Maladie

Jacques Dufresne
La maladie: écart mesurable par rapport à une moyenne, la température du corps, par exemple, ou état subjectif vécu comme un changement qualitatif? On pourrait dire de ces deux aspects qu'ils sont le corps et l'âme de la maladie. Si dans des cas exceptionnels la maladie peut sembler exclusivement subjective et dans d'autres exclusivement objective, en général elle oscille entre ces deux pôles et la sagesse consiste à accorder à chacun sa juste importance. Suite à la découverte de l'ADN et quelques décennies plus tard à la cartographie du génome, le balancier s'est rapproché du pôle organique objectif, à un point tel que l'on a pu croire que la maladie s'expliquait par une causalité linéaire entre un ou plusieurs gènes et telle ou telle lésion accompagnée de tel ou tel symptôme. Or, une fois la cartographie du génome achevée, il a fallu conclure que c'est la complexité qui régnait là où l'on avait cru voir une causalité linéaire, et que c'est dans une dialectique gène-environnement qu'il faut chercher l'explication de la maladie. Par environnement, il faut entendre ici l'environnement social et l'environnement symbolique autant que l'environnement physique.

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Essentiel

Lorsque nous sommes malades, nous avons souvent le sentiment diffus d'expier une inconduite ou d'être l'objet d'un mauvais sort, d'une vengeance: de la société, de la nature ou de Dieu. Chez certaines personnes, ce sentiment de culpabilité ou de persécution prend une forme aiguë, nouvelle souffrance qui s'ajoute à celle dont elles sont déjà est déjà atteint.

Dans les sociétés archaïques, une telle affliction allait de soi. À Babylone par exemple, où la médecine et la religion ne faisaient qu'un, le mal physique était en effet indissociable du mal moral, la maladie apparaissait comme un châtiment pour les péchés commis ou comme une vengeance inexplicable des dieux.

Sur ce plan, l'être humain n'a peut-être pas changé autant qu'il semble au cours de son histoire.

C'est dans la Grèce classique que, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, la maladie a été dissociée du mal moral, la souffrance de la vengeance des dieux. On lui attribue enfin des causes naturelles.

En Grèce même, les malheureuses victimes de la maladie sacrée, l'épilepsie, étaient souvent réduites aux supplications du Juste souffrant. Or, voici la position d'Hippocrate sur l'épilepsie: «Certaines personnes croient qu'il s'agit d'une intervention divine. C'est faux. Il s'agit d'une maladie naturelle dont on ne comprend pas encore la cause.»

Le Juste souffrant

De ce Babylonien, dont les malheurs rappellent ceux de Job, l'histoire n'a même pas retenu le nom. C'est pourquoi on l'appelle le Juste souffrant. Il avait mené une vie exemplaire... Il a néanmoins été frappé par la maladie: il ne nous reste de lui que ces quelques phrases «Je suis malade, j'ai été mis au rang de celui qui, dans sa folie, oublia son Seigneur, de celui qui profane le nom de son Dieu. Et pourtant, je n'ai pensé qu'à prier et supplier. La prière a été ma règle, le sacrifice ma loi.»

Les sentiments qui accompagnent en nous la maladie ne font-ils pas de nous des frères du Juste souffrant?


* * *


136. Les âmes des morts de la guerre sont plus pures que celles des morts de maladie.

Fragment d'Héraclite

Enjeux

Pour la très grande majorité des gens, l'explication simpliste de la maladie par le gène a conservé tout son attrait, en psychiatrie notamment. Le balancier semble être resté accroché au pôle biologique. Les promesses rattachées à la médecine prédictive et aux thérapies géniques sont telles que la demande de tests risque fort d'exploser, avec comme résultat un nombre croissant de personnes qui connaîtront les risques auxquels elles sont exposées.

Nous connaissons tous parmi nos voisins et nos proches, des personnes, des hommes surtout, qui ont passé leur vie dans l'angoisse à la pensée qu'ils allaient mourir d'une crise cardiaque vers l'âge de cinquante ans, comme leur père. La confirmation par la médecine des risques qu'ils couraient et dont ils étaient déjà vaguement conscients a-t-elle au moins accru leur espérance de vie?

Il était déjà bien difficile de résister à la médicalisation et à la perte d'autonomie qu'elle entraîne et de nombreux auteurs ont soutenu que nous sommes désormais malades de notre santé, de l'obsession à laquelle elle nous réduit.

Comment éviter que cette situation ne s'aggrave et qu'au lieu du paradis sur terre qu'on nous promet, on nous précipite dans l'enfer de Damoclès: cinq, dix, vingt épées génétiques suspendues en permancence au-dessus de notre tête?

L'antique sagesse du corps va-t-elle être éliminée par le savant calcul des risques génétiques? Allons-nous encore pouvoir nous en remettre à notre inconscient et à notre culture première pour vivre avec insouciance en attendant de mourir dans l'abandon? Allons-nous plutôt, crispés à l'avance devant une mort que nous refusons, chercher la joie et le sens de notre vie «dans un calcul silencieux et froid»?

Le beau côté de la chose, objectera-t-on, c'est que la survivance du plus apte n'aura plus cours. Elle avait cours quand il fallait s'adapter à une nature et à une culture données avec les gènes transmis par les parents. Ces gènes, on pourra désormais les modifier ou les éliminer. On pourra aussi, au moyen d'une alimentation personnalisée, empêcher que les indésirables ne s'expriment.

Cette allusion à la nourriture permet de poser le problème en termes plus clairs. Les cuisines traditionnelles faisaient jadis partie des cultures auxquelles chacun devait s'adapter, mais en retour elles soutenaient efficacement et agréablement la collectivité entière dans ses efforts pour s'adapter à l'environnement physique. Intériorisés, les rites alimentaires, comme les rites religieux, faisaient partie de l'autonomie de l'individu, le dispensant de faire parmi les aliments des choix difficiles en fonction de son profil génétique. On mangeait ce que la saison offrait et les rites prescrivaient et l'on sortait de table l'esprit libre pour créer.

La personnalisation des traitements et de l'alimentation désormais possible ne pourra qu'accélérer la désagrégation des cultures. Or, il est loin d'être sûr que l'alimentation et la médecine rationnelles qui s'ensuivront seront bénéfiques.

Dans une étude sur l'obésité et le diabète chez les autochtones du Québec, on apprend que le fast food, qui fut adopté comme symbole de progrès social il y a cinquante ans, est devenu un symbole identitaire dans de nombreuses communautés Innus. «Jamais je n'aurais cru que ma fille mangerait comme une blanche.» Ce sont là des paroles prononcées par une mère autochtone constatant que sa fille mangeait une salade essentiellement constituée de légumes.

Ne conviendrait-il pas de prendre le temps de réfléchir un peu avant de permettre que la désagrégation des cultures ne s'accélère? Aux États-Unis la culture alimentaire traditionnelle a depuis longtemps commencé à régresser face à la culture savante des universités et des administrations publiques et au fast food. Si on en juge par le taux d'obésité, le résultat est catastrophique.

1- Bernard Roy, Acte alimentaire et rapport au corps révélateurs des dimensions sociopolitiques du diabète chez les Autochtones, dans Soins aux enfants et pluralisme culturel, sous la direction de Sylvaine de Plaen, Hôpital Sainte-Justine de Montréal, 2004.

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