François Lapierre, auteur de 13 textes sur le dialogue Vivre-Mourir, 2009, détient une Licence en Lettres de l'Université de Montréal ainsi qu'une Maîtrise en Administration Publique de l'ENAP. Il a fait carrière pendant 35 ans dans les domaines de la formation du personnel, des relations humaines et du développement organisationnel dans les secteurs public et parapublic tant au niveau fédéral que provincial et municipal. Il a été chargé de cours en gestion du personnel à l'UQAM ainsi qu'en psychologie industrielle à la faculté de l'éducation permanente de l'Université de Montréal. Ce cheminement professionnel l'a conduit à faire depuis 5 ans de l'accompagnement à l'Entraide Ville-Marie auprès des personnes qui, atteintes de cancer en phase préterminale et terminale, désirent mourir à domicile.
francoislapierre@videotron.qc.ca
www.entraidevillemarie.com
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Lors de mes accompagnements à domicile auprès des personnes atteintes de cancer, je me dois de relever le grand défi de l'écoute. Je dois être un virtuose de l'écoute par une sympathie attentive, une empathie compréhensive et une compassion* chaleureuse.
La virtuosité exige la maîtrise des sentiments pour jouer de la sympathie, s'accorder dans l'empathie et faire résonner la compassion. Le développement des habiletés d'écoute doit écarter toute confusion ou improvisation.
Alors surgit la grande question pour un accompagnement fructueux : « Compassion, qui es-tu? Puis-je te trouver un peu dans l'expression de ma sympathie ou un peu plus dans ma recherche d'empathie? Qui es-tu? Un ego, deux ego ou deux égaux? »
La sympathie comme une caméra : un ego
Lorsque je pénètre dans la maison de la personne que j'accompagne, chaque fois, mon regard prend des photos et je vois sur les visages des interrogations, de l'inquiétude et de l'épuisement.
Ce que mon œil capte m'émeut beaucoup et réveille de la douleur en mon propre intérieur.
Mon ego, mon moi est touché et un profond sentiment de sympathie monte en moi. Je suis alors porté à ressentir ma douleur avec beaucoup d'attention.
Occupé par ma caméra, je deviens à mon écoute, à l'écoute de ce qui vibre en moi et, finalement, peu attentif à l'intériorité de l'autre.
Et c'est alors que la compassion me répond : « Non, je ne suis pas dans ta bienfaisante sympathie, je ne suis pas dans ton ego. »
L'empathie comme un miroir : deux ego
Au cours de mes accompagnements, je reçois l'expression de souffrances, de douleurs, d'angoisses et d'espoirs. Devant tant de pertes et de deuils quotidiens, je sens que la personne qui est malade cherche auprès de moi des réponses, des solutions à ses questionnements. Que dire?
Alors, j'écoute et je deviens un miroir pour réfléchir l'image de ce qu'elle m'a montré avec tant d'intensité et que j'ai reçu avec tant d'émotion. Comme un miroir, je lui renvoie ce qui se passe en elle, en son moi, en son ego. La plupart du temps, elle se reconnaît et me dit : « Comme tu me comprends! » Au creux d'elle-même, elle me trouve « empathique ». Elle n'a vraiment pas besoin de mes solutions : elle a besoin d'être écoutée. Elle n'a pas besoin de mon ego.
Mais ce n'est pas facile de refléter des sentiments, car cela exige de m'abstenir de parler de moi, de ma perception de sa réalité et de mes solutions à ses interrogations.
L'important est que la personne saisisse par mes « reflets » comment elle peut poursuivre sa route en toute confiance, en étant assurée que quelqu'un demeure présent à sa souffrance et à son univers émotionnel. Ainsi, mon vécu et mon système de valeurs s'effacent pour laisser toute la place à son cheminement.
En conséquence, par le miroir, nous demeurons deux ego.
Et la compassion de me dire : « Je n'étais pas dans ton ego, je ne suis pas plus dans vos deux ego. »
La compassion comme un portage : deux égaux
Le portage
Par le passé, j'ai souvent eu l'occasion de faire du portage : nous étions deux coéquipiers, un canot sur nos épaules, avançant au même rythme dans le même sentier… L'un ouvrait la route, l'autre l'accompagnait, et tous les deux nous surmontions les écueils, partagions les découvertes pour finalement atteindre le lac.
Et c'est encore du portage que je fais à l'Entraide Ville-Marie. C'est la personne malade qui marche en avant pour ouvrir la route de la communication afin que je pénètre dans son lac intérieur et qu'elle me rejoigne dans le mien, baignés tous les deux dans nos confidences secrètes. Nous devenons deux égaux.
La compassion
Il est possible, par les soins médicaux et infirmiers, de venir à bout de la douleur, mais il n'est pas possible d'éradiquer la souffrance intérieure, car elle fait partie de la vie. Ainsi, la personne qui fait de l'accompagnement ne peut demeurer en surface, mais doit se lancer dans l'aventure de la profondeur pour partager l'impuissance de celle qui souffre.
Au début de l'accompagnement, les regards échangés donnent accès à l'intimité; déjà, dans le silence de ces regards, nous ne nous sentons plus seuls.
