Émigration sur Mars

Hélène Laberge


En feuilletant distraitement le dossier de L'Express Conquête de l'Espace, c'est reparti1, j'ai sur le moment cru à un canular très bien monté! Jusqu'à ce que les noms des savants interviewés m'aient ramenée de l'espace imaginaire à la réalité. Et à une effrayante réalité enracinée dans des rêves délirants. «Par rapport à nos grands parents, nous en savons mille fois plus sur l'astre sélène (comprenez la Lune), Mars ou les astéroïdes. Ceux-là s'imposent comme les nouvelles frontières que demain nous franchirons2». «Cette planète représente un tel challenge pour l'humanité (en passant, défi serait tout aussi approprié) que sa conquête ne peut plus se concevoir en termes de compétition entre grandes puissances, mais de collaboration», dixit Jean-Jacques Dordain, D.G. de l'ESA, l'agence spatiale européenne. Ajoutant toutefois que «la coopération est plus compliquée que la compétition!» Inutile de le préciser!

Un tel challenge? Pourquoi? Pour qui? Quelles sont les vraies raisons du sprint des savants pour coloniser Mars? La comprendre pour anticiper l'évolution de la Terre?3 Ou s'y réfugier pour survivre aux désastres de la Terre? «Plus que jamais, Mars constitue la nouvelle frontière de la conquête spatiale, explique François Ricard (…) du Centre national d'études spatiales (Cnes). D'abord pour les machines – sondes et robots – , ensuite pour l'homme4. » En 2013, la sonde Marven envoyée par la NASA scrutera in situ l'évolution de l'atmosphère martienne (le sol de Mars est étudié depuis une décennie par de petits robots Spirit et Opportunity!) Admirons en passant le choix des noms!, «Nous sortirons dans l'espace comme l'homme est sorti de la mer», avait déjà prédit Teilhard de Chardin5.

«Moi qui passe et qui meurs je vous contemple, étoiles
La Terre n'étreint plus l'enfant qu'elle a porté
Debout tout près des dieux dans la nuit aux cent voiles
Je m'associe, infime, à cette immensité
Je goûte en vous voyant ma part d'éternité.» Ptolémée

De cette vision métaphysique de l'espace, celle de nos ancêtres depuis des temps immémoriaux, nous sommes passés à sa rentabilisation à des coûts inimaginables, dans une abyssale indifférence au malheur, à la misère, à la guerre dont souffrent des millions d'êtres humains...

Ce dossier de l'Express est truffé d'une quantité d'informations et singulièrement dénué de tout esprit critique, ne serait-ce que pour souligner les terrifiantes atteintes à l'environnement terrestre par l'accroissement des fusées. Plusieurs des projets sont encore à l'état d'un scénario écrit dans ses grandes lignes par de savants Cyranos ou d'astucieux marchands de l'espace! On en est à planifier des vaisseaux permettant de s'y rendre et surtout d'en revenir. Car le but ultime est d'envoyer des humains habiter sur cette planète, les quelques centaines qui en auront les moyens physiques et matériels! Le scénario prévoit évidemment «d'envoyer préalablement et de façon automatique les infrastructures vitales sur la planète rouge – habitat, nourriture, structures gonflables, laboratoires, rovers (véhicules tout terrain), centrale d'énergie, et surtout le véhicule de retour.» Le tout assemblé dans l'espace comme un Meccano après avoir été placé sur orbite terrestre (…) Trois cent cinquante jours (une année complète de voyage, oui vous avez bien lu!) pour que l'imposant convoi arrive au-dessus de Mars une partie y atterrissant et l'autre (le vaisseau de retour) attendant en orbite6. » Les prototypes d'engins robotisés, des rovers, sont testés à Stevenage, à 60 kilomètres de Londres. L'environnement martien a été reconstitué dans un vaste local «avec sur les murs une photo panoramique de plusieurs mètres de longueur7.» Coût de cette installation?

