Une économie d'avenir
La santé et la prospérité économiques sont indispensables au développement et au succès de toute société, et ce n'est qu'avec une économie florissante que les innovations importantes et les oeuvres les plus grandes voient le jour. La croissance et le développement économiques ont toujours été dans l'histoire le sol sur lequel les nations ont fait croître leurs sociétés - l'économie n'est qu'un moyen pour atteindre ces fins sociales.
Le développement des nations nécessite l'affirmation et le partage d'un rêve collectif profond et mobilisateur. Définir ensemble ce que nous voulons pour le Québec de demain, pour ensuite harmoniser nos efforts vers la réalisation de ce rêve commun stimulant permettra de poser les bases d'une évolution économique féconde. La réalisation de ce rêve s'appuiera sur le développement d'un système d'éducation amélioré, sur la refonte de la mission de l'État, et sur les fondements d'une nouvelle éthique des affaires.
Quelle nation tirera son épingle du jeu au 21 e siècle? Quel rôle le Québec jouera-t-il dans cet échiquier mondial aux nations de plus en plus interreliées? Comment s'y préparer et quels moyens se donner immédiatement pour faire face à tous ces défis et surtout léguer à nos enfants un héritage plein de rêves, de promesses et de réalisations? Autant d'interrogations qui ont alimenté nos réflexions et auxquelles la société doit inévitablement trouver réponse.
Mario Dumont, étudiant en sciences économiques
Michel D. Lecours, gradué en commerce
Yannick Marcil, économiste
Charles Gagné, maîtrise en commerce et doctorat en économie
Martin Bilodeau, MBA en économie, diplôme de deuxième cyle en management
Michel Lalonde, administrateur et consultant en communication
Serge Auclair, économiste
Jean-Pierre Girard, maîtrise en gestion des coopératives
Notre analyse se déroule sur un axe analytique, du général au singulier. Nous tenterons d'abord de dégager un constat général de la situation économique actuelle du Québec, en identifiant les forces, les faiblesses, et l'environnement changeant auxquels font face les québécois en matière économique et sociale. Puis, nous identifierons les conditions que nous considérons comme nécessaires pour effectuer les changements que nous proposons, en particulier en interrogeant le rôle de l'État dans l'économie, et les caractéristiques de ce que nous appelons le «modèle québécois». Finalement, nous proposerons les moyens d'action que nous devrons prendre collectivement pour arriver à effectuer ce virage majeur, que nous identifions aux rêves et aux projets de la communauté. Nous ne prétendons pas toujours à la nouveauté. Beaucoup d'affirmations et de suggestions que nous faisons ici ont été répétées à maintes reprises récemment. Nous croyons toutefois que c'est précisément la raison d'être de ce document: répéter l'urgence d'agir.
La situation actuelle
Avant de proposer quelques solutions, nous voulons dans cette partie dresser un bref constat de la situation économique québécoise. Nous serons ainsi amenés à évaluer d'abord les différentes forces du Québec, tant sociales qu'économiques, qui ont permis depuis trente ans cette formidable accélération dans l'évolution de notre économie. Ces forces, qui peuvent toutefois devenir dans certains cas des poids, des faiblesses avec lesquelles nous devons vivre, sont les meilleurs atouts dont nous disposons pour fonder le virement majeur que nous proposerons.
En plus de ces qualités, nous devrons évidemment identifier très clairement les défauts, les faiblesses que comportent notre société et notre économie, faiblesses structurelles, qui tirent leurs racines parfois dans un passé assez lointain, ou faiblesses conjoncturelles, qui semblent plus faciles à contourner. Cette identification nous permettra de déterminer les correctifs à apporter à notre système économique, et nous obligera également à imaginer des façons de transformer ces faiblesses en forces
nouvelles.
Troisièmement, il sera nécessaire d'évaluer l'environnement économique et politique dans lequel le Québec de demain sera amené à évoluer. En effet, des thèmes comme la mondialisation économique, le développement durable, le gonflement démographique, qui sont fortement publicisés, traduisent une réalité changeante, une évolution très rapide des règles du jeu. Le Québec du 21e siècle ne se bâtira pas avec la donne des années de la Révolution tranquille. De nouvelles réalités sont d'ores et déjà présentes, et nous devons nous y adapter afin d'en tirer parti.
