Frederick Douglas (1818-1895) est le premier esclave noir devenu homme politique, philosophe et écrivain. Mémoires d'un esclave est le récit de sa vie d'esclave et de ses combats pour la liberté*. Troublante la page consacrée à sa mère défunte dont il n'a pas pu faire le deuil* comme on s'y attend d'un fils, car «il n'y eut guère de communication» entre ces deux êtres séparés par la cruauté des hommes.
Ma mère s'appelait Harriet Bailey. Elle était la fille d'Isaac et de Betsay Bailey, tous deux gens de couleur et plutôt très noirs. Ma mère avait un teint encore plus foncé que ma grand-mère ou que mon grand-père.
[...]
Ma mère et moi avons été séparés alors que je n'étais encore qu'un bébé, bien avant même que je sois conscient que c'était ma mère. Dans cette partie du Maryland d'où je me suis enfui, c'est en effet une pratique courante d'éloigner très tôt les mères de leurs enfants.Très souvent, avant même que l'enfant n'ait atteint l'âge de 12 mois, on l'enlève à sa mère, que l'on envoie travailler très loin sur une autre ferme, et l'enfant est alors confié aux soins d'une vieille femme trop âgée pour travailler aux champs. Pourquoi cette séparation? Je l'ignore, à moins que ce soit un moyen d'empêcher que grandisse l'affection de l'enfant pour sa mère et d'estomper et même d'anéantir l'affection de la mère pour son enfant. Telle en est en tout cas l'inévitable conséquence.
Je n'ai, la connaissant comme telle, rencontré ma mère guère plus de quatre ou cinq fois, et chacune de ces brèves rencontres a eu lieu la nuit. Ma mère travaillait pour un certain M. Stewart, qui vivait à douze miles de chez moi. Et le soir, après sa dure journée de travail, elle parcourait toute cette distance à pied pour venir me voir. Elle travaillait aux champs et la punition infligée pour ne pas s'y trouver dès le lever du jour était le fouet, à moins bien sûr que l'esclave n'ait obtenu une permission spéciale de son maître - cette permission n'est que rarement accordée et confère à qui l'accorde le titre de «bon maître». Je ne me souviens pas avoir jamais vu ma mère à la lumière du jour: je ne la rencontrais que la nuit. Elle s'étendait alors près de moi et m'endormait mais, lorsque je m'éveillais, elle était déjà partie depuis longtemps. Il n'y eut guère de communication entre elle et moi. Bientôt la mort mit fin au peu qu'il pouvait y avoir entre nous et, par la même occasion, à ses épreuves et à ses souffrances. Elle est morte sur l'une des fermes de mon maître, près de Lee's Mill, alors que j'avais environ 7 ans. On ne me permit pas d'être auprès d'elle durant sa maladie, ni lors de sa mort, ni à son enterrement. Elle était même décédée depuis déjà longtemps lorsque je l'appris. N'ayant jamais vraiment pu goûter à sa présence rassurante ou à ses tendres attentions, il me semble avoir reçu la nouvelle de sa mort avec la même émotion que j'aurais ressentie à celle de la mort d'un étranger. (p. 2-3)
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Ma mère et moi avons été séparés alors que je n'étais encore qu'un bébé, bien avant même que je sois conscient que c'était ma mère. Dans cette partie du Maryland d'où je me suis enfui, c'est en effet une pratique courante d'éloigner très tôt les mères de leurs enfants.Très souvent, avant même que l'enfant n'ait atteint l'âge de 12 mois, on l'enlève à sa mère, que l'on envoie travailler très loin sur une autre ferme, et l'enfant est alors confié aux soins d'une vieille femme trop âgée pour travailler aux champs. Pourquoi cette séparation? Je l'ignore, à moins que ce soit un moyen d'empêcher que grandisse l'affection de l'enfant pour sa mère et d'estomper et même d'anéantir l'affection de la mère pour son enfant. Telle en est en tout cas l'inévitable conséquence.
Je n'ai, la connaissant comme telle, rencontré ma mère guère plus de quatre ou cinq fois, et chacune de ces brèves rencontres a eu lieu la nuit. Ma mère travaillait pour un certain M. Stewart, qui vivait à douze miles de chez moi. Et le soir, après sa dure journée de travail, elle parcourait toute cette distance à pied pour venir me voir. Elle travaillait aux champs et la punition infligée pour ne pas s'y trouver dès le lever du jour était le fouet, à moins bien sûr que l'esclave n'ait obtenu une permission spéciale de son maître - cette permission n'est que rarement accordée et confère à qui l'accorde le titre de «bon maître». Je ne me souviens pas avoir jamais vu ma mère à la lumière du jour: je ne la rencontrais que la nuit. Elle s'étendait alors près de moi et m'endormait mais, lorsque je m'éveillais, elle était déjà partie depuis longtemps. Il n'y eut guère de communication entre elle et moi. Bientôt la mort mit fin au peu qu'il pouvait y avoir entre nous et, par la même occasion, à ses épreuves et à ses souffrances. Elle est morte sur l'une des fermes de mon maître, près de Lee's Mill, alors que j'avais environ 7 ans. On ne me permit pas d'être auprès d'elle durant sa maladie, ni lors de sa mort, ni à son enterrement. Elle était même décédée depuis déjà longtemps lorsque je l'appris. N'ayant jamais vraiment pu goûter à sa présence rassurante ou à ses tendres attentions, il me semble avoir reçu la nouvelle de sa mort avec la même émotion que j'aurais ressentie à celle de la mort d'un étranger. (p. 2-3)