Après le départ de Dirty, H. quitta la gare de Francfort et fut témoin d'un spectacle hideux d'une parade d'enfants nazis, en uniforme, jouant de la musique sous la pluie. Dans la nuit, la musique retentit, sur la grande place, comme un cri de guerre et de meurtre: «une armée d'enfants rangée en bataille», «envoûtés par le désir d'aller à la mort». «À cette marée montante du meurtre», heureuse de sacrifier la vie, H. , le souffle coupé, ne peut opposer qu'une noire ironie qui se moquent de l'idéologie néfaste de la gloire militaire..
Elle disparut avec le train.
J'étais seul sur le quai. Dehors il pleuvait à verse. Je m'en allai en pleurant. Je marchais péniblement. [...] J'arrivai à l'extrémité du hall: j'entendis un bruit de musique violent, un bruit d'une aigreur intolérable. Je pleurais toujours. De la porte de la gare, je vis de loin, à l'autre extrémité d'une place immense, un théâtre bien éclairé et, sur les marches du théâtre, une parade de musiciens en uniforme: le bruit était splendide, déchirant les oreilles, exultant. J'étais si surpris qu'aussitôt, je cessai de pleurer. Je n'avais plus envie d'aller aux cabinets. Sous la pluie battante, je traversai la place vide en courant. Je me mis à l'abri sous l'auvent du théâtre.
J'étais devant des enfants en ordre militaire, immobiles, sur les marches de ce théâtre: ils avaient des culottes courtes de velours noir et de petites vestes ornées d'aiguillettes, ils étaient nu-tête; à droite des fifres, à gauche des tambours plats. Ils jouaient avec tant de violence, avec un rythme si cassant que j'étais devant eux le souffle coupé. Rien de plus sec que les tambours plats qui battaient, ou de plus acide, que les fifres. Tous ces enfants nazis (certains d'entre eux étaient blonds, avec un visage de poupée) jouant pour de rares passants, dans la nuit, devant l'immense place vide sous l'averse, paraissaient en proie, raides comme des triques, à une exultation de cataclysme: devant eux, leur chef, un gosse d'une maigreur de dégénéré. avec le visage hargneux d'un poisson (de temps à autre, il se retournait pour aboyer des commandements, il râlait), marquait la mesure avec une longue canne de tambour-major. D'un geste obscène, il dressait cette canne, pommeau sur le bas-ventre (elle ressemblait alors à un pénis de singe démesuré, décoré de tresses de cordelettes de couleur); d'une saccade de sale petite brute, il élevait alors le pommeau à hauteur de la bouche. Du ventre à la bouche, de la bouche au ventre, chaque allée et venue, saccadée, hachée par une rafale de tambours. Ce spectacle était obscène. Il était terrifiant: si je n'avais pas disposé d'un rare sang-froid, comment serais-je resté debout regardant ces haineuses mécaniques, aussi calme que devant un mur de pierre. Chaque éclat de la musique, dans la nuit était une incantation, qui appelait à la guerre et au meurtre. Les battements de tambour étaient portés au paroxysme, dans l'espoir de se résoudre finalement en sanglantes rafales d'artillerie: je regardais au loin...une armée d'enfants rangée en bataille. Ils étaient cependant immobiles, mais en transe. Je les voyais, non loin de mol, envoûtés par le désir d'aller à la mort. Hallucinés par des champs illimités où, un jour, ils s'avanceraient, riant au soleil: ils laisseraient derrière eux les agonisants et les morts.
A cette marée montante du meurtre, beaucoup plus acide que la vie (parce que la vie n'est pas aussi lumineuse de sang que la mort), Il serait impossible d'opposer plus que des vétilles, les supplications comiques de vieilles dames. Toutes choses n'étaient-elles pas destinées à l'embrasement, flamme et tonnerre mêlés, aussi pâle que le soufre allumé, qui prend à la gorge, Une hilarité me tournait la tête: j'avais, à me découvrir en face de cette catastrophe une ironie noire, celle qui accompagne les spasmes dans les moments où personne ne peut se tenir de crier, La musique s'arrêta: la pluie avait cessé. Je rentrai lentement vers la gare: le train était formé. Je marchai quelque temps, le long du quai, avant d'entrer dans un compartiment; le train ne tarda pas à partir.
