L'Encyclopédie de L'Agora : une vision organique du monde
La caractérologie, une science en plein essor au début du XXème siècle, semble être aujourd’hui en voie d’extinction. Ne serait-ce pas parce que le caractère des personnes a disparu ? Certains maîtres en cette discipline, dont Ludwig Klages, en avaient prédit l’extinction pour cette raison. Klages était aussi graphologue. L’écriture manuscrite était à ses yeux une manifestation du caractère. Le caractère de chacun, inscrit dans son écriture, a été remplacé par le caractère d’imprimerie, le manuscrit a ensuite été remplacé par le tapuscrit. Il y a de toute évidence un lien entre ces événements, lien qu’il faut rattacher à un phénomène plus général : le passage de l’objet artisanal unique à l’objet industriel en série. Voici une définition du caractère, de Gustave Thibon qui fonde cette hypothèse :
«Klages définit le caractère comme ‘’la particularité distinctive d'un être. ‘’Le terme est pris ici dans son sens le plus étendu. En précisant un peu cette définition nous pourrons désigner par le mot caractère la synthèse des qualités inséparables (sinon dans l'abstrait) et réciproquement solidaires qui, au-dessus de toute distinction d'ordre spatial ou numérique, confère à chaque créature une charge inaliénable d'irréductible originalité.»
L a Personnalité n'est pas seulement une unité vitale mais, en outre, un Moi: elle est le Moi individuel; et la science qui s'en occupe est la caractérologie. — Ainsi, dès la délimitation de notre objet, sont placés devant nous deux éléments nettement séparés, sur lesquels nous nous appuierons plus tard pour développer avec méthode le système des mobiles. L'un est la base de lois générales suivant lesquelles des objets de la pensée, indépendants des personnes, proviennent de processus vitaux. A cette activité purement « régulatrice », la matière est fournie par le second élément créateur que, suivant un usage très ancien de la langue, nous appelons l'Ame; en suite de quoi le Moi personnel (= Soi individuel) ressemble à une combinaison chimique : celle de l'Esprit général avec une Ame toujours particulière.
Nous terminons nos réflexions sur la définition de la Personnalité en mentionnant un fait dont la force de persuasion est connue : le nom même de ce concept indique la dualité de ses éléments significatifs ! « Personne » est en latin « persona », qu'on a fait à tort dériver de « personare » = retentir à travers; c'était à l'origine le masque à travers lequel l'acteur antique déclamait, puis le rôle qu'il interprétait, et enfin le « caractère », la « personnalité ». Ainsi la désignation de la nature humaine s'est attachée au nom latin du masque tragique, qui ne vit que lorsque s'élève la voix de l'histrion! Passons sur l'indice utile que peut fournir à la métaphysique de la dualité en question cette dualité particulière, et contentons-nous de retenir que le sens primitif de « personne » comprenait en effet deux choses : un masque inanimé en lui-même, et une voix retentissant au travers et qui dans le drame primitif signifiait la voix d'un dieu.
[…]
Définition d'Alain
"Le caractère est littéralement une marque reçue du dehors. Naturellement l'empreinte dépend aussi de l'être qui la subit. Il est donc vrai de dire que le caractère enferme le tempérament et l'humeur; mais ce n'est pas tout dire. Un homme très vigoureux, très puissant, a souvent plus d'humeur que de caractère. Le caractère c'est l'humeur contrainte. Par exemple un horloger d'humeur impatiente prendra un caractère, par la lutte entre ses mouvements naturels et les actions de son métier. De même un militaire d'humeur inégale prendra du caractère. Le caractère est ainsi la marque du métier sur un tempérament et une humeur qui résistent au métier. Le caractère exprime donc bien la nature, mais par une lutte des circonstances contre la nature; et c'est surtout par la famille, le négoce, la fonction que les circonstances contrarient notre nature. Notre caractère doit donc beaucoup à la société; notre nature explosive, ainsi comprimée, est ce qui porte un caractère. Dans une vie sauvage, il y a plutôt de l'humeur. Un grand esprit comme Beethoven a seulement de l'humeur. En Gœthe, au contraire, le corps sait saluer; aussi la nature ne s'y montre que par ruses et voies détournées.
