Malades de la médecine
- Il est probable que l'iatrogénie est aussi ancienne que la thérapeutique elle-même. L'aphorisme primum non nocere montre qu'elle était un grand souci des anciens médecins. Au cours des âges, de nombreux auteurs en ont parlé. Au dire de certains historiens, l'iatrogénie aurait causé la mort de plus d'un personnage célèbre. Parmi les études sur ce sujet, il faut citer particulièrement l'excellente monographie de Schipkowensky. Mais sous le nom de iatrogénie, on distingue plusieurs choses assez différentes.
Il y a d'abord le groupe des «maladies thérapeutiques». Le nombre des médicaments efficaces a augmenté énormément, mais par ce fait même, le nombre des accidents dus à des effets secondaires s'est multiplié. Ces effets sont souvent imprévisibles, comme l'a montré l'exemple des désastres causés chez le nouveau-né par l'absorption de la thalidomide par la mère au début de la grossesse.
Une autre forme d'iatrogénie est celle des maladies qui sont pour ainsi dire imposées à un individu par suite d'une erreur de diagnostic ou par un «surdiagnostic », c'est-à-dire que chez un individu bien portant on diagnostique et on traite une maladie qu'il n'a pas.
Une autre sorte d'iatrogénie est celle que provoquent involontairement certains médecins, souvent très compétents, qui effraient le malade et sa famille avec leur mine soucieuse, leurs questions aux intentions obscures, leur diagnostic formulé en termes techniques difficiles à comprendre.
Un des domaines de prédilection de l'iatrogénie semble être la psychiatrie. Henri Baruk en France, Karl Menninger aux États-Unis ont dénoncé vigoureusement les «diagnostics destructeurs», notamment les redoutables suites du diagnostic de schizophrénie, même justifié.
Il existe encore une grande variété d'influences pathogènes, conscientes ou inconscientes. De nombreuses recherches en psychopathologie de la famille ont montré comment un enfant peut être amené à se réfugier dans la maladie pour échapper à des contraintes subies de la part de sa famille. D'autres influences proviennent des enseignants, ce qui constitue la «didactogénie», bien étudiée par Schipkowensky.
Parmi les processus de contre-guérison, il faut mentionner encore certaines influences culturelles. En médecine comme dans bien d'autres domaines, il y a des modes. Celles-ci atteignent non seulement le corps médical mais aussi la société dans son ensemble. Au XVIIe siècle, on croyait aux vertus de la saignée, de l'antimoine, de la thériaque et d'autres médications qui aggravaient la maladie ou tuaient les malades. Il y a une cinquantaine d'années, la syphilis était rendue responsable de tous les cas obscurs, ainsi que la syphilis héréditaire, qui était devenue une sorte de cauchemar collectif. »