L'Encyclopédie sur la mort


Jephté

Éric Volant

Jephté, fils de Galaad et d'une prostituée, est une figure biblique, remarquée par l'auteur du Livre de Samuel. Il y apparaît comme bon serviteur de Dieu et comme libérateur de son peuple au même titre que Samuel lui-même: «Et Yhwh a envoyé Yeroubaal, Bedân, Jephté et Samuel. Il vous a délivré de vos ennemis alentour, vous étiez en sécurité.» (1 Samuel, 12, 11). Or, fidèle à son serment envers Dieu, Jepthé se crut obligé de sacrifier sa fille, son enfant unique, après sa victoire sur les Ammonites. L'histoire de Jephté a inspiré non seulement les auteurs de la Bible, mais aussi les écrivains, les dramaturges et les artistes.
1. Le récit biblique (Juges, 11)
Chassé de la maison paternelle par ses frères, Jephté s'établit dans le pays de Tov. Plus tard, lorsque les Ammonites attaquèrent Israel, les anciens vinrent chercher Jephté lui demandant de se porter à leur tête afin de combattre leurs agresseurs.

- «Ne me haïssez-vous donc pas, répliqua Jephté, ne m'avez-vous pas chassé de la maison de mon père? Pourquoi alors faire appel à moi, maintenant que vous êtes opprimés?» (11,7)
-«C'est pour cette raison même, répondirent les anciens, que nous sommes revenus à toi. Accompagne-nous: tu affronteras les Ammonites et seras chef ainsi que celui de tous les habitants de Galaad.» (11,8)

L'esprit de Yhwh souffla sur Jephté, qui parcourut le Galaad et Manassé, passa par Mitspé de Galaad et, de là, chez les Ammonites. Alors il fit un voeu à Yhwh:

- Si tu remets entre mes mains les Ammonites, appartiendra à Yhwh et sera par moi offert en holocauste celui qui, le premier, lorsque je reviendrai sain et sauf du combat, sortira des portes de ma maison pour m'accueillir.

Pour les attaquer, Jephté passa ensuite chez les Ammonites et Yhwh les remit en son pouvoir. Il les battit depuis Aroër jusqu'aux environs de Minnit, vingt villes en tout, et même jusqu'à Avel-Keramim. Ce fut un très grand cataclysme et les Ammonites en furent humiliés devant Israël.

Lorsque Jephté s'en revint à sa maison de Mitspa, sa fille dansant au son des tambourins, gambada à sa rencontre. Elle était son unique enfant: en dehors d'elle, il n'avait ni fils ni fille. À peine l'aperçut-il qu'il se mit à déchirer ses vêtements en s'écriant:

- Malheur, ma fille, tu me fais vaciller sur moi-même! Tu me piétines le coeur!
Je me suis, moi, engagé devant Yhwh et ne puis plus revenir en arrière!
- Père, répondit-elle, si tu t'es engagé devant Yhwh, et puisque Yhwh t'a permis de te venger de tes ennemis les fils des Ammonites, alors traite-moi selon ce serment. Accorde-moi cependant, ajouta-t-elle, un sursis de deux mois durant lequel, de haut en bas, j'errerai dans les montagnes et, avec mes compagnes, pleurerai sur mon adolescence.
- Va, lui, accorda-t-il, la laissant partir pour deux mois.

Elle et ses compagnes s'en allèrent donc et, dans les montagnes, elle sanglota sur son adolescence sacrifiée. Ce délai écoulé, elle revint à son père qui accomplit sur elle le voeu qu'il avait prononcé. Elle n'avait pas connu d'homme et de là vint, en Israël, la coutume selon laquelle chaque année, quatre jours durant, les filles d'Israël s'en vont célébrer l'enfant de Jephté le Galaadite. (11, 29-40)

2. Jephté dans les arts et les lettres
Jephtes, sive Votum, tragédie de George Buchanan (1557) a été traduit du latin en français par Claude de Vessel, Paris, Estienne (1566), par Florent Chrestien, Orléans, Rahier (1567) et par Pierre de Brinon, Rouen, Osmont (1614). La traduction en français moderne et les commentaires de la tragédie latine de Jephté ont été publiés dans la thèse de Carine Ferradou, Traduction et commentaires des deux tragédies sacrées latines de Georges Buchanan, Jephté et Baptiste, Université de Toulouse, 2001, 732 p.