*
Pour Ludwig Klages, par exemple, le caractère, objet de la caractérologie, s'étend à la personnalité entière. Le Senne en a une conception restreinte: «au cours de cet ouvrage, caractère signifiera l’ensemble des dispositions congénitales qui forme le squelette mental d’un homme.»Les trois propriétés constitutives sont l’émotivité, l’activité et le retentissement (fonction primaire ou secondaire des représentations) ; elles forment en se composant 2³ = 8 types, qui doivent recevoir chacun une formule et un nom, auxquels nous ajouterons une illustration. Les voici :
Nerveux: Émotifs-inactifs-primaires/ EnAP/ex. Byron
Sentimentaux: Émotifs-inactifs-secondaires/ EnAS/Amiel
Dans The Varieties of Temperament (New York : Harper ; 1942) le psychologue américain William Sheldon (1898-1977) propose 3 composantes préfixées endo-, méso- et ecto-, en allusion aux trois feuillets embryonnaires : l’endoderme qui mène aux organes digestifs, le mésoderme qui donne le système locomoteur et l’ectoderme qui forme le système nerveux.
« Le tempérament est le niveau de personnalité qui se situe juste au dessus de la fonction physiologique et au-dessous des attitudes et opinions acquises... La caractérologie est la science du comportement » pp. 4-5
Sheldon a consacré sa carrière à étudier les constitutions physiques et les traits de caractère de milliers d’étudiants et diplômés dans les collèges et universités états-uniens. Il attribuait à chacun une cote de 1 à 7 sur une échelle des trois axes de l’endotonie, de la mésotonie et de l’ectotonie.
L’un des caractères de Théophraste
Le comportement du raseur, pour le saisir en une définition, est celui qui provoque un désagrément sans réel dommage, et le raseur est du genre à réveiller celui qui vient juste de s'endormir, en entrant pour lui faire la causette. Des gens sont-ils sur le point de s'embarquer, il les retient, et < ... > * abordant quelqu'un, il lui demande d'attendre jusqu'à ce qu'il ait fait sa promenade
Jean de La Bruyère
Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes ensemble sont à son égard* comme s’ils n’étaient point. Non content de remplir à une table la première place, il occupe lui seul celle de deux autres; il oublie que le repas est pour lui et pour toute la compagnie; il se rend maître du plat, et fait son propre de chaque service; il ne s’attache à aucun des mets qu’il n’ait achevé d’essayer de tous; il voudrait pouvoir les savourer tous, tout à la fois.
« Personne » est en latin « persona », qu'on a fait à tort dériver de « personare » = retentir à travers; c'était à l'origine le masque à travers lequel l'acteur antique déclamait, puis le rôle qu'il interprétait, et enfin le « caractère », la « personnalité »
La définition de Max Scheler résume assez bien les diverses définitions du mot au cours de l'histoire. L'idée de personne, conformément à ce que l'étymologie nous apprend, enferme l'idée d'une manifestation, d'un faire paraître. La personne c'est déjà la personnalité. Ce qui se manifeste dans la personne c'est la raison ou l'esprit. Le lieu de cette manifestation n'est pas un simple individu, mais un centre d'actes. Les actes font partie de la manifestation. La personne en droit romain c'est le citoyen qui jouit de la totalité des droits et est pleinement responsable de ses actes.
[…]
Simone Weil: "Le vocabulaire du courant de pensée dit personnaliste est erroné. La personne n'est pas ce qui, en nous, a droit au respect. Ce qui est sacré, bien loin que ce soit la personne, c'est ce qui, dans un être humain, est impersonnel... La vérité, la beauté habitent le domaine des choses impersonnelles et anonymes. La perfection est impersonnelle. La personne en nous, c'est la porte de l'erreur et du péché." (Écrits de Londres). - Ce qui confirme ma répulsion presque viscérale devant toutes les déclamations sur «l'éminente dignité de la personne humaine». Reste la question suivante : si ce qui rend un être sacré, c'est sa participation à ces réalités impersonnelles que sont la vérité, la beauté, l'amour, etc., pourquoi cette participation est-elle accordée à certaines personneset refusée à d'autres? On débouche ainsi sur un personnalisme au second degré: le caractère sacré de la personne humaine tient à sa faculté de s'effacer devant l'impersonnel et, en fonction même de cette transparence, de conférer à l'impersonnel la saveur et le magnétisme qui émanent d'un être unique entre tous. »
Simone Weil commentée par G.Thibon, dans Le voile et masque.
