«La maison sublime» est le titre d'une section d'un article signé de Jérôme Thélot et intitulé «John Millington Synge. La maison le sublime, la parole» dans Yves Bonnefoy, dir., La conscience de soi de la poésie, Colloque de la fondation Hugot du Collège de France (1993-2004), Paris, Seuil, «Le genre humain», 2008, p. 315-330. Le dramaturge Synge (16 avril 1871 - 24 mars 1909) a écrit plusieurs pièces de théâtre: Riders to the Sea (Cavaliers de la mer), In the Shadow of the Glen (L'Ombre de la vallée), The Playboy of the Western World, ( Le Baladin du monde occidental). Deirdre of the Sorrows (Deirdre des douleurs) ainsi qu'un conte: The Aran Islands (Les Îles d'Aran). JérômeThélot emploie le mot sublime pour rendre le sens que Edmund Burke (Dublin, le 12 janvier 1729 - Beaconsfield (Buckinghamshire), le 9 juillet 1797) accorde au concept de delight pour décrire ce plaisir accompagné d'effroi ou «ce bonheur ontologique accru par le malheur existentiel » que Synge a trouvés dans la maison du western world par lequel il entend l'Ouest de l'irlande, la partie gaélique et pauvre.
Le sublime - o la terreur délicieuse, ou le soulèvement de la jubilation devant le retrait du malheur menaçant toujours -, c'est cela qui fonde la dignité de cette maison, la dignité du précaire exposé aux violences de l'extériorité. Le delight - ou le plaisir qui naît de l'éloignement du déplaisir, et ce déplaisir encore mais en s'éloignant -, c'est l'émoi propre à la maison selon Synge. Car les adultes et les enfants qui parlent ensemble dans «ce petit coin de la surface du monde» le font toujours sous la menace de la destruction, et, donc, dans le ravissement d'échapper présentement à la catastrophe qui toujours se prépare et cette fois-ci se retire. C'est que le dedans de la maison contraste avec son dehors, et s'articule à ce dehors d'une façon telle que la maison entière symbolise la parole humaine, comme ce en en quoi les hommes se protègent du péril et de la dernière misère. [...] Et dehors, c'est le vent: or il n'est pas facile de dire ce qu'est le vent d'Irlande. Dans les pièces de Synge, le vent retentit dans les paroles des personnages comme leur crainte de sortir, comme leur angoisse de cet espace infiniment vacant qui cerne la chaumière. La vieille mythologie irlandaise donnait le vent pour symbole non de vanité métaphysique, mais de destruction.
[...]
La phénoménologie de la maison, conduite poétiquement par Synge [...] s'accomplit ainsi comme l'écoute d'une lamentation - le farouche keen -, cette déploration des morts, plainte extatique dans laquelle s'exalte l'expérience de la terreur du monde et de la désolation sublime. Le verbe to keen semble sans équivalent en français , et Pierre Leyris conserve tel quel le mot keen dans sa traduction. Le keen , donc, se fait entendre dès la première pièce de Synge, lorsque Maurya, la mère qui travaille à la maison, comprend qu'elle a perdu ses fils, de dehors, noyés dans l'éternelle tempête.
«Ils sont tous partis maintenant, plus rien que la mer puisse me faire... Je n'aurai plus de raison de me lever la nuit pour être à pleurer et prier quand le vent hurle au sud et qu'on entend la houle de l'est, la houle de l'ouest, toutes les deux à cogner l'une dans l'autre, avec le grand vacarme de leurs deux bruits. Plus de raison maintenant de descendre chercher l'eau bénite dans les nuits noirs d'après la fête des Morts, plus de raison d'être à s'inquiéter de comment est la mer en entendant les autres femmes commencer à chanter la plainte de mort.» ( J. M. Synge, Cavaliers de la mer, Théâtre complet, traduit, présenté et annoté par Françoise Morvan, Arles, Actes Sud, «Babel», 1996, p. 42)
[...]
La phénoménologie de la maison, conduite poétiquement par Synge [...] s'accomplit ainsi comme l'écoute d'une lamentation - le farouche keen -, cette déploration des morts, plainte extatique dans laquelle s'exalte l'expérience de la terreur du monde et de la désolation sublime. Le verbe to keen semble sans équivalent en français , et Pierre Leyris conserve tel quel le mot keen dans sa traduction. Le keen , donc, se fait entendre dès la première pièce de Synge, lorsque Maurya, la mère qui travaille à la maison, comprend qu'elle a perdu ses fils, de dehors, noyés dans l'éternelle tempête.
«Ils sont tous partis maintenant, plus rien que la mer puisse me faire... Je n'aurai plus de raison de me lever la nuit pour être à pleurer et prier quand le vent hurle au sud et qu'on entend la houle de l'est, la houle de l'ouest, toutes les deux à cogner l'une dans l'autre, avec le grand vacarme de leurs deux bruits. Plus de raison maintenant de descendre chercher l'eau bénite dans les nuits noirs d'après la fête des Morts, plus de raison d'être à s'inquiéter de comment est la mer en entendant les autres femmes commencer à chanter la plainte de mort.» ( J. M. Synge, Cavaliers de la mer, Théâtre complet, traduit, présenté et annoté par Françoise Morvan, Arles, Actes Sud, «Babel», 1996, p. 42)