Alors commence l'élan de la compassion qui nous permet, à l'un et à l'autre, d'atteindre un espace de grande sensibilité et de nous rejoindre dans la même part d'humanité qu'est notre propre souffrance.
La compassion devient alors une expérience humaine très touchante et qui exige beaucoup de délicatesse. Comment partager nos souffrances, porter le même canot, être mutuellement à l'écoute, être deux égaux, sans nous identifier l'un à l'autre, sans nous perdre l'un dans l'autre?
La compassion exige, de la part de l'accompagnateur, d'avoir trouvé un équilibre dans ses propres émotions. Et pour entrer en résonance avec la souffrance de l'autre, il faut d'abord être en contact avec sa propre souffrance et l'avoir apprivoisée. Ainsi, il ne sera pas périlleux d'être en contact avec la souffrance de l'autre.
Deux histoires de vie
Dernièrement, lors d'un accompagnement, la personne malade me disait : « C'est bon comme ça, nous sommes tous les deux sur la montagne! Ce serait différent si moi j'étais sur ma montagne et toi dans ta plaine. »
La personne qui est malade doit accepter de multiples pertes et avancer ultimement sur le sentier de la grande perte. Comment alors la personne qui l'accompagne peut-elle la rejoindre intérieurement si elle-même n'a pas fait l'expérience des pertes? Comme dans le portage, il n'y a qu'un canot, qu'un sentier, mais deux paires d'épaules!
La compassion exige donc de suivre l'autre sur le même sentier afin que l'accompagnement devienne un dialogue entre deux histoires de vie. C'est moi qui fais surgir l'histoire de l'autre; c'est l'autre qui fait émerger la mienne.
En somme, l'expérience personnelle de la souffrance chez le malade est difficile à communiquer, sauf à quiconque en a fait l'expérience.
Écueils et découvertes
La compassion demeure difficile, comparée à la sympathie et à l'empathie, car au contact des souffrances de la personne accompagnée, les propres souffrances de l'accompagnateur remontent dans sa mémoire. C'est un art de ne lui pas cacher mes souffrances et en même temps de ressentir en moi que les siennes me font mal. Pour éviter cet écueil, il faut que mes blessures soient guéries, mais que j'en conserve les cicatrices dans ma mémoire. Si elles ne sont pas guéries, il y a risque de ne pas s'engager dans la compassion et de se réfugier dans l'empathie.
L'écueil majeur dans la compassion consiste à nous laisser envahir, à ne pas savoir garder le fragile équilibre entre notre intégrité et le besoin de rapprochement. Le fait d'exposer au grand jour nos histoires respectives nous conduit par la compassion à une grande découverte, celle de la tendresse affectueuse dans le respect de notre intégrité. La compassion devient alors un beau défi.
Sur le sentier de la vie lorsque l'automne arrive et que les branches des arbres deviennent dénudées de leurs feuilles, la compassion nous permet de voir que de minuscules bourgeons sont déjà en place en vue du printemps nouveau. Être capable de voir les bourgeons, voilà le plus bel espoir que fait naître la compassion.
La virtuosité exige la maîtrise des sentiments pour jouer de la sympathie, s'accorder dans l'empathie et faire résonner la compassion. Le développement des habiletés d'écoute doit écarter toute confusion ou improvisation.
Alors surgit la grande question pour un accompagnement fructueux : « Compassion, qui es-tu? Puis-je te trouver un peu dans l'expression de ma sympathie ou un peu plus dans ma recherche d'empathie? Qui es-tu? Un ego, deux ego ou deux égaux? »
La sympathie comme une caméra : un ego
Lorsque je pénètre dans la maison de la personne que j'accompagne, chaque fois, mon regard prend des photos et je vois sur les visages des interrogations, de l'inquiétude et de l'épuisement.
Ce que mon œil capte m'émeut beaucoup et réveille de la douleur en mon propre intérieur.
Mon ego, mon moi est touché et un profond sentiment de sympathie monte en moi. Je suis alors porté à ressentir ma douleur avec beaucoup d'attention.
Occupé par ma caméra, je deviens à mon écoute, à l'écoute de ce qui vibre en moi et, finalement, peu attentif à l'intériorité de l'autre.
Et c'est alors que la compassion me répond : « Non, je ne suis pas dans ta bienfaisante sympathie, je ne suis pas dans ton ego. »
L'empathie comme un miroir : deux ego
Au cours de mes accompagnements, je reçois l'expression de souffrances, de douleurs, d'angoisses et d'espoirs. Devant tant de pertes et de deuils quotidiens, je sens que la personne qui est malade cherche auprès de moi des réponses, des solutions à ses questionnements. Que dire?
Alors, j'écoute et je deviens un miroir pour réfléchir l'image de ce qu'elle m'a montré avec tant d'intensité et que j'ai reçu avec tant d'émotion. Comme un miroir, je lui renvoie ce qui se passe en elle, en son moi, en son ego. La plupart du temps, elle se reconnaît et me dit : « Comme tu me comprends! » Au creux d'elle-même, elle me trouve « empathique ». Elle n'a vraiment pas besoin de mes solutions : elle a besoin d'être écoutée. Elle n'a pas besoin de mon ego.
