La maison sert de trait d'union entre les vivants et les morts. À travers les âges et les pays, la maison* sert de métaphore ou de métonyme du tombeau. Michel Ragon consacre la première partie de son livre L'espace de la mort aux diverses «maisons des morts»: tombeaux, cimetières, nécropoles, monuments. Au chapitre intitulé «La tombe-maison», nous lui emprunterons quelques découvertes importantes en matière de géographie, d'architecture et d'esthétique funéraires.
Dans la civilisation celte, aussi bien que dans celles de l'Afrique noire, on croyait qu'un mort sans sépulture devenait un vampire. Égyptiens, Grecs, Romains tenaient eux aussi pour une chose horrible de priver un mort de sépulture. Ceux qui n'étaient pas inhumés me se trouvaient-ils pas à condamner à errer sur les bords du Styx*? On sait la douleur du banni, Grec ou Romain, séparé de la terre mère, personne après sa mort ne pouvant entretenir son culte. On sait aussi que l'excommunication catholique n'a fait que reprendre cette malédiction antique, l'excommunié étant privé de sépulture. (p.31)
Le corps est la première maison de l'âme. Le corps décomposé, l'âme erre sans maison. [...] Le tombeau est une seconde maison. Le soin que l'on met à construire cette maison du mort, la persévérance avec laquelle on entretient cette dernière demeure, peut empêcher le mort de «revenir». Priver un mort de sépulture c'est donc bien l'obliger à errer, sans maison. Cependant, le tombeau est aussi un lieu de passage. Les Égyptiens ont fait de leur sépulture un tremplin pour accéder à l'autre monde. Les premiers chrétiens construisaient leurs églises sur le tombeau d'un martyr et faisaient de ce mausolée-église le leu où les vivants et les morts allaient vivre en étroite communauté (p. 23 et 32).
D'après les auteurs grecs, les Égyptiens* appelaient leurs tombeaux «habitations éternelles» ou «demeures d'éternité». Ce terme «maison d'éternité» fut repris par les Israélites, qui baptisaient aussi leurs tombeaux «maisons de vie». Plus près de nous Anna de Noailles comparait les tombes à des «maisons couchées». Chaque tombeau est en effet le double d'une maison, ou d'un appartement et chaque cimetière la projection parallèle d'un village, d'une ville ou d'un quartier. Dès que l'on pense sérieusement à l'acte d'habiter dit Pierre Sansot. (p. 37)
Dès les premières civilisations qui naissent en Mésopotamie* voilà près de sept mille ans, le tombeau apparaît comme l'envers d'une maison. Et dans la civilisation égyptienne, c'est plutôt le contraire, le tombeau étant l'endroit et la maison l'envers. Dans la littérature assyro-babylonienne, la tombe est appelée «maison» ou «demeure», «maison d'où ne sort pas celui qui entre», «maison des ténèbres», «maison de poussière». Les sépultures assyro-babyloniennes, sont d'ailleurs conçues comme de véritables maisons où le défunt est censé de vivre. (p. 38)
Pendant les millénaires où l'homme a été seulement nomade, la demeure des morts fut la seule qui ne bougeait pas, la seule qui exprimait un arrêt du temps. Et lorsque l'homme s'est sédentarisé, lors des grandes civilisations mésopotamienne et égyptienne, la grande architecture a été celle du tombeau. Un tombeau qui était une demeure où le mort résidait et recevait.» (p. 39)
En Chine de l'époque chalcolithique (3400 ans avant J.-C.) l'urne funéraire est en forme d'habitation. C'est un «édifice» sur quatre pieds (pilotis) flanqués de deux pignons très hauts, avec trois «fenêtres» à la partie supérieure et un toit arrondi. Les décorations des bronzes rituels Chia et Chiloch nous indiquent que l'esprit des ancêtres habitaient une petite maison,parfois carrée, parfois circulaire, dont la forme rappelait la tente, ou encore la cabane de roseaux. (p. 40)
