Né à Paris en 1854, Francis Poictevin, écrivain de l'«époque décadente» et disciple de Remy de Gourmont après des études de droit, consacra sa vie aux voyages et à la littérature. Son roman Ludine, dédié à Edmond de Goncourt, fut publié en Belgique chez Kistemaeckers en 1853. Ses autres oeuvres sont des proses où il décrit en profondeur des paysages et des êtres. Songes, dédié à Maupassant, fut publié en 1884, Seuls, en 1889 et Double, dédié au peintre Gustave Moreau, en 1890, Presque, en 1890, Heures, en 1892 et Ombres, en 1894. Il meurt à Menton en 1904 après dix années de silence littéraire. Ludine, personnage du même nom que celui du roman, est née pauvre et devenue courtisane de la villa Delamousse à Nice. Elle rencontrera par hasard dans une église son fils jadis abandonné et devenu prêtre. (Marie-Claire Bancquart, Écrivains fin-de-siècle, Paris, Gallimard, «folio classique», 2010, p. 284-285; voir aussi: Ludine, présentation de Jean de Palacio, Séguier, «Bibliothèque décadente», 1996)
Dans la chambre, sur la cheminée, gisait un morceau oblong de cristal octogone, verdi, aux intérieurs aspects de glace glissante, piquée de macules noirâtres. Cela curieusement lui représentait une forme de cercueil. Elle ne supportait qu'un jour on clouât son corps entre quatre planches. Si on se réveillait encaissé!... Quel étouffement sans nom! ... Les morts devraient rester auprès de leurs parents, de leurs amis, qui surveilleraient leur décomposition... Des signes de toutes sortes pourraient se manifester... Elle n'avait pas oublié que son grand-père avait été enterré avec des teintes rosées à gauche au visage... Et elle se supposait morte, mise sous châsse, tout pomponnée, dans quelque cristal... Les terreurs et les laideurs des décès habituels, elle les supprimait ainsi bizarrement. Elle ne serait coquette qu'avec la mort...
Et elle était persuadée avoir ressenti, des nuits, un frôlement... qui ne pouvait venir que du parrain... Même un soir, pas couchée encore, elle avait certainement vu dans la glace une grande ombre d'un noir... et si lente à passer... Sa joue, un bon moment, en était restée toute alombrée... Avec une gratitude secrète, elle garde l'arrière-goût de ses traînes
Source: Francis Poictevin, Ludine (1853) dans Écrivains fin-de-siècle, édition de Marie-Claire Bancquart, Gallimard, «folio classique», 2010, p. 287-288.
Et elle était persuadée avoir ressenti, des nuits, un frôlement... qui ne pouvait venir que du parrain... Même un soir, pas couchée encore, elle avait certainement vu dans la glace une grande ombre d'un noir... et si lente à passer... Sa joue, un bon moment, en était restée toute alombrée... Avec une gratitude secrète, elle garde l'arrière-goût de ses traînes
Source: Francis Poictevin, Ludine (1853) dans Écrivains fin-de-siècle, édition de Marie-Claire Bancquart, Gallimard, «folio classique», 2010, p. 287-288.