Mais ce n'est pas facile de refléter des sentiments, car cela exige de m'abstenir de parler de moi, de ma perception de sa réalité et de mes solutions à ses interrogations.
L'important est que la personne saisisse par mes « reflets » comment elle peut poursuivre sa route en toute confiance, en étant assurée que quelqu'un demeure présent à sa souffrance et à son univers émotionnel. Ainsi, mon vécu et mon système de valeurs s'effacent pour laisser toute la place à son cheminement.
En conséquence, par le miroir, nous demeurons deux ego.
Et la compassion de me dire : « Je n'étais pas dans ton ego, je ne suis pas plus dans vos deux ego. »
La compassion comme un portage : deux égaux
Le portage
Par le passé, j'ai souvent eu l'occasion de faire du portage : nous étions deux coéquipiers, un canot sur nos épaules, avançant au même rythme dans le même sentier… L'un ouvrait la route, l'autre l'accompagnait, et tous les deux nous surmontions les écueils, partagions les découvertes pour finalement atteindre le lac.
Et c'est encore du portage que je fais à l'Entraide Ville-Marie. C'est la personne malade qui marche en avant pour ouvrir la route de la communication afin que je pénètre dans son lac intérieur et qu'elle me rejoigne dans le mien, baignés tous les deux dans nos confidences secrètes. Nous devenons deux égaux.
La compassion
Il est possible, par les soins médicaux et infirmiers, de venir à bout de la douleur, mais il n'est pas possible d'éradiquer la souffrance intérieure, car elle fait partie de la vie. Ainsi, la personne qui fait de l'accompagnement ne peut demeurer en surface, mais doit se lancer dans l'aventure de la profondeur pour partager l'impuissance de celle qui souffre.
Au début de l'accompagnement, les regards échangés donnent accès à l'intimité; déjà, dans le silence de ces regards, nous ne nous sentons plus seuls.
Alors commence l'élan de la compassion qui nous permet, à l'un et à l'autre, d'atteindre un espace de grande sensibilité et de nous rejoindre dans la même part d'humanité qu'est notre propre souffrance.
La compassion devient alors une expérience humaine très touchante et qui exige beaucoup de délicatesse. Comment partager nos souffrances, porter le même canot, être mutuellement à l'écoute, être deux égaux, sans nous identifier l'un à l'autre, sans nous perdre l'un dans l'autre?
La compassion exige, de la part de l'accompagnateur, d'avoir trouvé un équilibre dans ses propres émotions. Et pour entrer en résonance avec la souffrance de l'autre, il faut d'abord être en contact avec sa propre souffrance et l'avoir apprivoisée. Ainsi, il ne sera pas périlleux d'être en contact avec la souffrance de l'autre.
Deux histoires de vie
Dernièrement, lors d'un accompagnement, la personne malade me disait : « C'est bon comme ça, nous sommes tous les deux sur la montagne! Ce serait différent si moi j'étais sur ma montagne et toi dans ta plaine. »
La personne qui est malade doit accepter de multiples pertes et avancer ultimement sur le sentier de la grande perte. Comment alors la personne qui l'accompagne peut-elle la rejoindre intérieurement si elle-même n'a pas fait l'expérience des pertes? Comme dans le portage, il n'y a qu'un canot, qu'un sentier, mais deux paires d'épaules!
La compassion exige donc de suivre l'autre sur le même sentier afin que l'accompagnement devienne un dialogue entre deux histoires de vie. C'est moi qui fais surgir l'histoire de l'autre; c'est l'autre qui fait émerger la mienne.
En somme, l'expérience personnelle de la souffrance chez le malade est difficile à communiquer, sauf à quiconque en a fait l'expérience.
Écueils et découvertes
La compassion demeure difficile, comparée à la sympathie et à l'empathie, car au contact des souffrances de la personne accompagnée, les propres souffrances de l'accompagnateur remontent dans sa mémoire. C'est un art de ne lui pas cacher mes souffrances et en même temps de ressentir en moi que les siennes me font mal. Pour éviter cet écueil, il faut que mes blessures soient guéries, mais que j'en conserve les cicatrices dans ma mémoire. Si elles ne sont pas guéries, il y a risque de ne pas s'engager dans la compassion et de se réfugier dans l'empathie.
L'écueil majeur dans la compassion consiste à nous laisser envahir, à ne pas savoir garder le fragile équilibre entre notre intégrité et le besoin de rapprochement. Le fait d'exposer au grand jour nos histoires respectives nous conduit par la compassion à une grande découverte, celle de la tendresse affectueuse dans le respect de notre intégrité. La compassion devient alors un beau défi.
Sur le sentier de la vie lorsque l'automne arrive et que les branches des arbres deviennent dénudées de leurs feuilles, la compassion nous permet de voir que de minuscules bourgeons sont déjà en place en vue du printemps nouveau. Être capable de voir les bourgeons, voilà le plus bel espoir que fait naître la compassion.