’argent, la sagesse, ou l’exercice, mettons), un amour qu’on peut partager avec quelqu’un d’autre, un ami en somme (et donc un philos).

Pour ce qui est d’agapè, (ce mot apparaît environ 300 fois dans le Nouveau Testament). Ainsi quand le Christ définit l’amour, il s’agit de pouvoir mourir pour ceux qu’on aime (Jean 13.35). Plus grave encore sans doute, l’amour à la manière du Christ exige qu’on aime même ses ennemis (Matthieu 5.43-47).

Le texte permet-il de mieux saisir la hiérarchie entre les deux amours ? Les limites de la langue française rendent cet examen difficile : on traduit philia et agapè par le même mot français amour.

Eros du lointain

L'Eros cosmogonique...
Parmi les nombreux ouvrages et articles consacrés à Eros, il en est un, L'Eros cosmogonique de Ludwig Klages, qui mérite une attention particulière parce que l'auteur y renvoie dos à dos les interprétations classiques pour en proposer une troisième où Eros est à la fois détaché du moi comme dans l'amour mystique et immergé dans la vie, dans une vie où il n'est plus prisonnier du besoin.

Pour Klages, l'époque où a vécu Apulée est la période rococode l'antiquité. Pour retrouver l'Eros authentique, il remonte jusqu'à Hésiode, huit cents ans plus tôt. Dans sa Théogonie, Hésiode présente Eros, né sans père ni mère, comme l'un des tous premiers êtres, comme la force d'attraction dont dépend l'existence même du monde matériel. Dans les hymnes orphiques, c'est Chronos qui est son père. Sapho le présente comme le fils du Ciel et de la Terre. C'est à la conception d'Hésiode que Klages identifie Eros, en le présentant toutefois comme une présence attractive plutôt que comme une force d'attraction. Au moment où Freud associe Eros à la sexualité, Klages l'en dissocie. «Il faut, note l'un de ses commentateurs, distinguer Eros de l’amour et de la sexualité, l’un et l’autre étant liés à cette entité, le moi, qui tend à devenir le centre de gravité de la vie de l'homme au fur et à mesure que l’histoire sépare son âme de la terre, transformant sa riche individualité en un masque vide, en un robot, divorcé d'Eros et de la terre. Tout Eros est «Eros du lointain» (Eros der Ferne) et il suffira d'un moment de réflexion pour démontrer que rien ne caractérise mieux la technologie planétaire moderne que sa tendance à annihiler la distance. De la même manière, la volonté de posséder, le besoin de domination et la dépendance irréfléchie à l'endroit de «l'information» sont condamnés par Klages comme autant de tentatives de lever le voile d'Isis, ce qui à ses yeux est l'ultime atteinte à la vie. Pour Klages l'expression la plus vitale d'Eros n'est pas dans l'amour jusqu'à la mort des tragédies sentimentales mais plutôt dans le renoncement à la volonté, dans l'abandon aux forces du cosmos. Il existe un Eros de la maison comme il existe un Eros de la patrie, un Eros de l'instrument que nous avons fabriqué de nos mains aussi bien qu'un Eros de l'oeuvre d'art que nous avons créée à l'aide de cet instrument. Eros habite tout objet sensible auquel nous nous sentons intimement liés et tous les objets de ce genre deviennent les symboles vivants de nos joies et de nos peines. L'ego n'a rien à voir avec ces liens érotiques.»4

L'ivresse érotique — dont l'éblouissement de la Psyché d'Apulée est un exemple rococo— est l'accomplissement de ce rapport avec les réalités vivantes.
«On ne saurait, écrit Klages, tenter de dénombrer les occasions qui permettent l'entrée de l'être animé dans le cercle enflammé de l'ivresse érotique. Celle-ci peut se produire à la simple vue d'un être aimé (appartenant soit au même sexe, soit au sexe opposé, soit au règne animal ou végétal) ; elle peut se produire aussi à l'aspiration d'un parfum, à la dégustation d'un vin, à l'audition d'un son, au contact d'une branche ruisselante. (...) Elle ressemble si peu à un état de besoin quelconque que nous devons définir l'impulsion qui habite en elle comme un débordement, une diffusion rayonnante, un don de soi sans limite. Elle n'est ni besoin ni manque, mais surabondance de plénitude jaillissante, flamme couronnée d'étincelles d'or, gestation lourde de mondes.» 5
 

