Kant se trouve dans la ligne de pensée des philosophes anciens et modernes comme Épicure*, Hans-Georg Gadamer, Jean-Paul Sartre, et surtout Ludwig Wittgenstein*, lorsqu'il nous montre que notre propre mort est impensable. Pierre Bertrand tient un discours semblable dans son texte publié dans la présente Encyclopédie sous le titre «L'altérité radicale de la mort». En d'autres mots, personne ne peut faire une expérience authentique de sa propre mort, car l'expérience est un acte de la vie. Par contre, nous pouvons observer la mort des autres, en avoir connaissance ou en être témoin, en entendre parler. La mort de l'autre est un objet extérieur à nous. La perception de cet objet ne nous fait ni éprouver la mort d'autrui, ni connaître notre propre mort.
La mort, nul n'en peut faire l'expérience par elle-même (car faire une expérience relève de la vie), mais on ne peut que la percevoir chez les autres. Est-elle douloureuse? Le râle ou les convulsions des mourants ne permettent pas d'en juger; ils paraissent plutôt une simple réaction mécanique de la force vitale et peut-être la douce impression de ce passage graduel qui libère tout la mal. La peur de la mort est naturelle à tous les hommes, et fût-ce au plus sage, n'est pas un frémissement d'horreur devant le fait de périr, mais comme le dit justement Montaigne*, devant la pensée d'avoir péri (d'être mort); cette pensée, le candidat au suicide s'imagine l'avoir encore après la mort, puisque le cadavre qui n'est plus lui, il le pense comme soi-même plongé dans l'obscurité de la tombe ou n'importe où ailleurs. L'illusion ici n'est pas à supprimer, car elle réside dans la nature de la pensée, en tant que parole qu'on adresse à soi-même et sur soi-même. La pensée que «je ne sois pas» ne peut absolument pas exister; car si je ne suis pas, je ne peux pas non plus être conscient que je ne suis pas.
Source: Antrhopologie du point de vue pratique (1789), traduit par Michel Foucault, Paris, Vrin, 1994, p. 167.
Source: Antrhopologie du point de vue pratique (1789), traduit par Michel Foucault, Paris, Vrin, 1994, p. 167.