La présente nouvelle d'Oscar Wilde (1854-2000) a pour sujet l'ingratitude et l'indifférence des humains - ici une jeune fille et un jeune homme - à l'égard d'un amour qui va jusqu'à la mort. L'acte sacrificiel* pour le bien-être et le salut d'autrui semble ignoré et méconnu.
Biographie d'Oscar Wilde:
http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Oscar_Wilde
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Quand la lune brilla dans les cieux, le Rossignol vola jusqu'au Rosier et appliqua sa poitrine tout contre l'épine. Toute la nuit, il chanta, la poitrine contre l'épine, et la froide Lune de cristal se pencha pour l'écouter. Toute la nuit il chanta, l'épine s'enfonçait de plus en plus dans sa poitrine, et le sang qui lui donnait la vie s'échappait de son corps.
Il chanta, tout d'abord, la naissance de l'amour dans le coeur d'un garçon et d'une fillette. Et sur la plus haute branche du Rosier fleurit une rose magnifique, pétale après pétale, chanson après chanson. Elle eut d'abord la pâleur d'un brouillard s'élevant au-dessus du fleuve - celle des pieds du Matin, puis la couleur argentée des ailes de l'Aube. Ombre d'une rose en un miroir d'argent, ombre d'une rose en une nappe d'eau, telle était la rose qui fleurissait sur la plus haute branche de l'Arbrisseau.
Mais l'Arbrisseau cria au Rossignol d'appuyer plus fort contre l'épine. «Appuie plus fort, petit Rossignol, s'écriait l'Arbrisseau, ou le Jour paraîtra avant que la rose ne soit achevée.»
Et le Rossignol appuya plus fort contre l'épine, et son chant se fit plus sonore, car il chantait la naissance de la passion dans l'âme d'un homme et d'une jeune fille.
Une délicate nuance de rose gagna les pétales de la rose; on eût dit le visage rougissant de l'époux quand il baise les lèvres de l'épouse. Mais l'épine n'avait pas encore atteint son coeur, si bien que le coeur de la rose restait blanc car seul le sang d'un coeur de Rossignol peut rougir un coeur de rose.
Et le Rossignol appuya plus fort contre l'épine. L'épine lui toucha le coeur, et une douleur aiguë le traversa soudain. Amère, amère fut cette douleur, et son chant se fit plus insensé, car il chantait l'Amour qui trouve sa perfection dans la Mort, de l'Amour qui ne meurt pas dans la tombe.
La magnifique rose devint écarlate, autant que celle du ciel d'Orient. Écarlate était la ceinture de pétales, écarlate le coeur qui semblait un rubis.
Mais la voix du Rossignol s'affaiblissait, ses petites ailes commencèrent à battre et un voile lui couvrit les yeux. Son chant se fit de plus en plus faible et il sentit quelque chose l'étouffer.
C'est alors qu'il exhala une dernière bouffée de musique. La Lune blanche l'entendit, en oublia l'aube et s'attarda dans le ciel. La Rose rouge qui l'entendit trembla, tout entière en extase, et dans l'air frai du matin ouvrit ses pétales. Écho l'emporta jusque dans sa caverne pourprine, sur les collines, et elle réveilla de leurs rêves les pâtres endormis. Elle flotta parmi les roseaux du fleuve, et ils portèrent son message jusqu'à la mer.
«Regarde, regarde! s'écrira l'Arbrisseau, la rose est achevée ce matin»; mais le Rossignol ne répondit rien car il gisait mort parmi les hautes herbes, le coeur percé d'une épine.
[...]
La fille du Professeur était assise sous le proche. Elle dévidait de la soie bleue. Son peti chien était allongé à ses pieds.
«Vous avez dit que vous danseriez avec moi si je vous apportais une rose rouge, s'écria l'Étudiant. Voici la rose la plus rouge qui existe au monde. Ce soir vous la porterez tout près de votre coeur, et pendant que nous danserons elle vous dira combien je vous aime.»
Mais la jeune fille fronça les sourcils.
