À la nouvelle édition de son livre L'archipel des morts, Payot & Rivages, 1998, Jean-Didier Urbain ajoute un avant-propos intitulé « Les cimetières de Nemo » où il compare la bibliothèque au cimetière. Il ne s'agit pas d'un « simple parallèle poétique » , mais d'une « profonde affinité ». Nous présentons quelques extraits de la révélation d'un secret, celui de la métaphore saisissante qui unit ces deux lieux de la mémoire et de la conservation collectives.
[...] les cimetières, comme les bibliothèques, sont des machines à archiver évolutives, dont la fonction mnémotechnique est aussi collective - tout comme les musées nationaux transcendent la valeur conservatoire des collections privées. Leur rôle est également d'intégrer les signes du passé et de sauvegarder la mémoire au-delà de la personne.
[...]
Quant à la métaphore de la bibliothèque, elle me tient fort à coeur. Elle m'est même de plus en plus chère. [...] Ce qui n'était au départ qu'une image introductive, juste destinée à exprimer une impression de voyage, est progressivement devenu un fil conducteur, et puis davantage, trouvant un jour, sur le terrain, la preuve légitimant son emploi.
C'était en septembre 1993, lors d'une visite au Cemitério daConchada à Coimbra, au Portugal. Là comme jamais auparavant, la métaphore livresque de 1989 se confondit avec la réalité. Dans ce cimetière se trouve un tombeau-livre, ce qui, en apparence, vu la fréquence du symbole en ces lieux n'a rien d'original. Mais dans ce cas précis, le livre n'est pas une image, une pure forme allégorique ajoutée à la tombe. Ce livre-monument contient un mort. Le mort est dans le livre, dont il est le contenu. Ce tombeau des années trente est celui que voulut, pour garder à lui son neveu défunt, un oncle bibliomane! Probante substitution du mort au texte et du livre au tombeau, cette initiative commémorative ne pouvait mieux dissiper le soupçon de forcing sémantique attaché à toute métaphore.
Ordre des cimetières, ordre des livres. À ce stade d'expression, il n'est plus question de simple parallèle poétique, mais de profonde affinité. À l'analyse, même si ces ordres ont des histoires autonomes, ils convergent néanmoins, témoignant de stratégies d'archives procédant d'une imagerie commune de la rétention. De mémorisation, d'indexation et d'accumulation, leurs tactiques paraissent toujours davantage s'interpréter et se ressembler. Outre l'unité d'une évolution, elles attestent ainsi, étroitement liées aux pratiques de conservation en Occident, d'un imaginaire collectif homogène où, d'un lieu à l'autre, le même pacte est conclu, c'est-à-dire sans cesse reconduit, le même contrat mémorial de cohabitation entre les vivants et les morts.
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Lamartine verra dans les musées les « cimetières des arts » et Proust écrira qu'« un livre est un grand cimetière ». Musée, livre, cimetières, pleins de livres, sont des musées des morts.
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Quant à la métaphore de la bibliothèque, elle me tient fort à coeur. Elle m'est même de plus en plus chère. [...] Ce qui n'était au départ qu'une image introductive, juste destinée à exprimer une impression de voyage, est progressivement devenu un fil conducteur, et puis davantage, trouvant un jour, sur le terrain, la preuve légitimant son emploi.
C'était en septembre 1993, lors d'une visite au Cemitério daConchada à Coimbra, au Portugal. Là comme jamais auparavant, la métaphore livresque de 1989 se confondit avec la réalité. Dans ce cimetière se trouve un tombeau-livre, ce qui, en apparence, vu la fréquence du symbole en ces lieux n'a rien d'original. Mais dans ce cas précis, le livre n'est pas une image, une pure forme allégorique ajoutée à la tombe. Ce livre-monument contient un mort. Le mort est dans le livre, dont il est le contenu. Ce tombeau des années trente est celui que voulut, pour garder à lui son neveu défunt, un oncle bibliomane! Probante substitution du mort au texte et du livre au tombeau, cette initiative commémorative ne pouvait mieux dissiper le soupçon de forcing sémantique attaché à toute métaphore.
Ordre des cimetières, ordre des livres. À ce stade d'expression, il n'est plus question de simple parallèle poétique, mais de profonde affinité. À l'analyse, même si ces ordres ont des histoires autonomes, ils convergent néanmoins, témoignant de stratégies d'archives procédant d'une imagerie commune de la rétention. De mémorisation, d'indexation et d'accumulation, leurs tactiques paraissent toujours davantage s'interpréter et se ressembler. Outre l'unité d'une évolution, elles attestent ainsi, étroitement liées aux pratiques de conservation en Occident, d'un imaginaire collectif homogène où, d'un lieu à l'autre, le même pacte est conclu, c'est-à-dire sans cesse reconduit, le même contrat mémorial de cohabitation entre les vivants et les morts.
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Lamartine verra dans les musées les « cimetières des arts » et Proust écrira qu'« un livre est un grand cimetière ». Musée, livre, cimetières, pleins de livres, sont des musées des morts.