Synthèses

L'Encyclopédie de l’Agora n’est pas une somme des connaissances établie par une myriade de spécialistes sans grandes affinités entre eux. Elle est une œuvre, celle d’un auteur principal entouré d’amis ayant des affinités intellectuelles avec lui et ébauchant séparément leur propre synthèse. [En savoir davantage]


Appartenance

Plus nous avançons sur le chemin de la paix intérieure et de l'intégrité, plus le sens de l'appartenance croît et s'approfondit. Ce n'est pas seulement l'appartenance [...] à une communauté qui est en cause, mais aussi l'appartenance à l'univers, à la terre, à l'eau, à tout ce qui vit, à toute l'humanité. 

Univers

À l’heure où les astrophysiciens décrivent la farandole des galaxies et la valse des étoiles, la conception dominante de l’univers se réduit au mot Big Bang, évoquant une explosion, comme celle d'Hiroshima. La tradition, et une certaine science depuis peu, nous invitent à lui préférer, métaphore pour métaphore, celle de l'éclosion, associée à celle de l'oeuf cosmique. S'il est incontestable qu'il y eut violence à l'origine, faut-il en conclure que cette violence doit être absurde comme dans une explosion, faut-il exclure qu'il puisse s'agir d'une violence ayant un sens, comme celle de l'éclosion?

Vie

«Seule la vie peut donner la vie. L’intelligence peut façonner, mais étant morte, elle ne peut donner une âme. De la vie seulement peut jaillir le vivant.» Goethe, Zahme Xenien

Mort

«Est dit éternel ce qui par soi ne peut changer ni vieillir ni périr. Une sublime amitié est éternelle en ce sens qu'elle ne peut être atteinte qu'obliquement et par des événements qui lui sont tout à fait étrangers. L'amour prétend être éternel. Les pensées les plus assurées, comme d'arithmétique et de géométrie, sont éternelles aussi. La durée, au contraire, est essentielle à tout ce qui change et vieillit par soi. L'idée de rassembler tout l'éternel en Dieu est raisonnable, quoique sans preuve à la rigueur, comme au reste tout éternel, amitié, amour, arithmétique.» (Alain, Les dieux et les arts)

Dieu

«On va à Dieu par des commencements sans fin», écrit un Père de L’Église. Cette page est notre premier commencement… Une parfaite définition de Dieu par le plus grand des théologiens serait moins à sa place ici que nos balbutiements. Étant les auteurs d’une oeuvre qui comporte déjà mille allusions à Dieu, c’est à nous, cohérence oblige, qu’il appartient d’évoquer le foyer vers lequel convergent ces allusions.

Homme

L’humanisme est une vision du monde où tout gravite autour de l’homme comme tout gravitait autour de Dieu dans la vision antérieure en Occident. Ainsi défini, l’humanisme est le produit d’une révolution copernicienne inversée: l’homme, auparavant satellite de Dieu, devient l’astre central.

Plantes et animaux

La plante est immobile et choyée. Sa nourriture lui est donnée. Il lui suffit pour l’accueillir de laisser croître ses racines dans la terre et dans le ciel. L’animal doit chercher sa nourriture, et pour cela, il est libre dans ses déplacements. Sans doute est-ce la raison pour laquelle on l’a associé étroitement à l’homme, mais ainsi amputé de sa dimension plante, ce dernier n’allait-il pas s’éloigner de ce qui deviendrait un jour un idéal pour les jeunes et pour les vieux une nécessité i : contempler et à cette fin rester immobile.

Amour

Tout dans l’univers, et l’univers lui-même, tend vers le froid uniforme, et un désordre qui n’est rien d’autre que la rupture des liens unissant  les éléments constitutifs du vaste ensemble. Dans ce monde qui se défait, les êtres vivants sont des points d’ordre qui contredisent la loi générale. En eux l’énergie, qui se dégrade tout autour, se concentre pour former tantôt une plante qui grimpe, tantôt un animal qui vole, tantôt un animal qui pense... qui aime, qui aime ô merveille! au-delà de ce que l’espèce exige de lui pour assurer sa propre reproduction.

