Malade

Dossier en révision

Le malade est celui qui réagit à une lésion, réelle ou imaginaire, selon sa personnalité propre, sa culture, son sexe, sa situation géographique et la classe sociale à laquelle il appartient. Il est plus ou bien accueilli en tant que malade selon le type de communauté à laquelle il appartient et le type de maladie dont il est atteint. Le rejet est fréquent, surtout dans le cas du malade mental. La guérison par suite ne se réduit pas à une disparition de la lésion mais suppose une réinsertion dans la communauté des hommes ... et des dieux comme la cérémonie de guérison chez les Navahos le montre admirablement.

Les sociologues appellent parfois conduite de malade ce comportement où la subjectivité est si importante. L'étude de I.K. Zola 1 , qui compare la conduite de malade de 63 Italiens et de 81 Irlandais des deux sexes fréquentant deux centres hospitaliers de la région de Boston aux États-Unis, est un classique sur cette question. « Les Irlandais sont portés à nier leur souffrance, à localiser leurs symptômes au niveau de certains organes, comme l'oeil, le nez, la gorge alors que les Italiens expriment leur maladie en dramatisant leurs symptômes. Cette dramatisation est un véritable mécanisme de défense: il faut bien faire du théâtre, question de combler les mille et une choses qui manquent et mettre du make up sur la tragédie de la vie! Cette théâtralisation italienne comme cette négation chez l'Irlandais rejoint le mode favori de résolution des problèmes à l'intérieur de ces deux cultures. Pour l'Irlandais sa répugnance apparente à avouer ses symptômes, sa manie de circonscrire son importance juste à une petite place précise ne seraient pas étrangères à l'idéologie du péché et de la culpabilité qui imprègne la société irlandaise catholique Ainsi, Zola écrit:

«Dans une culture où la contrainte est la manière d'être habituelle, la tentation est sans cesse présente et l'on doit s'en préserver. Comme la chair est faible, on s'attend en retour à ce que le péché soit très probable. Aussi, quand il se produit un événement inattendu ou désagréable, recherche-t-on ce que l'on a fait, ou dû faire de mal. Peut-être les trois localisations préférées pour les symptômes (les yeux, les oreilles, la gorge) doivent-elles être entendues comme l'expression symbolique de la source la plus immédiate de leur péché et de leur culpabilité - ce qu'ils ne devraient pas avoir vu, ce qu'ils ne devraient pas avoir entendu et ce qu'ils ne devraient pas avoir dit.2»


1- Henri Dorvil, Types de sociétés et de représentations du normal et du pathologique, Traité d'anthropologie médicale, Presses de l'Université du Québec, Presses universitaires de Lyon, Québec, Lyon 1985, p.305.



2-I..K. ZOLA, «Culture et symptômes: analyse des plaintes du malade», cité dans: C. HERZLICH, Médecine, maladie et société, La Haye, Mouton, 1970, pp. 27-41.




Enjeux

Le malade sera-t-il réduit à son squelette: la dimension génétique de sa maladie?

La façon dont chacun vit la maladie est fortement déterminée par le type dominant de médecine dans une société donnée. Pour ce qui est de la médecine occidentale officielle, la forme qu'elle prendra au cours des premières décennies du XXIe siècle a été indiquée en 2001 dans un numéro du JAMA1 (Journal of the American Medical Association) entièrement consacré à la médecine prédictive, qualifiée de néo-vésalienne parce qu'elle marquerait la plus grande rupture depuis les travaux fondateurs de Vésale en anatomie.

Voici les craintes que cette révolution inspire à l'anthropologue Gilles Bibeau:
«Le généticien Victor McKusick 2 y décrit, à l'intention des médecins généralistes, comment fonctionnera la médecine clinique prédictive : des «geno-screens» seront intégrés aux routines de la clinique ; les diagnostics seront établis à partir des signatures génétiques personnalisées (les SNP ou Single-Nucleotide Polymorphism, les haplotypes, les génotypes); les réactions spécifiques aux médicaments seront enregistrées pour chaque personne ; des «médicaments-protéines» permettront d'attaquer la maladie au coeur même des cellules. Cette médecine post génomique sera, pour la première fois, une médecine personnalisée centrée sur la capacité à diagnostiquer longtemps à l'avance la maladie tapie au coeur même des gènes, à en prévoir l'apparition à partir de tables probabilistes et à la traiter soit par la thérapie génique, soit par la pharmacogénomique.

Les malades dont parlent les généticiens McKusick, Venter et Collins semblent être des êtres biologiques strictement réduits à l'expression d'un programme génétique, la médecine néo-vésalienne convoquée au chevet des malades tendant en effet à occulter le rôle des facteurs non biologiques dans la genèse des maladies et dans le maintien de la santé. Il ne fait aucun doute que l'idée d'une causalité linéaire entre gènes et maladies est beaucoup plus facile à retenir que celle d'un réseau complexe de facteurs sociaux, économiques et environnementaux interagissant avec les génotypes individuels pour produire la maladie. Le risque est grand que cette médecine néo-vésalienne ne conduise à son achèvement l'idéologie de l'homme-machine et du médecin-mécanicien, une idéologie maquillée aujourd'hui dans une rhétorique techniciste dont les mots-clefs sont ceux de programme, de code et de système informatique.»3

1- Ce numéro spécial de la revue n'est rien d'autre qu'un manifeste en faveur de la médecine prédictive. Craig Venter, le populaire décrypteur du génome humain, Francis Collins, le responsable du Projet HUGO et Victor McKusick, le promoteur du Online Mendelian Inheritance in Man (omim), comptent parmi les généticiens les plus célèbres que la revue JAMA a invités pour faire la promotion de la médecine «néo-vésalienne» auprès des médecins généralistes américains.

2- Victor A. McKusick est surtout célèbre pour avoir mis sur pied le projet osuvt qui est accessible sur le site www.ncbi.nlm.nih.gov/omim>. Toute l'information relative aux maladies génétiques peut être retrouvée sur ce site, auquel elle s'ajoute au fur et à mesure que de nouveaux gènes sont cartographiés et séquencés. Cf. V. McKusick, «The Anatomy of the Human Genome. A Neo­Vesalian Basis for Medicine in the 21st Century »(luau, vol. 18, n" 286, nov. 2001, p. 2289-2295) et «Mapping and Sequencing the Human Genome » (New England Journal of Medicine, n" 320, 1989, p. 910-915).

3- Gilles Bibeau, Entre génomythe et géno-destin. Les défis de la nouvelle médecine prédictive. Revue Argument, Volume 6, numéro 2, 2004, p.35.

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