Ascèse, «synthèse entre le marxisme, le christianisme, le bouddhisme, le platonisme» (A. Izzet, «Introduction», op. cit., IX), livre, en prose poétique, des pages superbes sur la convivialité des vivants et des morts. Ce sont les ancêtres qui crient, souffrent et agissent en nous et mêlent leur esprit et leur sang aux nôtres. Ces pages sont indispensables à la saisie en profondeur de la spiritualité cosmique de Kazantzaki.
LA RACE
Le cri que tu as entendu ne vient pas de toi seul. Ce n'est pas toi seul qui parles. D'innombrables ancêtres parlent aussi par ta bouche. Ce n'est pas toi seul qui désires: d'innombrables générations de descendants désirent déjà dans ton coeur.
Tes morts ne reposent pas dans la terre. Ils se sont transformés en oiseaux, en arbres, en air. C'est à leur ombre que tu es assis, de leur chair que tu te nourris, de leur haleine que tu te gonfles. Ils sont devenus les idées et les passions qui déterminent ta volonté et tes actes.
[...]
Tu n'es pas libre. Des mains innombrables et invisibles tiennent tes mains et les agitent. Dans ta colère, c'est un ancêtre qui fulmine par ta bouche, dans tes amours, c'est un ancêtre des cavernes qui mugit, dans ton sommeil, ta tête se remplit des fantômes qui surgissent des tombes ouvertes.
Ta tête est une fosse de sang; les ombres des morts y accourent en troupeaux afin de s'y abreuver et revenir à la vie.
«Ne meurs pas, sinon nous mourrons!» crient les morts en toi. Nous n'avons pas eu le temps de jouir des femmes que nous avons désirées. Toi, trouve le temps de les aimer!
Nous n'avons pas eu le temps de transformer nos idées en actes. Trouve-le, toi!
Nous n'avons pas eu le temps de saisir le visage de notre espérance. Toi, saisis-le, fixe-le.
Achève notre oeuvre, achève-la! Jour et nuit nous traversons ton corps en criant. Nous ne sommes pas partis, nous ne sommes pas séparés de toi. nous ne sommes pas descendus dans la terre. Nous sommes enfouis au plus profond de tes entrailles et nous continuons la lutte!»
[...]
LA MARCHE
Nous courons, et nous savons que c'est à la rencontre de la mort que nous courons, sans pouvoir arrêter, nous courons.
[...]
Comme un îlot qui durcit sans arrêt, les générations humaines oeuvrent, aiment, espèrent et meurent. D'autres générations piétinent les cadavres de leurs pères, continuent leur oeuvre au bord de l'abîme, et cherchent à dompter le sauvage mystère, en labourant un champ, en embrassant une femme, en étudiant une pierre, une bête ou une idée.
[...]
De toutes ces générations, de toutes ces douleurs et de toutes ces joies, des amours, des guerres et des idées, monte une voie pure et tranquille; elle est pure et tranquille car elle contient toutes les fautes et toutes les inquiétudes de l'homme qui lutte; elle les dépasse et monte.
Le cri que tu as entendu ne vient pas de toi seul. Ce n'est pas toi seul qui parles. D'innombrables ancêtres parlent aussi par ta bouche. Ce n'est pas toi seul qui désires: d'innombrables générations de descendants désirent déjà dans ton coeur.
Tes morts ne reposent pas dans la terre. Ils se sont transformés en oiseaux, en arbres, en air. C'est à leur ombre que tu es assis, de leur chair que tu te nourris, de leur haleine que tu te gonfles. Ils sont devenus les idées et les passions qui déterminent ta volonté et tes actes.
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Tu n'es pas libre. Des mains innombrables et invisibles tiennent tes mains et les agitent. Dans ta colère, c'est un ancêtre qui fulmine par ta bouche, dans tes amours, c'est un ancêtre des cavernes qui mugit, dans ton sommeil, ta tête se remplit des fantômes qui surgissent des tombes ouvertes.
Ta tête est une fosse de sang; les ombres des morts y accourent en troupeaux afin de s'y abreuver et revenir à la vie.
«Ne meurs pas, sinon nous mourrons!» crient les morts en toi. Nous n'avons pas eu le temps de jouir des femmes que nous avons désirées. Toi, trouve le temps de les aimer!
Nous n'avons pas eu le temps de transformer nos idées en actes. Trouve-le, toi!
Nous n'avons pas eu le temps de saisir le visage de notre espérance. Toi, saisis-le, fixe-le.
Achève notre oeuvre, achève-la! Jour et nuit nous traversons ton corps en criant. Nous ne sommes pas partis, nous ne sommes pas séparés de toi. nous ne sommes pas descendus dans la terre. Nous sommes enfouis au plus profond de tes entrailles et nous continuons la lutte!»
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LA MARCHE
Nous courons, et nous savons que c'est à la rencontre de la mort que nous courons, sans pouvoir arrêter, nous courons.
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Comme un îlot qui durcit sans arrêt, les générations humaines oeuvrent, aiment, espèrent et meurent. D'autres générations piétinent les cadavres de leurs pères, continuent leur oeuvre au bord de l'abîme, et cherchent à dompter le sauvage mystère, en labourant un champ, en embrassant une femme, en étudiant une pierre, une bête ou une idée.
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De toutes ces générations, de toutes ces douleurs et de toutes ces joies, des amours, des guerres et des idées, monte une voie pure et tranquille; elle est pure et tranquille car elle contient toutes les fautes et toutes les inquiétudes de l'homme qui lutte; elle les dépasse et monte.