L'Encyclopédie sur la mort


Quelle sera donc cette vie du ciel?

Didier (Desideratus) Érasme

Selon la perception d'Érasme, le plaisir céleste, qui est promis aux bonnes âmes après leur mort, peut déjà être anticipé sur la terre dans la vie quotidienne. Ce «faible avant-goût» de la joie future se manifeste par une sorte d'«égarement» de leurs sens, de déraison que l'auteur appelle «folie», une sortie de soi (extase), une détente de leur corps et de leur esprit, un abandon à la grâce qui passe, un instant d'éternité. Éthique, religion et esthétique semblent ici se rejoindre afin de rendre la vie plus supportable.
Quelle sera donc cette vie du ciel, à laquelle aspirent si ardemment les âmes pieuses? L'esprit étant victorieux et plus fort absorbera le corps; et ce sera d'autant plus facile qu'il l'aura préparé à cette transformation en le purifiant et l'épuisant pendant la vie. À son tour, l'esprit sera absorbé par la suprême Intelligence, dont toutes les puissances sont infinies. Ainsi se trouvera hors de lui-même l'homme tout entier, et la seule raison de son bonheur sera de ne plus s'appartenir et d'être soumis à cet ineffable souverain bien qui attire tout à lui.

Une telle félicité, il est vrai, ne pourra être parfaite qu'au moment où les âmes douées d'immortalité* reprendront leurs anciens corps. Mais, puisque la vie des gens de piété n'est que méditation de l'éternité*, et comme l'ombre de celle-ci, il leur arrive d'y goûter quelque peu par avance et d'en respirer quelques parfums. Ce n'est qu'une gouttelette auprès de l'intarissable source du bonheur qui ne finit pas; elle est préférable pourtant à toutes les voluptés de la terre, lors même que leurs délices se confondraient en une seule, tellement le spirituel l'emporte sur la matière, et ce qu'on ne voit pas sur ce qu'on voit 1 C'est la promesse du Prophète: «L'oeil n'a pas vu, l'oreille n'a pas entendu, le coeur de l'homme n'a pas ressenti ce que Dieu ménage à ceux qui l'aiment.» Telle est cette folie qui jamais ne prend fin, mais qui s'achève en passant de cette vie dans l'autre. Ceux qui ont eu le privilège si rare de tels sentiments éprouvent une sorte de démence; ils tiennent des propos incohérents, étrangers à l'humanité; ils prononcent des mots vides de sens; et à chaque instant l'expression de leur visage change. Tantôt gais, tantôt tristes, ils rient, ils pleurent, ils soupirent; bref, ils sont vraiment hors d'eux-mêmes. Revenus à eux, ils ne peuvent dire où ils sont allés, s'ils étaient dans leur corps, ou hors de leur corps, éveillés ou endormis. Qu'ont-ils entendu, vu et dit? qu'ont-ils fait? Ils ne s'en souviennent qu'à travers un nuage, ou comme d'un songe; ils savent seulement qu'ils ont eu le bonheur pendant leur folie. Ils déplorent leur retour à la raison et ne rêvent plus que d'être fous à perpétuité. Encore n'ont-ils eu qu'un faible avant-goût du bonheur futur ! (L'éloge de la folie, LXVII)
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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