Écrivain de l'époque dite «décadente», fin dix-neuvième siècle, Francis Poictevin (1854-1904) décrit, d'une part, l'inertie apparente des sépultures du cimetière et, d'autre part, la vie qui grouille autour d'elles. Il peint le contraste entre la mort des endormis et les débats des «réveillés » qui sont multiples, qui vont du jardinier aux pigeons en passant par un millionnaire qui visite son lot de terre où il sera inhumé. Le cimetière semble s'intégrer dans une nature environnante en constant éveil, au matin et durant le jour, au soir et pendant la nuit. Tout est en constante transformation, même la flèche de la chapelle jusqu'aux nuages dans le ciel. Une mer de lueurs, de couleurs et de parfums tout en nuance!
Le clocher de la chapelle aux baies treflées, aux crochets saillants, sous tel jour semble une carapace recouvrant quelque bête improbable, mythique. Au soir, il s'effile damasquiné.
Le cimetière*, les pins indéfiniment l'enclavent. Par-dessous cette inerte apparence des sépultures*, ne se peut-il qu'il y ait des vestiges inouïs de luttes de réveillés? des réveillés qui se débattent, se convulsent, étouffent. On n'entend plus que le vent sourd, que le roucoulement des pigeons du gardien. Ils encensent les femelles un peu godiches. Lui charrie la terre, indifférent. Et un vieux millionnaire anglais, constructeur, possesseur d'une grande villa asymétrique, où doit régner à tout prix la même température, où chaque coin de sa chambre est pourvu d'une cheminée, monte incassé, sous le bras un pliant, sur le bras un plaid, à l'autre main un parapluie, il vous picote de son oeil de souris au passage, il entre revisiter sa place d'avenir.
Par les pins qui branlent. c'est un peu au-dessus, quelque masse invisible qui d'un côté va fondre, s'arrête, reprend d'un autre, ronfle désorientée. Et, au ciel, les nues passent, ont disparu, se reforment, se disséminent, réaccourent.
Un matin, les troncs des pins prennent des stries noirâtres, se violacent, les verts-tendres ont disparu, les ombres se font plus denses, la flèche de pierre de la chapelle s'illumine d'un blanc aigu, non discord avec le livide du ciel et le métallique des verdures.
Un matin, à l'ouest, dans le ciel, une percée d'algue-marine. Miroir de la mer de la veille au couchant, et encadré dans les nues cotonneuses.
Un soir, dans les flasques du chemin, un charme qui fait peur presque, car le sol se desserre, là, en de folles lueurs de feu et d'eau combinées. Les arbres se recouvrent, le ciel à l'arrière les éclaire trop tôt d'un rêve. Ce jaune pourpré de canarine déjà se mattit dans la jonquille, qui vite s'efface.
[...]
Les parfums, des âmes qui furtivement vous visitent. Le benjoin pharmaceutique à la couleur de son parfum; splendeur automnale, or qui se charge, enivrement lent, intense.
Source: Francis Poictevin, Songes (1884) dans Écrivains fin-de-siècle, édition de Marie-Claire Bancquart, Paris, Gallimard, 2010, p. 288-290 (extraits).
Le cimetière*, les pins indéfiniment l'enclavent. Par-dessous cette inerte apparence des sépultures*, ne se peut-il qu'il y ait des vestiges inouïs de luttes de réveillés? des réveillés qui se débattent, se convulsent, étouffent. On n'entend plus que le vent sourd, que le roucoulement des pigeons du gardien. Ils encensent les femelles un peu godiches. Lui charrie la terre, indifférent. Et un vieux millionnaire anglais, constructeur, possesseur d'une grande villa asymétrique, où doit régner à tout prix la même température, où chaque coin de sa chambre est pourvu d'une cheminée, monte incassé, sous le bras un pliant, sur le bras un plaid, à l'autre main un parapluie, il vous picote de son oeil de souris au passage, il entre revisiter sa place d'avenir.
Par les pins qui branlent. c'est un peu au-dessus, quelque masse invisible qui d'un côté va fondre, s'arrête, reprend d'un autre, ronfle désorientée. Et, au ciel, les nues passent, ont disparu, se reforment, se disséminent, réaccourent.
Un matin, les troncs des pins prennent des stries noirâtres, se violacent, les verts-tendres ont disparu, les ombres se font plus denses, la flèche de pierre de la chapelle s'illumine d'un blanc aigu, non discord avec le livide du ciel et le métallique des verdures.
Un matin, à l'ouest, dans le ciel, une percée d'algue-marine. Miroir de la mer de la veille au couchant, et encadré dans les nues cotonneuses.
Un soir, dans les flasques du chemin, un charme qui fait peur presque, car le sol se desserre, là, en de folles lueurs de feu et d'eau combinées. Les arbres se recouvrent, le ciel à l'arrière les éclaire trop tôt d'un rêve. Ce jaune pourpré de canarine déjà se mattit dans la jonquille, qui vite s'efface.
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Les parfums, des âmes qui furtivement vous visitent. Le benjoin pharmaceutique à la couleur de son parfum; splendeur automnale, or qui se charge, enivrement lent, intense.
Source: Francis Poictevin, Songes (1884) dans Écrivains fin-de-siècle, édition de Marie-Claire Bancquart, Paris, Gallimard, 2010, p. 288-290 (extraits).