Dans son «Avant-propos» à l'ouvrage de Marcelle Michelin intitulé Les riches heures. Contes et nouvelles. Au temps de Jehanne Darc et de Loys XI, New York, Paris, Brentano's, 1944, Gustave Cohen, Professeur de la Sorbonne, se pose la question:
«Comment une jeune Française, argentine de naissance, frans-comtoise de père et de mère, américaine d'éducation, bachelière du lycée français de New York, étudiante en médecine de l'Université de Montréal a pu s'éprendre du siècle le plus sombre de notre histoire, le XV° [en France], pour en faire le sujet de ses curiosités et l'objet de sa sensibilité...?» (op. cit., p. 9) La réponse se trouve quelques pages plus loin: «la terrible leçon du XV° se poursuit dans le temps présent» (p. 17). L'auteure écrit ses contes et nouvelles durant la deuxième guerre mondiale. Une de ces nouvelles a pour titre: «Les cloches de Paris» ont sonné à l'heure des joies et des misères du peuple, à l'heure de la mort de Louis XI comme elles sonneront encore à l'heure de la Libération. Malgré un certain ton compassé de patriotisme royaliste mêlé de religion et de politique susceptible de déplaire aux tenants de la laïcité ou de la séparation de l'Église et de l'État, ce texte littéraire met en valeur le rôle des cloches d'une ville qui compatissent avec les souffrances du peuple et se réjouissent avec le peuple en liesse, qui scandent le temps et annoncent les événements de la vie et la mort. Festives ou mélancoliques, légères ou graves, paisibles ou rebelles elles ont le don de créer dans la ville une ambiance de portée esthétique et d'élever ainsi le coeur et l'âme des citadins..
«Comment une jeune Française, argentine de naissance, frans-comtoise de père et de mère, américaine d'éducation, bachelière du lycée français de New York, étudiante en médecine de l'Université de Montréal a pu s'éprendre du siècle le plus sombre de notre histoire, le XV° [en France], pour en faire le sujet de ses curiosités et l'objet de sa sensibilité...?» (op. cit., p. 9) La réponse se trouve quelques pages plus loin: «la terrible leçon du XV° se poursuit dans le temps présent» (p. 17). L'auteure écrit ses contes et nouvelles durant la deuxième guerre mondiale. Une de ces nouvelles a pour titre: «Les cloches de Paris» ont sonné à l'heure des joies et des misères du peuple, à l'heure de la mort de Louis XI comme elles sonneront encore à l'heure de la Libération. Malgré un certain ton compassé de patriotisme royaliste mêlé de religion et de politique susceptible de déplaire aux tenants de la laïcité ou de la séparation de l'Église et de l'État, ce texte littéraire met en valeur le rôle des cloches d'une ville qui compatissent avec les souffrances du peuple et se réjouissent avec le peuple en liesse, qui scandent le temps et annoncent les événements de la vie et la mort. Festives ou mélancoliques, légères ou graves, paisibles ou rebelles elles ont le don de créer dans la ville une ambiance de portée esthétique et d'élever ainsi le coeur et l'âme des citadins..
Ce sont de grandes soeurs qui veillent de leurs tours sur les ardoises grises de la ville. Aussi les écoute-t-on pieusement en cessant le travail; il semble qu'on puisse deviner à chaque vibration prolongée le clocher d'origine...
[...] Les cloches, ce sont des âmes qui parlent, qui pleurent et qui rient avec les habitants. Elles se réjouissent d'un mariage, s'attristent d'un deuil, proclament aux nues la naissance d'un enfant. Elles résument la vie de la grande ville. Dès l'approche du jour, églises, monastères et chapelles, mêlent leurs timbres à la prière du matin. Paris s'éveille...
[...]
Vingt mille demeures, affirment les chroniqueurs, sont tombées en ruines par suite des guerres. D'autres sont déchues de leur ancienne splendeur sous le règne de Charles VII. Mais à présent, l'ennemi chassé de France, les bourgeois rentrés à Paris au lendemain de la victoire, étayent les poutrelles chancelantes et les lattis en croix des façades, réparent les pignons et les tourelles. Verts courtils à rameaux fleuris, poiriers en espaliers, jolis fenestrages à plein cintre, peu à peu tout cela renaît.
Au cimetière des Innocents, le rendez-vous de la ville malgré la présence des charniers, les jeunes gens se promènent en se tenant par la taille, envisageant un bel avenir, et les alchimistes méditent sur le contenu de leurs creusets.
Sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame, l'Hôtel-Dieu est un asile de repos et de miséricorde. Un jour, l'on voit arriver un maigre trouvère, sur une ancienne jument à dos plongeant et à ventre levretté, conduite par une enfant. On s'aperçoit qu'il est aveugle; on le couche dans un lit de la salle Saint-Denis, dont les fenêtres lancéolées donnent sur la Seine. C'est en 1483, et les cloches de Paris sonnent la mort de Loys XI. On l'a à peine aperçu au long de sa vie de travailleur acharné, mais ce fut un grand ami des villes.
[...]
Mais à présent, le roi, l'ami des pauvres recordeurs de chansons, est mort. Le trouvère aveugle, se faisant vieux, est venu mourir lui aussi, tranquillement, sans ennuyer personne, comme ses lais qu'on ne veut plus écouter. Même les cloches n'en sauront rien et demeureront silencieuses. Sur son visage impassible, au matin, un rayon de soleil vient de poser, l'annonce d'un jour nouveau.