Vérité

Qu’est-ce que la vérité ? Pourquoi nous donnons-nous tant de mal pour la trouver, la défendre et la répandre ? Tentons d’abord de répondre par le recours le plus simple et le plus spontané à la raison. La vérité c’est la vie, ce qui assure sa persistance et sa croissance : distinguer la plante toxique de la plante nourricière, la vraie beauté, celle qui élève par opposition à celle qui dégrade. La preuve est dans le résultat, dans le degré d’accomplissement des êtres en cause. 



Liberté

En bas de cette échelle, l’élan impétueux de l’animal sauvage bondissant hors de sa cage-piège; en haut un sage ébloui par ses principes, un mystique ravi par son Dieu. Impulsion dans le premier cas, contemplation dans le second. Point de choix en ces extrêmes. «Les instincts des animaux survivent dans l’homme à l’état d’ébauche.» (K.Lorenz). À leur place, un grand vide angoissant. Ce vide est le lieu de naissance de la liberté.

Bien

Le mal dont le bien doit triompher en nous pour nous rendre meilleur n’est pas une simple carie dentaire qu’on peut obturer en quelques secondes, mais une infection centrale résistant aux antibiotiques. La vie de celui qui désire vraiment en guérir ressemblera à un chenin de croix ou à la marche d’un Bouddha à recherche de la voie du milieu.

Beauté

« C'est à coups de tonnerre et de feux d'artifice célestes qu'il faut parler aux sens flasques et endormis. Mais la voix de la beauté parle bas: elle ne s'insinue que dans les âmes les plus éveillées. Doucement mon bouclier a vibré et a ri aujourd'hui : c'était le frisson et le rire sacré de la beauté! » Nietzsche

Société

«Si les citoyens pratiquaient entre eux l'amitié, ils n'auraient nullement besoin de la justice; mais, même en les supposant justes, ils auraient encore besoin de l'amitié.» ARISTOTE, Éthique à Nicomaque

Désengagement

Proche du scepticisme sur le plan intellectuel, la neutralité est aussi proche de l'indifférence sur le plan affectif et de l'indifférentiation sur le plan physiologique. 

Politique

D’abord la justice et bien commun! Il sera souvent question de la démocratie dans cette synthèse. Trop peut-être, car en ce moment, dans les démocraties occidentales du moins, dont certaines sont en voie de désintégration, on a recours au concept de démocratie lui-même comme critère pour juger de la situation concrète dans les démocraties en cause. Funeste tautologie contre laquelle Aristote nous avait mis en garde.

Justice - droit et droits

C'est dans l'indignation devant l'injustice qu'il faut d'abord chercher la voie de la justice. Il faut toutefois au préalable pouvoir distinguer le sentiment authentique et universel d'injustice de l'insatisfaction personnelle qui est à l'origine des revendications.

Technique

Quelques regards critiques dans un contexte, celui du progrès technique, où l’approbation inconditionnelle et universelle va de soi, en dépit de cette mise en garde maintes fois formulée : « ce qui est possible devient nécessaire.» Qui donc en ce moment veut et peut s’opposer aux innovations, souvent discutables pourtant, dans le domaine des techniques de reproduction humaine?

Nourriture et culture

Sapere : goûter et savoir. Associer ces deux expériences pour mieux comprendre l’une et l’autre et s’habituer ainsi à distinguer la vraie culture, nourricière, de la fausse, réduite au divertissement. Deux sujets vastes.

Éducation

La perspective historique la plus longue possible est la voie royale pour préciser le diagnostic et trouver les meilleurs remèdes au mal qui frappe l’éducation.



Caractère et personne

La caractérologie, une science en plein essor au début du XXème siècle, semble être aujourd’hui en voie d’extinction. Ne serait-ce pas parce que le caractère des personnes a disparu ? Certains maîtres en cette discipline, dont Ludwig Klages, en avaient prédit l’extinction pour cette raison.

Ordinateur

Le mot ordinateur a des origines théologiques. Celui qui a proposé de traduire computer par ordinateur, Yves Perret, a justifié son choix en précisant que le mot ordinateur se trouve dans le dictionnaire Littré comme adjectif désignant Dieu en tant qu'Il est celui qui met de l'ordre dans le monde. L'ordinateur ressemble pourtant moins à Dieu qu'à l'homme [...]