Les Lyciens d'Asie mineure ont construit des monuments antérieurs à la conquête d'Alexandre qui réservaient pour l'extérieur toutes les prouesses architecturales et décoratives. [...] Alors qu'il n'existe aucune trace de décoration à l'intérieur, et que la chambre sépulcrale est toujours unique et fort petite, la montagne entière est sculptée. Les façades des tombeaux superposés, taillés dans la masse, imitent des constructions de bois qui devaient être celles des maisons des vivants. Les morts, eux, disposent d'une maison en pierre. Et le plus étonnant c'est que la pierre reproduit fidèlement la structure des constructions en bois. Rondins sculptés, solives et poutres et même les charnières et les chevilles. (p. 41)
Les Gaulois, comme les Scythes aryens, aménagèrent d'abord des maisons souterraines pour leurs morts, creusées profondément dans le sol et revêtues d'une lourde toiture de planches supportée par de gros poteaux. Puis, à la fin du IV° siècle avant J.-C., où se répand l'incinération en Gaule, apparaissent des monuments funéraires à l'intérieur desquels on dépose des cendres et qui reproduisent l'aspect d'une maison. Une évolution s'est alors produite dans laquelle la tombe-maison souterraine fut remplacée par la stèle-maison extérieure. (p. 42)
La civilisation romaine transformera la stèle-hutte gauloise en stèle-maison somptueuse. Les mausolées funéraires en forme de tour, sur base carrée, hauts de plusieurs étages, comme le mausolée des Jules à Saint-Rémy-de-Provence, sont des stèles-maisons agrandies et «traduites en architecture». (p. 43)
Les peuples italiques pré-étrusques du premier millénaire avant J.-C. enterraient leurs morts dans des huttes rondes, alors qu'ils habitaient des maisons presque rectangulaires. [...] Quant à la tombe étrusque, c'était une véritable maison souterraine, avec sa porte d'entrée et un escalier ou un couloir en pente douce conduisant à un appartement. Pour la couverture, on imitait un toit réel à double versant avec une poutre faîtière apparente. [...] Les lits funéraires reproduisaient fidèlement le lit étrusque ou grec, avec quatre pieds ronds sculptés en saillie. [...] Les tombes conjugales étaient placées au milieu de la pièce, entourées de celles des enfants et beaux-enfants. [...] Les domestiques pouvaient disposer de tout un matériel de cuisine... [...] On a même trouvé dans certaines tombes étrusques, intact, le service de table qui avait été utilisé pour le repas funèbre, donnant l'impression d'un dîner ininterrompu. (p. 44)
Mais dans certaines civilisations, il y eut tout simplement identification entre la maison du vivant et celle du mort. Ou plutôt, si l'on préfère, le mort n'était pas expulsé de la maison où il avait vécu. Les anciens Grecs, tout comme les anciens Romains, enterraient leurs morts sous les dalles de leurs maisons... [...] Certains vivent avec la mort dans la maison, d'autres abandonnent la maison au mort. (p.46)
Le mimétisme maisons-des-vivants/ maisons-des-morts continue [...] sous des variantes modernes, ce qui prouve combien le phantasme est puissant et persistant. (p. 48)
Le corps est la première maison de l'âme. Le corps décomposé, l'âme erre sans maison. [...] Le tombeau est une seconde maison. Le soin que l'on met à construire cette maison du mort, la persévérance avec laquelle on entretient cette dernière demeure, peut empêcher le mort de «revenir». Priver un mort de sépulture c'est donc bien l'obliger à errer, sans maison. Cependant, le tombeau est aussi un lieu de passage. Les Égyptiens ont fait de leur sépulture un tremplin pour accéder à l'autre monde. Les premiers chrétiens construisaient leurs églises sur le tombeau d'un martyr et faisaient de ce mausolée-église le leu où les vivants et les morts allaient vivre en étroite communauté (p. 23 et 32).
