À la naissance de Marguerite, décrite par elle-même dans Souvenirs pieux, Gallimard, «Folio»,1974, p. 33, l'auteure montre le lien étroit entre naissance et mort dans chaque vivant. Elle révèle aussi comment chaque être à la naissance est intégré dans une société happée par les futilités, les insignifiances et les perversités du temps éphémère qui écrasent le vivant dès son berceau.
La nouvelle-née criait à pleins poumons, essayant ses forces, manifestant déjà cette vitalité presque terrible, manifestant déjà cette vitalité presque terrible qui emplit chaque être, même le moucheron que la plupart des gens tuent d'un revers de main sans même y penser. Sans doute, comme le veulent aujourd'hui les psychologues, crie-t-elle l'horreur d'avoir été expulsée du lieu maternel, la terreur de l'étroit tunnel qu'il lui a fallu franchir, la crainte d'un monde où tout est insolite, même le fait de respirer et de percevoir confusément quelque chose qui est la lumière d'un matin d'été. Peut-être a-t-elle déjà expérimenté des sorties et des entrées analogues, situées dans une autre part du temps; de confuses bribes de souvenirs, abolis chez l'adulte, ni plus ni moins que ceux de la gestation et de la naissance, flottent peut-être sous ce petit crâne encore mal saturé. Nous ne savons rien de tout cela: les portes de la vie et de la mort sont opaques, et elles sont vite et bien refermées.
Cette fillette vieille d'une heure est en tout cas déjà prise, comme dans un filet, dans les réalités de la souffrance animale et de la peine humaine; elle l'est aussi dans les futilités d'un temps, dans les petites et grandes nouvelles du journal que personne ce matin n'a eu le temps de lire, et qui gît sur le banc du vestibule, dans ce qui est de mode et dans ce qui est de routine.