Sport

Plus un sport est naturel, plus il y a de chances qu'on puisse le pratiquer longtemps, parce qu'on en aura toujours le goût et les moyens. Quel que soit le sport choisi, il ne restera durable que si on le pratique avec mesure, dans le respect de l'ensemble de l'organisme et de chacun des organes et des muscles sollicités, avec en outre le souci de rendre toujours plus harmonieux les rapports de l'âme et du corps.

Art

«C'est par le truchement de l'expression artistique que les valeurs les plus hautes acquièrent une signification éternelle et une force capables d'émouvoir l'humanité. L'art possède la faculté illimitée de transformer l'âme humaine — faculté que les Grecs appelaient psychagogia. Seul, en effet, il dispose des deux éléments essentiels à l'influence éducative: une signification universelle et un appel immédiat. Parce qu'il combine ces deux moyens susceptibles de faire autorité sur l'esprit, il surpasse à la fois la réflexion philosophique et la vie réelle.» Werner Jaeger, Paideia: la formation de l'homme grec

Science

Faire acte de science c’est échapper à la contrainte sous toute ses formes : préjugés personnels, conformisme, tradition, pression sociale, financière, opinion majoritaire, y compris celle des pairs. Serait-ce la raison pour laquelle la science a fleuri dans la Grèce antique puis dans l’Europe moderne. Et n’est-ce pas en raison de  l’oubli de cette règle qu’elle tombée en disgrâce dans la Russie stalinienne et les États-Unis de Donald Trump ?

Philosophie

L'attente active, celle qui consiste à soumettre à la critique les réponses imparfaites, Socrate l'appelait philosophie, mot qui signifie amour (philein ) de la sagesse (sophia). Cet amour s’accomplit à deux conditions : la rigueur dans la pensée et le souci de la purification dans la vie personnelle. 

Technique

Quelques regards critiques dans un contexte, celui du progrès technique, où l’approbation inconditionnelle et universelle va de soi, en dépit de cette mise en garde maintes fois formulée : « ce qui est possible devient nécessaire.» Qui donc en ce moment veut et peut s’opposer aux innovations, souvent discutables pourtant, dans le domaine des techniques de reproduction humaine?

Ordinateur

Le mot ordinateur a des origines théologiques. Celui qui a proposé de traduire computer par ordinateur, Yves Perret, a justifié son choix en précisant que le mot ordinateur se trouve dans le dictionnaire Littré comme adjectif désignant Dieu en tant qu'Il est celui qui met de l'ordre dans le monde. L'ordinateur ressemble pourtant moins à Dieu qu'à l'homme [...]

Christianisme

Selon Marguerite Yourcenar, Marc Aurèle,le sage Marc-Aurèle, le divin Marc, est le Romain de l’antiquité dont il subsiste le plus de sculptures. Preuve qu’il a été le plus  admiré, aimé. S’il est vrai que la qualité d’un amour se mesure à la beauté, à la variété et au nombre des œuvres d’art qu’il a inspirées, le christianisme est une prodigieuse histoire d’amour.

Notre catholicisme

Ce catholicisme qui nous a faits ! Plusieurs sont d’avis qu'il nous a défaits à la fois politiquement et psychologiquement. Depuis 1960, ils ont eu toutes les tribunes dont ils pouvaient rêver pour exposer leurs regrets et leurs doléances. Dans cette synthèse, nous voulons donner la parole à ceux qui, sans avoir renoncé à leur esprit critique, veulent bien reconnaître que le catholicisme nous a aussi faits… un peu, a contribué à notre épanouissement et à notre accomplissement, en tant que peuple comme en tant qu’individus. Même si elle ne devait être qu’un dernier adieu reconnaissant, cette synthèse est nécessaire [...]

Québec

Le Québec est un microcosme. Se trouve-t-il un seul groupe humain sur la planète auquel il ne ressemble pas par quelque côté?
On y parle les deux langues qui ont le plus contribué à faire le monde tel qu'il est aujourd'hui: le français et l'anglais. La société de ce Québec était traditionnelle, médiévale même, il y a à peine cinquante ans; elle devance aujourd'hui la Californie dans certaines expérimentations.