«Un de mes vieux amis, M. Frisell, Anglais, venait de perdre à Passy sa fille unique, âgée de dix-sept ans. J'étais allé le 19 juin [1832] à l'enterrement de la pauvre Élisa, dont la jolie madame Delessert terminait le portrait quand la mort y mit le dernier coup de pinceau. Revenue dans ma solitude, rue d'Enfer, je m'étais couché plein de ces mélancoliques pensées qui naissent de l'association de la jeunesse, de la beauté et de la tombe.» Après cette introduction, Chateaubriand raconte les multiples détails de son arrestation le lendemain 20 juin. Dans sa prison, il se sent visité par la muse («la solitaire du Pinde») et compose son poème «en retournant dans [sa] tête les vers de de [ses] stances improvisant quand et quand un air qui [lui] semblait charmant.»
Au surplus, je n'étais point du tout malheureux; le génie des mes grandeurs passées et de ma gloire âgée de trente ans ne m'apparut point; mais ma muse d'autrefois , bien pauvre, bien ignorée, vint rayonnante m'embrasser par ma fenêtre: elle était charmée de mon gîte et tout inspirée; elle me retrouvait comme elle m'avait vu dans ma misère à Londres, lorsque les premiers songes de René flottaient dans ma tête. Qu'allions-nous faire, la solitaire du Pinde et moi? Une chanson à l'instar de ce pauvre poète Lovelace qui, dans les geôles des Communes anglaises, chantant le roi Charles I, son maître? Non; la voix d'un prisonnier m'aurait semblé de mauvais augure pour mon petit roi Henri V: c'est du pied de l'autel qu'il faut adresser des hymnes au malheur. Je ne chantai donc point la couronne tombée d'un front innocent; je me contenterai de dire une autre couronne blanche aussi, déposée sur le cercueil d'Élisa Frisell, que j'avais vu enterrer la veille dans le cimetière de Passy.
[...]
Il descend le cercueil et les roses sans taches
Qu'un père y déposa, tribut de sa douleur;
Terre, tu les portas et maintenant tu caches
Jeune fille et jeune fleur.
Ah! ne les rends jamais à ce monde profane,
À ce monde de deuil, d'angoisse et de malheur;
Le vent brise et flétrit, le soleil brûle et fane
Jeune fille et jeune fleur.
Tu dors, pauvre Élisa, si légère d'années!
Tu ne sens plus du jour le poids et la chaleur.
Vous avez achevé vos fraîches matinées,
Jeune fille et jeune fleur.
Mais ton père, Élisa, sur ta tombe incline;
De ton front jusqu'au sien a monté la pâleur.
Vieux chêne!... le temps a fauché sur ta racine
Jeune fille et jeune fleur!
[...]
Il descend le cercueil et les roses sans taches
Qu'un père y déposa, tribut de sa douleur;
Terre, tu les portas et maintenant tu caches
Jeune fille et jeune fleur.
Ah! ne les rends jamais à ce monde profane,
À ce monde de deuil, d'angoisse et de malheur;
Le vent brise et flétrit, le soleil brûle et fane
Jeune fille et jeune fleur.
Tu dors, pauvre Élisa, si légère d'années!
Tu ne sens plus du jour le poids et la chaleur.
Vous avez achevé vos fraîches matinées,
Jeune fille et jeune fleur.
Mais ton père, Élisa, sur ta tombe incline;
De ton front jusqu'au sien a monté la pâleur.
Vieux chêne!... le temps a fauché sur ta racine
Jeune fille et jeune fleur!