Mai 1935.
J'étais seul sur le quai. Dehors il pleuvait à verse. Je m'en allai en pleurant. Je marchais péniblement. [...] J'arrivai à l'extrémité du hall: j'entendis un bruit de musique violent, un bruit d'une aigreur intolérable. Je pleurais toujours. De la porte de la gare, je vis de loin, à l'autre extrémité d'une place immense, un théâtre bien éclairé et, sur les marches du théâtre, une parade de musiciens en uniforme: le bruit était splendide, déchirant les oreilles, exultant. J'étais si surpris qu'aussitôt, je cessai de pleurer. Je n'avais plus envie d'aller aux cabinets. Sous la pluie battante, je traversai la place vide en courant. Je me mis à l'abri sous l'auvent du théâtre.
J'étais devant des enfants en ordre militaire, immobiles, sur les marches de ce théâtre: ils avaient des culottes courtes de velours noir et de petites vestes ornées d'aiguillettes, ils étaient nu-tête; à droite des fifres, à gauche des tambours plats. Ils jouaient avec tant de violence, avec un rythme si cassant que j'étais devant eux le souffle coupé. Rien de plus sec que les tambours plats qui battaient, ou de plus acide, que les fifres. Tous ces enfants nazis (certains d'entre eux étaient blonds, avec un visage de poupée) jouant pour de rares passants, dans la nuit, devant l'immense place vide sous l'averse, paraissaient en proie, raides comme des triques, à une exultation de cataclysme: devant eux, leur chef, un gosse d'une maigreur de dégénéré. avec le visage hargneux d'un poisson (de temps à autre, il se retournait pour aboyer des commandements, il râlait), marquait la mesure avec une longue canne de tambour-major. D'un geste obscène, il dressait cette canne, pommeau sur le bas-ventre (elle ressemblait alors à un pénis de singe démesuré, décoré de tresses de cordelettes de couleur); d'une saccade de sale petite brute, il élevait alors le pommeau à hauteur de la bouche. Du ventre à la bouche, de la bouche au ventre, chaque allée et venue, saccadée, hachée par une rafale de tambours. Ce spectacle était obscène. Il était terrifiant: si je n'avais pas disposé d'un rare sang-froid, comment serais-je resté debout regardant ces haineuses mécaniques, aussi calme que devant un mur de pierre. Chaque éclat de la musique, dans la nuit était une incantation, qui appelait à la guerre et au meurtre. Les battements de tambour étaient portés au paroxysme, dans l'espoir de se résoudre finalement en sanglantes rafales d'artillerie: je regardais au loin...une armée d'enfants rangée en bataille. Ils étaient cependant immobiles, mais en transe. Je les voyais, non loin de mol, envoûtés par le désir d'aller à la mort. Hallucinés par des champs illimités où, un jour, ils s'avanceraient, riant au soleil: ils laisseraient derrière eux les agonisants et les morts.
A cette marée montante du meurtre, beaucoup plus acide que la vie (parce que la vie n'est pas aussi lumineuse de sang que la mort), Il serait impossible d'opposer plus que des vétilles, les supplications comiques de vieilles dames. Toutes choses n'étaient-elles pas destinées à l'embrasement, flamme et tonnerre mêlés, aussi pâle que le soufre allumé, qui prend à la gorge, Une hilarité me tournait la tête: j'avais, à me découvrir en face de cette catastrophe une ironie noire, celle qui accompagne les spasmes dans les moments où personne ne peut se tenir de crier, La musique s'arrêta: la pluie avait cessé. Je rentrai lentement vers la gare: le train était formé. Je marchai quelque temps, le long du quai, avant d'entrer dans un compartiment; le train ne tarda pas à partir.
Mai 1935.