Jamais les cloches de Paris ne sont devenues étrangères. Si des coeurs ont varié, elles sont demeurées immuables dans leurs temples de pierre. Elles ont attendu, voilà tout, que l'on vienne les délivrer. L'attente, elles le comprennent, est souvent un sacrifice.
[...]
À présent, elles sont gaies les bonnes cloches de Paris! Advient que les hivers sont souvent rigoureux, que la faim fait encore jaillir les bandes de loups des bois, mais elles sont libres, libres de pleurer, de rire et de sonner à leur guise.
[...]
On dédie les enfants de Paris à la protection des cloches: ce sont des marraines qui intercèdent en faveur des mortels; ce sont des médiatrices entre le ciel et la terre. Aussi, les a-t-on toujours élevées plus haut; ce sont pour elles que l'on construisit les cathédrales.
À la fin du jour, elles commandent le couvre-feu; c'est l'heure où un peuple invisible se glisse le long des murailles grises, où «les misérables se couchent sous les étaux», où les bourgeois rentrent en toute hâte par crainte des mauvaises rencontres.
Braves cloches de Paris, de Saint-Paul... de la Trinité... de Saint-Pierre-aux-Boeufs et des Carmes... vous que les nautonniers en route vers l'océan entendent jusqu'à Mantes comme un adieu, veillez toujours, telle une pensée fidèle, telles les voix de nos morts. Répandez à travers nos campagnes vos joyeux carillons. Et si jamais l'envahisseur viole de nouveau notre royaume, attendez... attendez... gros bourdon rouillé de l'abbaye Sainte-Geneviève... sonneau mélancolique de Saint-Julien-le-Pauvre... aimable cloche chantante du prieuré Saint-Martin... (op. cit., p.129-140: extraits)
[...] Les cloches, ce sont des âmes qui parlent, qui pleurent et qui rient avec les habitants. Elles se réjouissent d'un mariage, s'attristent d'un deuil, proclament aux nues la naissance d'un enfant. Elles résument la vie de la grande ville. Dès l'approche du jour, églises, monastères et chapelles, mêlent leurs timbres à la prière du matin. Paris s'éveille...
[...]
Vingt mille demeures, affirment les chroniqueurs, sont tombées en ruines par suite des guerres. D'autres sont déchues de leur ancienne splendeur sous le règne de Charles VII. Mais à présent, l'ennemi chassé de France, les bourgeois rentrés à Paris au lendemain de la victoire, étayent les poutrelles chancelantes et les lattis en croix des façades, réparent les pignons et les tourelles. Verts courtils à rameaux fleuris, poiriers en espaliers, jolis fenestrages à plein cintre, peu à peu tout cela renaît.
Au cimetière des Innocents, le rendez-vous de la ville malgré la présence des charniers, les jeunes gens se promènent en se tenant par la taille, envisageant un bel avenir, et les alchimistes méditent sur le contenu de leurs creusets.
Sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame, l'Hôtel-Dieu est un asile de repos et de miséricorde. Un jour, l'on voit arriver un maigre trouvère, sur une ancienne jument à dos plongeant et à ventre levretté, conduite par une enfant. On s'aperçoit qu'il est aveugle; on le couche dans un lit de la salle Saint-Denis, dont les fenêtres lancéolées donnent sur la Seine. C'est en 1483, et les cloches de Paris sonnent la mort de Loys XI. On l'a à peine aperçu au long de sa vie de travailleur acharné, mais ce fut un grand ami des villes.
[...]
Mais à présent, le roi, l'ami des pauvres recordeurs de chansons, est mort. Le trouvère aveugle, se faisant vieux, est venu mourir lui aussi, tranquillement, sans ennuyer personne, comme ses lais qu'on ne veut plus écouter. Même les cloches n'en sauront rien et demeureront silencieuses. Sur son visage impassible, au matin, un rayon de soleil vient de poser, l'annonce d'un jour nouveau.
Jamais les cloches de Paris ne sont devenues étrangères. Si des coeurs ont varié, elles sont demeurées immuables dans leurs temples de pierre. Elles ont attendu, voilà tout, que l'on vienne les délivrer. L'attente, elles le comprennent, est souvent un sacrifice.
[...]
À présent, elles sont gaies les bonnes cloches de Paris! Advient que les hivers sont souvent rigoureux, que la faim fait encore jaillir les bandes de loups des bois, mais elles sont libres, libres de pleurer, de rire et de sonner à leur guise.
[...]
On dédie les enfants de Paris à la protection des cloches: ce sont des marraines qui intercèdent en faveur des mortels; ce sont des médiatrices entre le ciel et la terre. Aussi, les a-t-on toujours élevées plus haut; ce sont pour elles que l'on construisit les cathédrales.
À la fin du jour, elles commandent le couvre-feu; c'est l'heure où un peuple invisible se glisse le long des murailles grises, où «les misérables se couchent sous les étaux», où les bourgeois rentrent en toute hâte par crainte des mauvaises rencontres.
Braves cloches de Paris, de Saint-Paul... de la Trinité... de Saint-Pierre-aux-Boeufs et des Carmes... vous que les nautonniers en route vers l'océan entendent jusqu'à Mantes comme un adieu, veillez toujours, telle une pensée fidèle, telles les voix de nos morts. Répandez à travers nos campagnes vos joyeux carillons. Et si jamais l'envahisseur viole de nouveau notre royaume, attendez... attendez... gros bourdon rouillé de l'abbaye Sainte-Geneviève... sonneau mélancolique de Saint-Julien-le-Pauvre... aimable cloche chantante du prieuré Saint-Martin... (op. cit., p.129-140: extraits)