La personne exposée…aux lasers des médias
« Si nous semblons de nos jours lamentablement malheureux, tous tant que nous sommes, c’est que les éléments humains grégaires de notre Je suis moi ont chassé de celui-ci les éléments sub-humains et super-humains ». « Ces éléments grégaires, ajoute Powys, sont en passe d’exterminer à petit feu toute forme de bonheur calme et extatique, le seul qui soit réellement digne d’organismes comme les nôtres, avec derrière eux cette longue histoire et devant eux ces amples espérances. […] Une certaine jouissance concentrée des sens et de toutes ces subtiles harmoniques et connotations qui les auréolent – c’est sur ce terrain, mouvant et cependant éternel, que je me place pour défendre mes théories. Je plaide la cause d’un culte de la vie basé sur la contemplation statique, en réaction contre la fièvre d’activité de notre temps ».
Powys a écrit ces lignes en 1930, au moment où l’instinct grégaire était à son sommet, en Allemagne et en Russie. Dans les deux cas, dans le premier surtout, les médias jouaient un rôle crucial comme moyen de rassembler les gens. Le lien entre la rupture du double enracinement (dans la terre et dans le ciel) et l’importance prise par les médias au cours du présent siècle est évident. Seul subsistait dans l’homme la zone intermédiaire entre la réalité sensible et la réalité spirituelle. Tout s’est passé comme si l’homme avait déployé horizontalement ses anciennes racines verticales vers ce qui allait le relier à la masse de ses semblables : les médias, l’écran de télévision. Alors que ses racines dans la terre le mettaient en contact avec des modèles de vitalité, et ses racines dans le ciel en contact avec des modèles de sagesse, les mass médias, tout en lui proposant des vedettes fabriquées, à la place de modèles, allaient pour l’essentiel lui renvoyer une image de lui-même, celui d’un être unidimensionnel.
L'Encyclopédie de l’Agora n’est pas une somme des connaissances établie par une myriade de spécialistes sans grandes affinités entre eux. Elle est une œuvre, celle d’un auteur principal entouré d’amis ayant des affinités intellectuelles avec lui et ébauchant séparément leur propre synthèse. [En savoir davantage]
« C'est à coups de tonnerre et de feux d'artifice célestes qu'il faut parler aux sens flasques et endormis. Mais la voix de la beauté parle bas: elle ne s'insinue que dans les âmes les plus éveillées. Doucement mon bouclier a vibré et a ri aujourd'hui : c'était le frisson et le rire sacré de la beauté! » Nietzsche
Selon Marguerite Yourcenar, Marc Aurèle,le sage Marc-Aurèle, le divin Marc, est le Romain de l’antiquité dont il subsiste le plus de sculptures. Preuve qu’il a été le plus admiré, aimé. S’il est vrai que la qualité d’un amour se mesure à la beauté, à la variété et au nombre des œuvres d’art qu’il a inspirées, le christianisme est une prodigieuse histoire d’amour.
Plus nous avançons sur le chemin de la paix intérieure et de l'intégrité, plus le sens de l'appartenance croît et s'approfondit. Ce n'est pas seulement l'appartenance [...] à une communauté qui est en cause, mais aussi l'appartenance à l'univers, à la terre, à l'eau, à tout ce qui vit, à toute l'humanité.
La perspective historique la plus longue possible est la voie royale pour préciser le diagnostic et trouver les meilleurs remèdes au mal qui frappe l’éducation.
La caractérologie, une science en plein essor au début du XXème siècle, semble être aujourd’hui en voie d’extinction. Ne serait-ce pas parce que le caractère des personnes a disparu ? Certains maîtres en cette discipline, dont Ludwig Klages, en avaient prédit l’extinction pour cette raison.
Proche du scepticisme sur le plan intellectuel, la neutralité est aussi proche de l'indifférence sur le plan affectif et de l'indifférentiation sur le plan physiologique.