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Leon Tolstoï (1828-1919), auteur d’Anna Karénine, roman qui, à première vue, ne semble construit qu’autour d’un amour adultère résultant en suicide. En effet, «ce n’est rien: une femme qui aime un officier et qui se tue», dira Tolstoï dans un moment d’humeur maussade. Ce récit est inspiré par un fait divers qui fit scandale. En janvier 1872, Anna Stepanovna, parente pauvre et maîtresse de Bibikov, voisin des Tolstoï, se jeta sous les roues d’un train de marchandises à la gare de Iassinki, proche de sa demeure. Elle était jalouse de son amant infidèle. Tolstoï assista à l’autopsie du corps déchiqueté dans un baraquement de la gare d’où il sort à la fois bouleversé et fasciné. Cependant, dans le roman, les paradoxes des situations et la vérité des personnages débordent le simple récit d’un amour fatal. L'auteur y développe ses pensées sur l’amour, la famille*, l’art, la religion*, l’agriculture, la gestion des affaires et de la politique. L’état de décadence et d’insouciance, mêlées de déception et d’ennui*, les nouvelles tendances progressistes, libérales, sociales et révolutionnaires qui naissent dans divers milieux, se répercutent dans le récit de l’amour tragique d’Anna Karénine et d’Alexis Vronski. Tolstoï fait de la subjectivité tumultueuse de ces deux personnages un reflet de l’évolution de la société russe en quête de son âme.
À l’époque où Tolstoï écrit Anna Karénine, ses relations avec Sonia, sa femme, commencent déjà à se détériorer. L'œuvre est traversée par la thématique de l’amour conjugal. Ce n’est ni un roman à thèse ni un roman moralisateur, mais un roman à caractère autobiographique. Au cours de la rédaction du roman, la mort entre, coup sur coup, dans la maison des Tolstoï. En 1873, le petit Pétia est emporté par le croup et, en 1875, le petit Nicolas, atteint d’hydrocéphalie, meurt après d’atroces souffrances. Dans l’intervalle, deux de ses tantes, résidentes de la maison, disparaissent également. La mort hante le romancier autant que le personnage d’Anna dès que celle-ci entre en scène. En effet, à son arrivée dans la gare de Moscou par le train de Saint-Pétersbourg, en présence de son frère Stiva et de son futur amant Vronski, Anna est témoin d’un horrible drame: un père de famille nombreuse vient d’être littéralement coupé en deux sous les roues du train. À son frère, «les lèvres tremblantes», elle dira: «c’est un mauvais présage». (Anna Karénine, Paris, Le livre de poche classique, 1972, tome 1, p. 84) La mort obsède aussi le personnage de Lévine, notamment auprès du chevet de Nicolas, son frère mourant. « Lévine se sentait incapable de comprendre le sens de la mort, et plus horrible lui apparaissait la fatalité. Cependant la présence de sa femme l’empêcha de tomber dans le désespoir; car malgré ses erreurs, il éprouvait le besoin de vivre et d’aimer. […] À peine eut-il vu s’accomplir ce mystère de la mort [que le] docteur confirma ses suppositions sur l’état de Kitty : la jeune femme était enceinte.» (II, p. 91)
Habité par l’inquiétude, Lévine, l’alter ego de Tolstoï, chef de famille heureux et bien portant, avait été si près du suicide qu’il détournait les yeux quand il voyait une corde, de peur de se pendre. […] Mais il ne se suicida pas et continua de vivre» (II, p. 442) » Quant à Anna, elle «sentait profondément que personne en ce monde n’a lieu de se réjouir» (II, 412). Pour elle, «tout est faux, tout est mensonge, tromperie. Tout est mal» (II, 413) Déçue de son amant, elle veut le punir et chercher sa délivrance dans la mort. Regardant l’ombre du wagon, elle se dit: «Là, en ce point milieu, ainsi je le punirai, et je me délivrerai de tous et de moi-même» (II, p. 415).
«Un dieu de l'art? Oui. Seul un dieu peur créer un nouvel univers aussi vrai que le véritable, écrit André Maurois. On a reproché à Tolstoï d'avoir donné tant de place au ménage de Lévine, alors que le sujet central est le drame d'Anna. Mais le sujet central était plus exactement, le contraste entre le bonheur familial et les entraînements de la passion. Au moins était-ce là ce qu'affirmait Tolstoï. Pour moi, le sujet est la vie d'un groupe humain et il n'y a pas de meilleur.
[...]
On se demande, en sortant étourdi de cet univers immense et vivant, comment diable des critiques ont pu tenir le roman pour une forme littéraire dépassée. Jamais rien de plus beau, de plus humain, de plus nécessaire ne fut écrit que Guerre et paix et Anna Karénine.» (André Maurois, «Préface» à Tolstoï, Anna Karénine, tome 1, p. X er XII)
Thomas Mann* cite la critique d'Ivan Tourgueniev* (1818 - 1883): «Anna Karénine ne me plaît pas, bien qu'il s'y trouve des pages admirables (la course, la moisson, la chasse), tout cela sent l'aigre, Moscou, l'encens, la vieille fille et la slavofilie.». Et Mann poursuit: «En un mot, Tourgueniev abhorrait le côté oriental du roman, imité en cela par tout le parti libéral, qui tut, railla ou conspua l'ouvrage, alors que les slavofiles et le parti de la Cour se frottaient les mains de satisfaction. De fait, Tolstoï avait pour lui la sympathie politique des "troglodytes", qui ne sentaient guère, évidemment, les qualités artistiques de cette oeuvre. Les libéraux étaient assez larges d'esprit pour rendre hommage à ces qualités , et ils le firent, bien que déconcertés, comme l'humanité l'est toujours en face des génies réactionnaires, comme toute l'Europe le fut devant l'apparition de Bismarck.»
Pour comprendre ce qu’était l’influence de Tolstoï au temps où Maurras (1868-1952) écrivait la première version (inconnue de nous) de son conte, voici ce qu’en écrivait Léon Daudet dans ses Souvenirs Littéraires publiés en 1925. Tolstoï y est abordé entre Wagner et Ibsen ; le commentaire, aujourd’hui impubliable mais que nous reprenons en intégralité, se termine par une évocation de la mort de Tolstoï, écrite bien avant que l’auteur ait pu prendre connaissance du texte de L’Anthropophage.
«Léon Tolstoï, personnage amer et tragique, que de fois j’ai songé à toi, à ce mélange de sublimité et de sottise qui fit ta profonde originalité, et à ta funeste influence ! Ô fils métaphysique de Rousseau, bien plus noble certes que ton père, comment alliais-tu la perspicacité la plus aiguë quant aux hommes, et le plus noir aveuglement quant aux idées ? Comment te retrouvais-tu toi-même, lorsque tu te cherchais âprement, ô solitaire ? C’est surtout ta fin qui me hante, ta fin errante et désespérée, où tu fus poursuivi, j’en suis sûr, par tous tes fantômes contradictoires, ta propre pitié muée en colère et ton humilité muée en orgueil.»
(Léon Daudet dans ses Souvenirs Littéraires publiés en 1925.
Maurras.net)
L'Anthropophage (Charles Maurras, 1931), conte sur Tolstoï:
http://www.scribd.com/doc/2422846/LAnthropophage-
Charles-Maurras-1931
Tolstoï, l’illuminé devenu anthropophage par PHILIPPE le 2 FÉVRIER 2008:
http://www.google.ca/search?hl=fr&q=Tolstoï%2C+l’illuminé+devenu+anthropophage+—
+Maurras.net&btnG=Recherche+Google&meta=&aq=f&oq=