Qu'est-ce que la vie?
Impossible de réduire le sentiment de beauté, de vie et de joie que nous procure le printemps aux mécanismes de la photosynthèse? Et pourtant il y a un lien entre cette connaissance subjective et cette analyse objective de la vie. Quel est ce lien?
Qu'est-ce donc que la vie? On espère pouvoir en faire la synthèse en laboratoire. Réussira-t-on? Le mot synthèse en tout cas est bien choisi, car la vie apparaît d'abord comme un ensemble de contradictions constamment surmontées. Qu'on considère les êtres vivants un à un, ou dans leur ensemble, on est frappé par les contraires qui s'unissent en eux. Les êtres vivants sont à la fois:
Autonomes et dépendants
Autonomes: ils s'auto-organisent, ils coordonnent leur propre croissance et leur propre fonctionnement. Dépendants: les plantes, par exemple, ne peuvent vivre sans le CO2 présent dans l'air; les animaux ont besoin d'oxygène.
Clos et ouverts
Clos: le texte original de la vie, le code génétique, est conservé dans une voûte, le noyau, dont il ne sort jamais et où il ne risque pas d'être atteint par l'effervescence qui caractérise le reste de la cellule. Ouverts: ils sont en constante interaction avec le milieu, qu'ils interprètent et sur lequel ils agissent ensuite.
Mêmes et autres
Mêmes: par le code génétique qui est universel, que l'on trouve dans les plantes aussi bien que dans les bactéries et l'homme, et par les gènes qui sont la signature de l'espèce. Autres: par la façon dont se succèdent les codons dans l'ADN et par l'arrangement des gènes.
Simples et complexes
Quoi de plus simple qu'un langage constitué de deux lettres s'associant toujours aux deux mêmes autres lettres. A - T, G - C! Mais quoi de plus complexe qu'un organisme qui danse sur ces rythmes élémentaires!
Continus et discontinus
Vues sous un certain angle, les espèces sont nettement distinctes les unes des autres; vues sous un autre angle, elles se fondent les unes dans les autres.
Contradictions, tensions, dynamismes, synthèses, bonds en avant et vers le haut! Telle est la vie! Mais il existe aussi, dira-t-on, des corps inanimés qui sont à la fois simples et complexes, mêmes et autres, continus et discontinus, clos et ouverts! Il n'en existe pas toutefois qui soient en outre variés, colorés comme la vie et capables comme elle de transformer le désordre en ordre.
Nous l'avons vu, les chaînes d'acides aminés existant hors de la vie sont d'une lassante monotonie par rapport à celles qui constituent les protéines. Cette variété du tissu vivant se manifeste ultimement par la couleur de la terre , que les images rapportées de l'espace nous ont permis de découvrir.
«Bien que la terre ne soit qu'une île minuscule dans l'indifférence illimitée de l'espace, elle est la seule à se présenter, dans le système solaire, comme un jardin enchanté dont les fleurs - les myriades de créatures différentes - ont ouvert la voie aux êtres humains capables de réflexion»1
La couleur de la terre et la grisaille des autres planètes nous renvoient à la différence fondamentale entre la matière et la vie. La couleur de la terre est le signe de l'ordre supérieur dont la vie est capable. Le second principe de la thermodynamique - qui exprime l'une des lois les plus générales que l'on puisse formuler à propos de la matière inanimée -, nous apprend que cette dernière tend vers le désordre, que l'énergie s'y dégrade, qu'elle se dissipe en passant graduellement de ses formes les plus hautes à sa forme la plus basse: la chaleur. Ce phénomène, qui peut-être mesuré, est appelée entropie.
D'où ces définitions de la vie. Pour Erwin Schrödinger, elle est négentropie. Albert Szent Györgyi proposa ensuite le terme syntropie, plus positif, pour désigner ce qu'il a appelé «la tendance innée de la matière vivante vers la perfection». De cette tendance, Györgyi a dit ailleurs qu'elle était une «poussée (drive)» vers la synthèse, la croissance, la totalité, l'auto-perfection.
Force brute est une expression inadéquate. Ce sont en réalité les rayons du soleil qui procure aux êtres vivants leur énergie, ce qui a permis à Györgyi d'affirmer que «la vie est un petit courant électrique alimenté par le soleil».
Les deux événements principaux de ce cycle de l'énergie, la photosynthèse dans les plantes et la respiration chez les animaux, illustrent merveilleusement cette définition. Dans ces deux cas le processus en cause se ramène à des électrons qui dégagent de l'énergie en passant d'une orbite élevée à une orbite basse par rapport au noyau. D'où l'idée que la vie est un petit courant électrique.
C'est la chlorophylle, à qui la terre doit aussi en partie sa couleur: le vert* qui est responsable de la photosynthèse. La chlorophylle est un pigment vert qui sert de catalyseur dans une réaction produisant du glucose à partir d'un mélange de gaz carbonique et d'eau.
Qui n'a pas éprouvé la joie que donne, au printemps, la première verdure. Cette joie esthétique est l'écho qualitatif de processus chimiques essentiels à la vie. Comment dissocier l'un de l'autre les deux regards sur la vie?
Pour briser les liaisons du gaz carbonique et de l'eau il faut de l'énergie. Et pour créer les liaisons entre les mêmes atomes à l'intérieur du glucose, il faut encore plus d'énergie. Cette énergie vient du soleil, plus précisément des particules qui constituent la lumière, les photons. En heurtant les électrons, les photons les projettent sur une orbite supérieure d'où ils retombent en dégageant l'énergie nécessaire aux réactions chimiques.
La nouvelle énergie se trouve ainsi emmagasinée dans les liaisons de la molécule de glucose. Le glucose, ce sucre dont on a tant besoin lors d'exercices violents! Cette molécule est l'équivalent d'un thermos ou d'une pile électrique. Elle est un stratagème de la nature pour conserver l'énergie et la transporter d'un lieu à un autre.
Le lieu auquel cette énergie est destinée c'est le corps des animaux. Le glucose est enfermé dans les aliments que nous absorbons. La digestion l'isole des autres éléments, dont la plupart seront rejetés, et les transporte dans les cellules. C'est là - et non dans les poumons - qu'aura lieu la respiration. Il s'y produira une réaction entre le glucose et l'oxygène, lequel puisé dans l'air, a été tranporté jusqu'à la cellule par l'hémoglobine, les globules rouges du sang. Voici le schéma de cette réaction.
L'énergie produite prend la forme d'un petit ressort comprimé qu'on appelle ATP, adénosine triphosphate. La réaction produit toujours de l'eau. D'où l'urine... et la sueur qui est aussi liée à nos exercices violents que le besoin de sucre.
L'image du petit ressort comprimé est commode mais trompeuse. Dans notre corps, comme dans la plante, l'énergie est encore une danse d'électrons, un petit courant électrique. Mais la ronde s'élargit et s'élève de la matière inorganique à la plante, de la plante à l'animal et l'ordre triomphe du désordre: le temps d'une vie, le temps de la vie.
Cette ronde d'électrons ensoleillés qui s'élargit et s'élève est, pour Györgyi, un aspect de la «poussée vers la synthèse, vers l'auto-perfection» à laquelle on reconnaît la vie.
1-René Dubos, Les dieux de l'écologie, Fayard, 1973, pp 12-13.