Le Sicilien Leonardo Sciascia est né en 1921 à Racalmuto, bourgade de la province d'Agrigente. C'est là qu'il passe la plus grande partie de sa vie. Tour à tour fonctionnaire et instituteur, il publie son premier ouvrage en 1956: Les paroisses de Regalpetra où il raconte la vie de tous les jours dans la petite bourgade et dont l'extrait intitulé La mort de l'Inquisiteur est une enquête sur la vie du frère Diego, meurtrier et victime de l'Église de l'Inquisition. Voici les deux premières pages de ce récit.
Patience,
Pain, et temps.
Giuseppe Pitré réussit en 1906 à déchiffrer ces mots, gravés sur le mur d'une cellule du Palais Chiaramonte, siège du Saint-Office de 1605 à 1782, avec d'autres inscriptions de désespoir, de peur, de mise en garde, de prière, et parmi des images de saints, d'allégories, de choses rappelées ou rêvées.
Pense bien à la mort,
En ce monde, il n'y a point de remède.
Dis qu'ici on donne des tours de corde et...
Pense bien qu'ici on donne la corde...
Fais comme si tu venais d'arriver.
Innocens noli te culpare; si culpasti, noli te excusare;
Verum detege et in D. no confide.
Fuire l'âne.
Mors ubi est victoria tua?
Trois cellules couvertes d'inscriptions et de dessins, sur deux ou plusieurs couches superposées. Pitré passa six mois à les déchiffrer, à les interpréter, à leur donner une attribution; et son ouvrage Del Sant'Uffizio a Palermo e di un carcere di esso n'était pas encore définitivement prêt lorsqu'il mourut, dix ans plus tard (l'édition posthume, procurée par Giovanni Gentile, est d'ailleurs très incorrectement imprimée). Déjà âgé, il se livra à un travail émouvant, sur une matière émouvante; sur un drame obscur, anonyme et informe, dont, à force de patience et de travail, il réussit à faire affleurer quelques visages, quelques noms: l'érudit Francesco Baronio ou Barone, le poète Simone Rao. Il attribuait au premier certaines images de saints accompagnées de brèves et exactes annotations hagiographiques, et de prières en distiques latins; et, au second, certaines strophes de huit vers, en dialecte, chants de désarroi ou de désespoir, comme celui-ci:
Qui entre en cette horrible sépulture
vois régner la (grande) cruauté
c'est pourquoi il est écrit sur les murs secrets
perdez tout espoir à vous qui entrez;
ici on ne sait s'il fait jour ou nuit
on entend seulement qu'on pleure et qu'on souffre
parce qu'on ne sait jamais si l'heure arrive
de la liberté* tant désirée.
Pain, et temps.
Giuseppe Pitré réussit en 1906 à déchiffrer ces mots, gravés sur le mur d'une cellule du Palais Chiaramonte, siège du Saint-Office de 1605 à 1782, avec d'autres inscriptions de désespoir, de peur, de mise en garde, de prière, et parmi des images de saints, d'allégories, de choses rappelées ou rêvées.
Pense bien à la mort,
En ce monde, il n'y a point de remède.
Dis qu'ici on donne des tours de corde et...
Pense bien qu'ici on donne la corde...
Fais comme si tu venais d'arriver.
Innocens noli te culpare; si culpasti, noli te excusare;
Verum detege et in D. no confide.
Fuire l'âne.
Mors ubi est victoria tua?
Trois cellules couvertes d'inscriptions et de dessins, sur deux ou plusieurs couches superposées. Pitré passa six mois à les déchiffrer, à les interpréter, à leur donner une attribution; et son ouvrage Del Sant'Uffizio a Palermo e di un carcere di esso n'était pas encore définitivement prêt lorsqu'il mourut, dix ans plus tard (l'édition posthume, procurée par Giovanni Gentile, est d'ailleurs très incorrectement imprimée). Déjà âgé, il se livra à un travail émouvant, sur une matière émouvante; sur un drame obscur, anonyme et informe, dont, à force de patience et de travail, il réussit à faire affleurer quelques visages, quelques noms: l'érudit Francesco Baronio ou Barone, le poète Simone Rao. Il attribuait au premier certaines images de saints accompagnées de brèves et exactes annotations hagiographiques, et de prières en distiques latins; et, au second, certaines strophes de huit vers, en dialecte, chants de désarroi ou de désespoir, comme celui-ci:
Qui entre en cette horrible sépulture
vois régner la (grande) cruauté
c'est pourquoi il est écrit sur les murs secrets
perdez tout espoir à vous qui entrez;
ici on ne sait s'il fait jour ou nuit
on entend seulement qu'on pleure et qu'on souffre
parce qu'on ne sait jamais si l'heure arrive
de la liberté* tant désirée.