Compostelle à vélo
Voir aussi : Vers Compostelle, par Marie
Hélène Laberge commente ici Un pèlerin à vélo, un livre de Louis Valcke1 .
Un récit hybride d'un voyage à Saint-Jacques-de-Compostelle... c'est ainsi que le définit Louis Valcke, belge d'origine, spécialiste entre autres de Pic de la Mirandole, auteur de plusieurs livres et d'innombrables articles dans des revues européennes et québécoises et qui fut également professeur de philosophie à l'Université de Sherbrooke.
Hybride, ce récit l'est en effet. Car l'auteur dont la culture et la curiosité semblent inépuisables nous initie tout le long de son parcours à une variété de points de vue allant de la géographie à l'histoire de ce pèlerinage, à l'architecture des églises et monastères jalonnant le chemin qu'il a emprunté. Et lorsqu'en plus il décrit la discipline de rigueur dans les institutions belges de son passé d'étudiant, on y trouve en germe toute la culture qui sera l'une des caractéristiques de ce récit.
Une multitude de raisons poussent les humains à faire un pèlerinage; pour Valcke, ce fut d'abord un défi sportif : traverser toute la France à vélo requérait pour un homme de 60 ans un entraînement auquel il se plia pendant plusieurs mois. Pour l'homme cultivé, un retour à l'histoire de ce pèlerinage; par quel hasard, ou miracle, ou légende le tombeau de Saint Jacques se retrouva-t-il à Compostelle? Quels furent les itinéraires des premiers pèlerins? Et à l'heure actuelle, parmi tous les trajets possibles, lequel choisir? Et quel point de départ? C'est en Flandre à l'été de 1990 qu'observant le portail d'une petite église de campagne, un rayon du soleil couchant sur la clef de voûte fit apparaître en relief la forme d'une coquille Saint-Jacques, «emblème qui signalait au passant d'autrefois qu'il se trouvait bien sur la route qui mène à Santiago. Le soleil disparut comme il était venu et la vision éphémère s'estompa. Sans ce providentiel éclat du soleil couchant, je ne l'aurais jamais sans doute jamais remarquée. C'est alors que je résolus de me rendre, moi aussi, à Saint-Jacques-de-Compostelle2.».
«C'est à Sluys, bourgade de la frontière hollandaise où aboutit et meurt le canal de Bruges, que l'auteur enfourcha sa bicyclette pour entamer le long voyage … à travers toute la France et une partie de l'Espagne, pour rejoindre enfin ce Champ sous les étoiles...»
Si donc vous planifiez un pèlerinage, quelle que que soit la raison qui vous pousse à le faire, que vous le fassiez à pied ou en vélo, et si vous souhaitez qu'il soit également une occasion de parfaire votre culture, voilà le guide qu'il vous faut. Dans maintes régions qui échappent aux guides touristiques, l'auteur vous fera découvrir des trésors d'architecture ou des chefs d'œuvre oubliés car il se garde bien de traverser villages et villes sans repérer l'église, le monastère, le monument ou le château qui ont survécu au temps, soit qu'ils aient été restaurés, soit, miracle plus fréquent qu'on ne croit, qu'ils soient demeurés intacts malgré guerres et révolutions.
Il nous révèle un article passionnant de Proust, publié dans le Figaro, en août 1904 sous le titre «La mort des cathédrales, dans lequel «il prend parti avec vigueur contre la loi de la séparation entre l'Église et l'État qui, proposée par le gouvernement Combes, était en discussion à l'Assemblée nationale. Cette loi aurait eu comme conséquence la désaffection des églises et des cathédrales de France. (…) Ce n'est ni par conservatisme ni par simple nostalgie qu'il prend ainsi la défense des cathédrales et des liturgies qui s'y déroulaient encore. (…) Il veut... montrer tout au long de son article que seule la foi, comme conviction vécue, donne aux cérémonies leur sens propre, sans lequel elles ne sont que spectacles, si sublimes soient-ils.(...) il est peu probable, poursuit Valcke, que Proust ait eu premièrement à cœur le sort du catholicisme en tant que tel. (…) Par contre, il est intimement convaincu que la dimension religieuse est essentielle à l'homme, et donc à toute culture, à toute civilisation humaine. Il prévoyait déjà qu'une fois la liturgie exclue des cathédrales, ces dernières deviendraient des lieux de spectacle où convergeraient les caravanes de snobs (…) pour y goûter l'émotion esthétique d'une rétrospective des cérémonies catholiques3», qu'une emprise politique aurait fait disparaître.
