Vitalisme

Jacques Dufresne

Doctrine métaphysique considérant que la vie n'a pas d'autre explication qu'elle-même.

En biologie, il y a toujours eu deux grandes écoles opposées, celle des vitalistes et celle des mécanistes. Les vitalistes, qui croyaient que la vie était dirigée de l'intérieur, par une force spirituelle, l'élan vital de Bergson, par exemple, se sont progressivement effacés devant les mécanistes. La découverte de la structure de l'ADN a été pour eux un coup très dur.

Il était depuis longtemps difficile de nier l'explication mécaniste de la respiration ou de la digestion, par exemple. Par contre, tout ce qui concernait la croissance des organismes demeurait rempli de mystère. Ce mystère semblait à jamais protégé par la coquille de l'oeuf. «Un vitaliste, écrivait Georges Canguilhem en 1946, c'est un homme qui est induit à méditer sur les problèmes de la vie davantage par la contemplation d'un oeuf que par le maniement d'un treuil ou d'un soufflet de forge». La découverte de l'ADN allait permettre de découvrir des treuils et des soufflets à l'intérieur de l'oeuf.

Pour Georges Canguilhem, le vitalisme ne se réduit toutefois pas à l'invocation d'une force spirituelle condamnée à rétrécir au fur et à mesure que progresse l'explication mécaniste. Il s'apparente à ce que nous appellerons le «regard contemplatif sur la vie». «L'oeil du vitaliste, écrit Canguilhem, recherche une certaine naïveté de vision antétechnologique, antélogique, une vision de la vie antérieure aux instruments créés par l'homme pour étendre et consolider la vie: l'outil est le langage».

Commentant un ouvrage du biologiste allemand Radl, Canguilhem poursuit: «L'homme, dit-il, peut considérer la nature de deux façons. D'abord il se sent un enfant de la nature et éprouve à son égard un sentiment d'appartenance et de subordination, il se voit dans la nature et il voit la nature en lui. Ou bien, il se tient face à la nature comme devant un objet étranger, indéfinissable. Un savant qui éprouve à l'égard de la nature un sentiment filial, un sentiment de sympathie, ne considère pas les phénomènes naturels comme étranges et étrangers, mais tout naturellement, il y trouve vie, âme et sens. Un tel homme est fondamentalement un vitaliste. Platon, Aristote, Galien, tous les hommes du Moyen Âge et en grande partie les hommes de la Renaissance étaient, en ce sens, des vitalistes. Ils considéraient l'univers comme un organisme, c'est-à-dire un système harmonieux réglé à la fois selon des lois et des fins. Ils se concevaient eux-mêmes comme une partie organisée de l'univers, une sorte de cellule de l'univers organisme; toutes les cellules étaient unifiées par une sympathie interne, de sorte que le destin de l'organe partiel leur paraissait avoir naturellement affaire avec les mouvements des cieux».

Georges Canguilhem, La connaissance de la vie, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, 1985, p. 88.

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Essentiel

L'éducation vitaliste, selon Ludwig Klages

«Aucun éducateur vitaliste ne peut s'imaginer être à même de changer ou d'améliorer quelque chose. D'un cône de sapin sort un sapin, d'une faîne un hêtre, d'un gland un chêne, et celui qui veille sur le germe n'est pas le générateur de la croissance ni le modeleur de la forme. Mais une plante a besoin de lumière et d'humidité et deviendra plus ou moins belle selon que je prendrai plus ou moins soin de lui fournir l'une et l'autre. La psychagogie vitaliste ne consiste pas à dresser des défenses ni à inculquer la stérilisante foi en un menaçant “tu dois”; elle consiste à nourrir l'âme. Si le terme “soin des âmes”n'avait pas un arrière-goût ecclésiastique, il n'en existerait pas de meilleur pour caractériser l'action du psychagogue ésotérique.

Quels sont maintenant les principaux aliments de l'âme? Le prodige, l'amour et l'exemple. Le prodige, l'âme le trouve par exemple à la vue d'un paysage, dans la poésie, dans la beauté. Qu'on lui présente donc le paysage, la poésie, la beauté et qu'on regarde si elle s'épanouit là. L'amour au sens le plus large - auquel se rattachent la vénération, l'adoration, l'admiration et toutes les formes d'approbation affective - ne réchauffe avec une vraie efficacité que sous l'action de l'être aimant. L'image éternelle de ce mode d'éducation est l'image de la mère aimante et de l'enfant bien-aimé. Qu'on entoure donc l'âme de tous les rayons de l'amour maternel et qu'on regarde si elle s'épanouit là. L'exemple ce sont les dieux, les poètes et les héros. Qu'on donne à l'âme le spectacle des héros et qu'on regarde comment elle s'épanouit là. Et si elle ne s'épanouit au contact d'aucune de ces trois choses, c'est qu'elle ne porte en elle aucune puissance d'épanouissement, et il n'existe pas d'éducateur qui puisse la susciter par magie. Car c'est le secret de l'âme de ne s'enrichir qu'en donnant. Ce n'est pas l'amour qu'un homme reçoit, mais l'amour qui s'allume en lui au contact de l'amour reçu, qui nourrit son âme. Tous les prodiges et tous les exemples du monde demeurent une simple représentation théâtrale, s'ils ne peuvent éveiller dans l'âme le prodige occulte et le héros secret. Si l'âme ne répond pas, alors, abandonnée par l'éducateur, elle écoutera sans dommage un collègue discourir sur l'éthique.»

Ludwig Klages, Mensch und Erde, Diederichs Verlag, Iena, 1929, p. 129-30.
Cité et traduit par Gustave Thibon, dans La science du caractère, Desclée de Brouwer, Paris, 1933, p. 208.

Enjeux

Dans un article paru dans le magazine Harper's de février 2002, le biologiste américain Barry Commoner constate la réfutation du dogme central de la biologie moléculaire: l'idée que chaque protéine de l'organisme correspond à un gène et que le passage de l'un à l'autre se fait selon un procédé mécanique simple.

Ce sont, précise Barry Commoner, les résultats du projet de cartographie du génome qui réfutent cette thèse. Compte tenu du nombre approximatif de protéines dans l'organisme, on s'attendait à trouver environ 100 000 gènes. Or on n'en a trouvé que 30 000. La plupart des spécialistes de la biologie moléculaire adhérant au dogme central comme à un dogme religieux, et plusieurs d'entre eux ayant des intérêts financiers dans les entreprises de biotechnlogie, il ne fallait pas s'attendre à ce qu'ils fassent eux-mêmes le constat de l'échec de la biologie moléculaire.

Il s'agit bel et bien d'un échec, soutient Commoner. À l'intérieur de la cellule, divers facteurs échappant aux dogmes de la biologie moléculaire font qu'une même séquence d'ADN constituant un gène peut être à l'origine de plusieurs protéines différentes. Il faut également renoncer à la vision mécaniste simpliste selon laquelle l'ADN serait à l'origine de la vie. Dans l'état actuel des connaissances, conclut Barry Commoner, il faut plutôt soutenir que c'est la cellule qui, pour assurer sa reproduction, a créé l'ADN.

Cette façon de voir est l'équivalent, au niveau de la cellule, de l'hypothèse Gaia au niveau de la biosphère. De même que c'est la vie qui a créé les gaz de l'athmosphère et les maintient en équilibre, c'est la vie qui a créé les molécules d'ADN. N'est-ce pas là un retour au vitalisme?

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