Michel Pignolet de Montéclair composa un opéra Jephté (1732) à partir du livret de l'abbé Simon-Joseph Pellegrin (1663-1745). Giacomo Carissimi (1605-1674), le plus important compositeur italien d’oratorios et de cantates de son temps, et aussi pédagogue influent, nous a laissé un oratorio Historia di Jephté (1650). D'après le livret du pasteur Thomas Morell, Jephté, le dernier oratorio en trois parties de Haendel, proche de la cécité, fut créé à Londres au Théâtre Royal de Covent Garden, le 26 février 1752.

La toile «La Fille de Jephté» a été réalisée par l'artiste Bazzani Giuseppe (1690 - 1769). La toile de Rombout Von Troyen (Amsterdam, circa 1605-1660), «La fille de Jephté», est exposée au musée de Dunkerke. Le tableau «Le sacrifice de la fille de Jephté» (1695-1697) d'Antoine Coypel se trouve au musée des beaux-arts de Dijon, France. Avec ce tableau, plusieurs oeuvres sont à rapprocher ou à comparer, parmi lesquelles la gravure de Duchange, «Le Sacrifice de la fille de Jephté», Paris à la BNF et la gravure de J. Davesne, «Le Sacrifice de la fille de Jephté»(http://mistral.culture.fr/public/mistral/joconde). Dans La Bible illustrée par Gustave Doré,figure la gravure «La fille de Jephté courant au-devant de son père» (Juges 11, 29-36). Une autre gravure représentant «Le sacrifice de la fille de Jephté est l'oeuvre de Sébastien Bourdon (1616-1671).

3. Voltaire et Jephté
Dans son Dictionnaire philosophique, Voltaire* publie un chapitre, intitulé «Jephté ou des sacrifices de sang humain». Il écrit:

«Il est évident, par le texte du livre des Juges, que Jephté promit de sacrifier la première personne qui sortirait de sa maison pour venir le féliciter de sa victoire contre les Ammonites. Sa fille unique vint au-devant de lui; il déchira ses vêtements, et il l'immola après lui avoir permis d'aller pleurer sur les montagnes le malheur de mourir vierge. Les filles juives célébrèrent longtemps cette aventure, en pleurant la fille de Jephté pendant quatre jours.»

Dans une note, il fait référence au chapitre 11 des Juges et il poursuit sa démarche en s'appuyant sur les faits rapportés dans les Écritures. De ces faits observés, il conclut que l'existence des sacrifices de sang humain étaient clairement établis en Israël. Source ou copie des us et coutumes en vigueur en d'autres nations, cette tradition était bel et bien inscrite dans les lois du peuple juif. Et pour prouver son assertion, Voltaire de citer le Lévitique. Voici donc la suite de son argumentation:

«En quelque temps que cette histoire ait été écrite, qu'elle soit imitée de l'histoire grecque d'Agamemnon et d'Idomée ou qu'elle en soit le modèle, qu'elle soit antérieure ou postérieure à de pareilles histoires assyriennes, ce n'est pas ce que j'examine; je m'en tiens au texte: Jephté voue sa fille en holocauste et accomplit son voeu.

Il était expressément ordonné par la loi juive d'immoler les hommes voués au Seigneur:«Tout homme voué ne sera point racheté, mais sera mis à mort sans rémission.» La Vulgate traduit: Non redimetur, sed morte morietur. (Lévitique, chap. XXVII, v. 29)

C'est en vertu de cette loi que Samuel coupa en morceaux le roi Agag, à qui, comme nous l'avons déjà dit, Saül avait pardonné; et c'est même pour avoir épargné Agag que Saül fut réprouvé du Seigneur et perdit son royaume.

Voilà donc, les sacrifices de sang humain clairement établis; il n'y a aucun point d'histoire mieux constaté. On ne peut juger d'une nation que par ses archives et par ce qu'elle rapporte d'elle-même.»

(Dictionnaire philosohique, Édition présentée et annotée par Alain Pons, Paris, Gallimard, «Folio classique», 1994, p. 331-332)


Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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