Qautre routes en France mènent à Compostelle et on trouve en début de livre une nette reproduction de ces routes sur la carte de France, jusqu'à l'entrée en Espagne à Puente la Reina où elles se réunissent toutes.
Mais arrêtons-nous avec le pèlerin à Vézelay où il prendra «une chambre voûtée, à moellons nus, garantis authentiques, devant un âtre immense», dans un refuge de pèlerins construit au XIIIe siècle et modernisé par le propriétaire actuel4. Vézelay fut au Moyen Âge un des lieux de pèlerinage les plus renommés. La nef de la basilique fut en partie détruite par un incendie en 1120. Reconstruite, elle subit des dommages tels à la Révolution française que Prosper Mérimée qui était inspecteur des Monuments historiques chargea Viollet-le-Duc de sa restauration qui se poursuivit pendant vingt ans jusqu'en 1859.
C'est avec émotion que Valcke retrouve dans la cathédrale Sainte Madeleine, «les quatorze croix de bois qui lors de l'été 1946 y avaient été rassemblées, portées à dos d'homme et venant de tous les horizons d'Europe, en manifestation de réconciliation: de jeunes Allemands y participaient. J'en étais... » Il nous apprend que «la tradition de ces rassemblements s'est maintenue et qu'elle est à l'origine de la renaissance d'un pèlerinage annuel à Compostelle, le 22 juillet, fête de Sainte Madeleine5».
Le pèlerin nous fait donc, dans la plupart des lieux qu'il traverse, leur historique, en se référant au besoin au Guide de Aimery Picaud écrit au XIIe siècle. Ce pèlerin des temps jadis nous apprend que Madeleine ayant quitté Jérusalem avec des disciples du Christ aborda à Marseille, plus exactement aux Saintes Maries de la mer où elle mena une vie érémétique pendant plusieurs années et y fut enterrée. Plusieurs siècles plus tard, un moine, un certain Badilon, transporta ses restes à Vézelay et une basilique et un monastère y furent alors construits et attirèrent des pèlerins qui furent l'objet de nombreuses guérisons par l'intercession de la sainte. De nos jours, on vénère les reliques de Sainte Madeleine dans la crypte de l'église.
C'est en passionné d'architecture que Valcke décrit à Auxerre (en passant, ville où vécut et mourut Marie Noël) la chapelle mérovingienne de l'église Saint-Germain:«une simple voûte étroite, construite en berceau, repose depuis 1 500 ans sur deux lourdes travées de chêne, elles-mêmes portées par quatre élégantes colonnes ioniques, récupérées de quelque temple gallo-romain. Dans ses contrastes et sa candeur naïve, cette architecture de récupération» a tenu, tient et tiendra encore longtemps6.
Futurs pèlerins, n'allez pas croire que vous serez toujours hébergés dans d'anciennes maisons de pèlerins bien rénovées. Et qu'on vous accueillera partout à bras ouverts. À Sarria, en Espagne, Valcke, attiré par le couvent de la Madeleine, de tout temps une étape de séjour et dont les pères de Mercedaros offrent maintenant l'hospitalité aux pèlerins, se heurtera à un accueil réfrigérant. Le laïc qui lui ouvrira la porte exigera une attestation de son pèlerinage et lui indiquera sèchement une porte s'ouvrant sur une grande salle. Une dizaine de jeunes ont jeté leurs bagages sur un sol nu, sans châlit, ni grabat... Valcke fuira ce carrelage glacé et se réfugiera dans une gargote, dont «le vin blanc est un tord-boyaux corrosif.» Les contrastes font aussi partie d'un pèlerinage!!!
Et ils sont parfois douloureux lorsqu'à l'arrivée dans un tout petit village, vous découvrez que le prochain gîte est situé 20 kms plus loin. C'est le soir et vous avez déjà 100 kms dans les mollets.