«Je crains qu'elle n'aille pas avec ma robe, répondit-elle; d'ailleurs, le neveu du Chambellan m'a envoyé de vrais bijoux, et tout le monde sait que les bijoux coûtent plus cher que les fleurs.
«Eh bien, par ma foi, vous êtes bien ingrate», dit l'étudiant en fureur. Et il jeta la rose dans la rue où elle tomba dans le caniveau. Une charrette lui roula dessus.
[...]
Il chanta, tout d'abord, la naissance de l'amour dans le coeur d'un garçon et d'une fillette. Et sur la plus haute branche du Rosier fleurit une rose magnifique, pétale après pétale, chanson après chanson. Elle eut d'abord la pâleur d'un brouillard s'élevant au-dessus du fleuve - celle des pieds du Matin, puis la couleur argentée des ailes de l'Aube. Ombre d'une rose en un miroir d'argent, ombre d'une rose en une nappe d'eau, telle était la rose qui fleurissait sur la plus haute branche de l'Arbrisseau.
Mais l'Arbrisseau cria au Rossignol d'appuyer plus fort contre l'épine. «Appuie plus fort, petit Rossignol, s'écriait l'Arbrisseau, ou le Jour paraîtra avant que la rose ne soit achevée.»
Et le Rossignol appuya plus fort contre l'épine, et son chant se fit plus sonore, car il chantait la naissance de la passion dans l'âme d'un homme et d'une jeune fille.
Une délicate nuance de rose gagna les pétales de la rose; on eût dit le visage rougissant de l'époux quand il baise les lèvres de l'épouse. Mais l'épine n'avait pas encore atteint son coeur, si bien que le coeur de la rose restait blanc car seul le sang d'un coeur de Rossignol peut rougir un coeur de rose.
Et le Rossignol appuya plus fort contre l'épine. L'épine lui toucha le coeur, et une douleur aiguë le traversa soudain. Amère, amère fut cette douleur, et son chant se fit plus insensé, car il chantait l'Amour qui trouve sa perfection dans la Mort, de l'Amour qui ne meurt pas dans la tombe.
La magnifique rose devint écarlate, autant que celle du ciel d'Orient. Écarlate était la ceinture de pétales, écarlate le coeur qui semblait un rubis.
Mais la voix du Rossignol s'affaiblissait, ses petites ailes commencèrent à battre et un voile lui couvrit les yeux. Son chant se fit de plus en plus faible et il sentit quelque chose l'étouffer.
C'est alors qu'il exhala une dernière bouffée de musique. La Lune blanche l'entendit, en oublia l'aube et s'attarda dans le ciel. La Rose rouge qui l'entendit trembla, tout entière en extase, et dans l'air frai du matin ouvrit ses pétales. Écho l'emporta jusque dans sa caverne pourprine, sur les collines, et elle réveilla de leurs rêves les pâtres endormis. Elle flotta parmi les roseaux du fleuve, et ils portèrent son message jusqu'à la mer.
«Regarde, regarde! s'écrira l'Arbrisseau, la rose est achevée ce matin»; mais le Rossignol ne répondit rien car il gisait mort parmi les hautes herbes, le coeur percé d'une épine.
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La fille du Professeur était assise sous le proche. Elle dévidait de la soie bleue. Son peti chien était allongé à ses pieds.
«Vous avez dit que vous danseriez avec moi si je vous apportais une rose rouge, s'écria l'Étudiant. Voici la rose la plus rouge qui existe au monde. Ce soir vous la porterez tout près de votre coeur, et pendant que nous danserons elle vous dira combien je vous aime.»
Mais la jeune fille fronça les sourcils.
«Je crains qu'elle n'aille pas avec ma robe, répondit-elle; d'ailleurs, le neveu du Chambellan m'a envoyé de vrais bijoux, et tout le monde sait que les bijoux coûtent plus cher que les fleurs.
«Eh bien, par ma foi, vous êtes bien ingrate», dit l'étudiant en fureur. Et il jeta la rose dans la rue où elle tomba dans le caniveau. Une charrette lui roula dessus.
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