D'après les auteurs grecs, les Égyptiens* appelaient leurs tombeaux «habitations éternelles» ou «demeures d'éternité». Ce terme «maison d'éternité» fut repris par les Israélites, qui baptisaient aussi leurs tombeaux «maisons de vie». Plus près de nous Anna de Noailles comparait les tombes à des «maisons couchées». Chaque tombeau est en effet le double d'une maison, ou d'un appartement et chaque cimetière la projection parallèle d'un village, d'une ville ou d'un quartier. Dès que l'on pense sérieusement à l'acte d'habiter dit Pierre Sansot. (p. 37)
Dès les premières civilisations qui naissent en Mésopotamie* voilà près de sept mille ans, le tombeau apparaît comme l'envers d'une maison. Et dans la civilisation égyptienne, c'est plutôt le contraire, le tombeau étant l'endroit et la maison l'envers. Dans la littérature assyro-babylonienne, la tombe est appelée «maison» ou «demeure», «maison d'où ne sort pas celui qui entre», «maison des ténèbres», «maison de poussière». Les sépultures assyro-babyloniennes, sont d'ailleurs conçues comme de véritables maisons où le défunt est censé de vivre. (p. 38)
Pendant les millénaires où l'homme a été seulement nomade, la demeure des morts fut la seule qui ne bougeait pas, la seule qui exprimait un arrêt du temps. Et lorsque l'homme s'est sédentarisé, lors des grandes civilisations mésopotamienne et égyptienne, la grande architecture a été celle du tombeau. Un tombeau qui était une demeure où le mort résidait et recevait.» (p. 39)
En Chine de l'époque chalcolithique (3400 ans avant J.-C.) l'urne funéraire est en forme d'habitation. C'est un «édifice» sur quatre pieds (pilotis) flanqués de deux pignons très hauts, avec trois «fenêtres» à la partie supérieure et un toit arrondi. Les décorations des bronzes rituels Chia et Chiloch nous indiquent que l'esprit des ancêtres habitaient une petite maison,parfois carrée, parfois circulaire, dont la forme rappelait la tente, ou encore la cabane de roseaux. (p. 40)
Les Lyciens d'Asie mineure ont construit des monuments antérieurs à la conquête d'Alexandre qui réservaient pour l'extérieur toutes les prouesses architecturales et décoratives. [...] Alors qu'il n'existe aucune trace de décoration à l'intérieur, et que la chambre sépulcrale est toujours unique et fort petite, la montagne entière est sculptée. Les façades des tombeaux superposés, taillés dans la masse, imitent des constructions de bois qui devaient être celles des maisons des vivants. Les morts, eux, disposent d'une maison en pierre. Et le plus étonnant c'est que la pierre reproduit fidèlement la structure des constructions en bois. Rondins sculptés, solives et poutres et même les charnières et les chevilles. (p. 41)
Les Gaulois, comme les Scythes aryens, aménagèrent d'abord des maisons souterraines pour leurs morts, creusées profondément dans le sol et revêtues d'une lourde toiture de planches supportée par de gros poteaux. Puis, à la fin du IV° siècle avant J.-C., où se répand l'incinération en Gaule, apparaissent des monuments funéraires à l'intérieur desquels on dépose des cendres et qui reproduisent l'aspect d'une maison. Une évolution s'est alors produite dans laquelle la tombe-maison souterraine fut remplacée par la stèle-maison extérieure. (p. 42)
La civilisation romaine transformera la stèle-hutte gauloise en stèle-maison somptueuse. Les mausolées funéraires en forme de tour, sur base carrée, hauts de plusieurs étages, comme le mausolée des Jules à Saint-Rémy-de-Provence, sont des stèles-maisons agrandies et «traduites en architecture». (p. 43)
Les peuples italiques pré-étrusques du premier millénaire avant J.-C. enterraient leurs morts dans des huttes rondes, alors qu'ils habitaient des maisons presque rectangulaires. [...] Quant à la tombe étrusque, c'était une véritable maison souterraine, avec sa porte d'entrée et un escalier ou un couloir en pente douce conduisant à un appartement. Pour la couverture, on imitait un toit réel à double versant avec une poutre faîtière apparente. [...] Les lits funéraires reproduisaient fidèlement le lit étrusque ou grec, avec quatre pieds ronds sculptés en saillie. [...] Les tombes conjugales étaient placées au milieu de la pièce, entourées de celles des enfants et beaux-enfants. [...] Les domestiques pouvaient disposer de tout un matériel de cuisine... [...] On a même trouvé dans certaines tombes étrusques, intact, le service de table qui avait été utilisé pour le repas funèbre, donnant l'impression d'un dîner ininterrompu. (p. 44)
Mais dans certaines civilisations, il y eut tout simplement identification entre la maison du vivant et celle du mort. Ou plutôt, si l'on préfère, le mort n'était pas expulsé de la maison où il avait vécu. Les anciens Grecs, tout comme les anciens Romains, enterraient leurs morts sous les dalles de leurs maisons... [...] Certains vivent avec la mort dans la maison, d'autres abandonnent la maison au mort. (p.46)
Le mimétisme maisons-des-vivants/ maisons-des-morts continue [...] sous des variantes modernes, ce qui prouve combien le phantasme est puissant et persistant. (p. 48)