Pourquoi, comment, Saint Jacques le Majeur est-il passé de l'Orient à l'Espagne où il aurait été enterré dans un sanctuaire qui porte son nom et qui est devenu un tel lieu de vénération, si loin de Jérusalem? Valcke nous fait faire un pèlerinage sur des routes de légende ou d'histoire de ce Saint. «Après la Pentecôte, l'apôtre aurait quitté Jérusalem pour tenter d'évangéliser l'Espagne... il aborda la péninsule ibérique … au Nord de l'actuel Portugal. … sa prédication ne fut pas couronnée de succès; il n'y fit que quelques disciples... et après quelques années, … il s'en retourna à Jérusalem 7»
Il fut plus tard condamné à mort par Hérode Agrippa; en se dirigeant vers le lieu du supplice, il convertit son bourreau et ils furent tous deux décapités. Voilà pour l'histoire. Et maintenant, la légende: des disciples s'emparèrent de son corps pour empêcher qu'il soit profané et «descendirent vers la mer. À ce moment une barque, vide de tout équipage, y accosta. Les disciples... y déposèrent le corps du saint … la barque se dirigea vers la haute mer... et vint échouer à Iria Flavia, l'actuel Padron. On y voit encore aujourd'hui la borne romaine, solidement ancrée en terre, où la barque fut attachée. Une borne (peut-être aussi légendaire) car l'inscription latine qui la signale est récente...
Quoi qu'il en soit, les siècles passèrent parsemés de guerres conquérantes et de reconquêtes, dans une Espagne gagnée au christianisme dès les premiers siècles. En 844, lors d'une bataille bien historique contre les musulmans, celle de Clavijo, «on vit apparaître un chevalier rayonnant de lumière qui, monté sur un destrier éblouissant de blancheur, par ses charges furieuses mit les troupes mauresques en déroute. (C'était) Saint Jacques, car tous l'avaient reconnu!8 .» On lui donna le titre de Matamore, «c'est-à-dire, tout simplement, de massacreur de Maures.» Notons que le tombeau où ses restes avaient été déposés après avoir fait l'objet de nombreux prodiges, était complètement oublié. Au 9e siècle, «le saint ermite Pélage eut une illumination qui lui révéla où était le tombeau de Saint Jacques... Le lieu allait s'appeler Compostela, le champ de l'étoile et pour y atteindre il suffirait de suivre le Chemin de Saint Jacques, ce chemin que trace parmi les astres la Voie lactée, 9.»
Sur ce tombeau furent tour à tour élevés une chapelle puis un sanctuaire, lieu de pèlerinage local. Un premier pèlerinage de Français, sous la direction de Godescalc, évêque du Puy eut lieu en 951. Et sera suivi de cet «engouement incroyable» des pèlerinages vers Compostelle pendant tout le Moyen Âge. Un engouement tel qu'on construisit «vers la fin du XIe siècle la vaste cathédrale romane, celle-la même dont on admire encore aujourd'hui l'intérieur10.»
Que les restes de Saint Jacques se trouvent sous cette cathédrale importe peu en définitive. Un lieu de pèlerinage est toujours un lieu sacré. Et Valcke a atteint Compostelle en surmontant comme les pèlerins de tous les temps les imprévus de la nature et de l'hospitalité auxquels s'ajoutent maintenant les déviations contemporaines des anciens chemins. Il assistera à «une grand'messe célébrée en grande pompe pour une multitude de pèlerins qui se pressent dans la basilique. … la liturgie et ses hymnes sont ceux de ces grands messes impressionnantes dont j'avais gardé le souvenir préconciliaire. … un puissant baryton entonne le Gloria puis le Credo que la foule enthousiaste reprend en choeur... et défile alors impressionnante en sa majesté sublime l'ordonnance des anciens dogmes... une ferveur collective englobe et entraîne tous ceux qui, croyants ou non, sont ici présents. Comme tant de fois depuis bientôt mille ans, l'antique voûtes'anime et amplifie ce vaste bruit de foule qui prend le ciel d'assaut11. »
Louis Valcke est entré dans le pèlerinage de l'éternité en décembre 2012.
NOTES
1 Louis Valcke, Un pèlerin à vélo, Les Éditions Tryptique, Montréal,1997. 192 pages.
Les amoureux de l'architecture du Moyen Âge trouveront dans ce livre inépuisable un merveilleux chapitre sur le Nombre d'Or. Et le livre, quoique publié en 1997, est encore disponible dans les grandes librairies.
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Un pèlerin à vélo, p. 13.
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Ibidem, p.65.
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Ibidem, p.71.
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Ibidem, p.71.
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Ibidem, p.67.
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Ibidem, p.13,14.
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Ibidem, p.17.
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Ibidem, p.18.
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Ibidem, p.20.
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Ibidem, p.170.
Autres oeuvres: Le périple intellectuel de Jean Pic de la Mirandole (PUL/CRS), 1994.