Explorer Mars ou s'enfuir d'une Terre  déja menacée par les événements extrêmes résultant du réchauffement climatique? On est sans voix devant la légèreté avec laquelle on jongle avec des milliards de dollars : «le rapatriement d'échantillons du rover qui sera expédié en 2018 sur la planète rouge coûtera 1,5 milliard de dollars. Et il en faudrait 298,5 de plus pour un vol habité vers Mars8 .»Le coût de la station internationale est déjà de 120 milliards et «le problème c'est qu'elle ne sert à rien, juge Patrick Baudray, le deuxième Français à avoir volé dans l'espace9 .» Aucune difficulté à imaginer les milliards de milliards qui s'envoleront vers Mars. D'ou proviendront-ils??? Le scénario le plus réel c 'est qu'ils seront, ils le sont déjà, prélevés sur la faim, sur la misère, sur les victimes des divers terrorismes et désastres naturels de notre vieille Terre! Question : Et si les 3 000 ingénieurs et techniciens de Space X, créé par Elon Musk appliquaient leur génie à circonvenir les désastres de notre planète???

Devant ce rêve dont la réalisation repose sur une démesure sans exemple dans l'histoire des êtres humains, j'ai imaginé comment une agence de voyage pourrait offrir un envol et un séjour sur Mars à la jeune clientèle d'aujourd'hui.

Chers futurs voyageurs, vous qui êtes jeunes, suivez le conseil de Teilhard, sortez dans l'espace, planifiez votre envolée vers Mars dans deux décennies! Faites comme les 600 propriétaires de billets déjà vendus et bénéficiez du prix spécial de 250 000 dollars l'unité. Et sachez que Un ticket pour l'espace «est la seule entité habilitée à vendre en France les billets pour Virgin Galactic», dont le nom prometteur pourtant ne vous fera pas rêver : «Car le tourisme spatial n'est déjà plus un rêve, mais bien une réalité à portée de main10. » Par conséquent, au lieu d'épargner pour une hypothétique retraite, offrez-vous la réalité d'un vol dans l'espace et d'un séjour unique sur Mars!

Pour orbiter l'homme et éventuellement l'humanité, du moins celle qui aura les moyens de s'exastrer, Elon Musk, après avoir fait fortune par ses panneaux solaires et sa voiture électrique, est devenu l'un des champions de l'exploration de l'espace et vous assure que «deux voyages suffiraient pour installer sur Mars une machine fabriquant des engrais à partir du nitrogène, du dioxyde de carbone et de la glace souterraine présente sur Mars; cela à l'usage d'une colonie de 80 000 habitants logés sous d'énormes coupoles translucides. Leur transport? Il prévoit d'abord l'envoi d'une dizaine d'éclaireurs, pour un prix initial de 500 000 dollars par passager11. » Une aubaine possible dans l'entreprise privée, soutient Musk, comparé aux coûts de la NASA!

Chers futurs vacanciers, voici ce qu'il vous faut savoir sur ce tourisme de l'espace qui fera de vous les vacanciers les plus enviés de la Terre!

1) Distance de la Planète : «Mars se situe entre 56 millions et 400 millions de kilomètres de la Terre selon que les orbites respectives de ces deux Planètes les rapprochent ou les éloignent.» Mais que ces chiffres ne vous découragent pas! Les savants ont calculé que «le passage de Mars dans la banlieue terrestre se fera au plus près le 13 avril 2029, soit à 31,300,000 kilomètres de notre planète. Une occasion en or, (toujours selon eux), de lui sauter dessus!12» Un saute-mouton spatial.

2) 13 avril 2029. Retenez bien cette date car désormais elle sera votre phare, votre vaisseau imaginaire appelé à devenir réel. Une fois tout le matériel technique en place, projet auquel travaillent avec ferveur plusieurs pays, les USA, le Canada, la Russie et la France à coup de milliards, (l'engin robotisé Curiosity entre autres, mis au point par les USA se promène déjà sur Mars depuis août 2012), il faudra attendre jusqu'en 2029, 2030, avant que les humains puissent s'envoler vers Mars.

3) Coût : De 500 000$ le coût pourrait être rabattu jusqu'à 200 000 dollars car Elon Musk prévoit pouvoir fabriquer un vaisseau de la taille d'un Jet d'affaires, infiniment moins cher que les fusées de la NASA et qui pourrait décoller de n'importe quel grand aéroport du monde. Un attrait formidable pour les explorateurs à venir.

4) Durée du séjour :Chers voyageurs, vous souhaiterez certainement séjourner quelques mois sur la planète rouge, ne serait-ce que pour rentabiliser votre mise de fond, comme disent les économistes.

5) Hébergement et loisirs : Vous vivrez dans une base permanente qui comptera «des laboratoires, un centre d'opérations, des ateliers, des espaces de stockage, et des zones de vie- salles de réunions, lieux de détente, chambres, sanitaires. Un peu de confort ne sera pas de trop pour un long séjour. ». Merci aux ingénieurs de la NASA de penser à vous procurer ce petit confort tout terrestre qui sera sûrement apprécié! Et vous vous nourrirez grâce à des cultures sous serre. Vous circulerez enfermés dans des combinaisons hermétiques, (claustrophobes et femmes enceintes s'abstenir!); vous serez casqués et porterez votre réserve d'oxygène comme sac à dos. Et vous contemplerez de vos propres yeux un environnement hostile, peut-être analogue à celui de la Terre avant que l'eau, la végétation et les êtres vivants n'apparaissent. Vous serez alors les observateurs privilégiés des premiers moments du monde comme «l'homme sorti de la mer» dont parlait Teilhard de Chardin! En plus de jouir d'un peu de confort, vous serez pris en charge médicalement et vous combattrez «l'ostéoporose par la prise de substituts en calcium et avec des séances quotidiennes de sport (vélo, tapis roulant et musculation), un gentil rappel des Centres de conditionnement physique terrestre!

6) Détails pratiques : «La Planète est sujette à des éruptions solaires brutales qui peuvent griller un équipage en moins de deux», précise Bernard Comet, de l'Institut de médecine et de physiologie spatiale Medes-IMPS, à Toulouse13.. Solution envisagée : construire dans le vaisseau un abri blindé oû iraient se réfugier les spationautes durant ces périodes qui peuvent aller jusqu'à quarante-huit heures» (inutile donc de vous munir de crème solaire!) Mais occasion unique de faire du sport intérieur et de jouir de l'apesanteur en étant pendant quelque temps débarrassés de votre combinaison encoquillante. Vous éprouverez la sensation de liberté des poissons parvenus dans la chaîne d'évolution à vivre désormais sur terre.

7) Vos assurances : Si vous étiez empêchés de vous envoler, désignez votre remplaçant et vos assurances s'appliqueront à lui automatiquement. En cas de mort au cours du voyage, les formalités habituelles s'appliquent. Détail important : votre corps ne sera pas rapatrié mais orbité.

8) En cas d'urgence, ne comptez pas toutefois pouvoir revenir sur Terre rapidement. Mais, n'est-ce pas, le jeu en vaut la chandelle! Surtout lorsqu'on a déboursé 200 000 dollars pour jouer. Mais quel récit vous aurez à raconter à vos proches! Surtout quand vous leur expliquerez votre retour.

9) Le retour « Le jour du départ, vous prendrez place à bord du véhicule de retour, appelé MAV (Mars ascent vehicule), dont le carburant aura été produit sur la surface martienne. Muni de fusées, il vous arrachera du sol pour vous ramener en orbite haute, où s'effectuera en automatique l'arrimage au vaisseau de retour. Comme à l'aller, il vous faudra faire preuve de patience avant de rejoindre la banlieue terrestre, ou une capsule de type ORION assurera votre descente. Vous aurez fait un périple de mille quatre-vingt dix-jours pour explorer un nouveau monde et, au mépris du danger, avancer vers l'inconnu. Le propre de l'homme, en somme14 .» Et de quel homme! Les explorateurs de la Terre vous paraîtront bien barbares.

10) En cas de mort:Vos proches ne seront-ils pas consolés à la pensée qu'au lieu d'être dévorés par des bêtes marines, ce qui était le triste sort des matelots jetés en mer à l'époque de Christophe Colomb, vous serez vraisemblablement mis en orbite et vous lierez l'espace à l'humanité en devenant l'un des premiers satellites humanoïdes! Quand vos proches regarderont les étoiles, ils se consoleront en vous imaginant au milieu d'elles!

NOTES

1. L'EXPRESS international, semaine du 7 au 13 août 2013. Dossier signé Bruno D. Cot
2. p.15.
3. p. 16.
4. p. 17.
5. p. 15.
6. p. 21.
7. p. 16,17.
8. p. 18.
9. p. 22.
10. p. 24.
11. p. 27.
12. p. 23.
13. p. 20.
14. p. 20.

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