Nos forces
Les forces de l'économie québécoise sont nombreuses, et sont depuis longtemps bien exploitées. Elles ont permis au Québec de se transformer radicalement dans les années soixante et soixante-dix, et d'accéder au club des sociétés les plus riches, ayant un niveau de vie parmi les plus élevés. C'est sur ces forces que doit d'abord se bâtir le Québec économique de demain, et il est important dans l'élaboration de tout projet de les bien identifier.
Nous possédons entre autres une abondance peu commune de richesses naturelles et énergétiques. À l'heure des grands débats environnementaux, et de l'explosion de tous les besoins dus à l'augmentation vertigineuse du poids démographique mondial, le Québec est singulièrement bien placé pour prendre une place de premier plan chez les fournisseurs de richesses énergétiques. Qui plus est, les grandes réalisations hydroélectriques, qui ont joué un rôle de premier plan dans l'évolution économique du Québec depuis trente ans, ont permis de développer une expertise de pointe de très haute qualité dans ces domaines, en ingénierie et dans toutes les sciences appliquées.
Une des forces particulières du Québec est sa population éduquée, accueillante et ouverte aux réalités nouvelles. Le Canada possède le taux de scolarisation brut de second et troisième cycles parmi les plus élevés au monde, égalant ceux de l'Allemagne, et dépassant ceux du Japon('). De plus, les différents indicateurs de scolarisation sont en hausse constante depuis trente ans. Ce sont des forces potentielles très importantes sur lesquelles nous devons compter pour l'avenir; il s'agit toutefois de les bien utiliser.
Le Québec compte des atouts sociaux forts importants, en particulier le bilinguisme de la majeure partie de sa population, sa démocratie réelle, des infrastructures bien déployées (santé, routes, éducation, aide sociale, etc.). La main-d'oeuvre québécoise est partout réputée pour son dynamisme, son désir de bien faire et sa capacité de travail sous des formes nouvelles d'harmonie et de collaboration.
Toutes ces forces, ajoutées à d'autres que nous devons nous donner, sont essentielles à nos succès de demain et tous nos efforts doivent porter sur le maintien et le développement constant de ces forces.
Nos faiblesses
Nos faiblesses économiques sont toutefois fort nombreuses, et menacent le maintien de certaines des forces que nous venons d'énumérer, et dans certains cas éliminent leurs effets bénéfiques. ,
La première faiblesse économique du Québec, à l'instar des autres nations industrialisées, est sa dette publique. La dette totale du Québec est de 40,528 milliards de dollars pour l'exercice financier 1991-92, soit environ 5 800$ par habitant(2), ce qui représente 25,8% de la production annuelle de la province (PIB(3)). On peut comparer ce chiffre à 79,1% du PIB pour l'ensemble du Canada, 60,5% pour les États-Unis, à 48,5% pour la France, 42,0% en Allemagne, 60,9% au Japon(4). Le remboursement de la dette publique est un objectif obligé pour tous les partis politiques à l'heure actuelle. Ce remboursement est devenu de plus en plus problématique par l'importance que le service de la dette occupe dans les déboursés de l'État et par le fait qu'il est de plus en plus payable à des créditeurs étrangers. Toutefois, il s'agit de bien voir que ce remboursement n'est pas une fin en soi.
Cette dette limite la marge de manoeuvre du gouvernement, puisque les paiements qu'il doit effectuer chaque année pour la rembourser (sans compter les intérêts) constituent une somme d'argent de plus en plus importante qui ne peut être dépensée ailleurs dans l'économie (en éducation, en santé, sur les routes, pour la culture, etc.). Pour l'exercice financier 1991-92, le gouvernement du Québec a consacré environ 12% de ses transferts (soit 4,678 milliards $) au service de la dette. C'est équivalent à la moitié de ce qu'il dépense en matière d'éducation ou de santé, chacune constituant environ 24% de la dépense totale (5).
En conséquence, le gouvernement tourne en rond et ne joue que le rôle d'un distributeur de richesse, au moment où il y a urgence à créer de la nouvelle richesse. Il est important de régler le problème de la dette au plus vite, avant qu'on nous contraign~à la faire. Actuellement, le Fonds monétaire international (F.M.I.), la Banque mondiale, ou simplement l'ensemble du système financier international dictent la gestion interne de plusieurs pays, trop endettés pour pouvoir s'y opposer. C'est une réalité à laquelle on ne peut pas grand chose, d'où l'importance d'agir avant qu'il ne soit trop tard.
Des problèmes structurels freinent les moyens d'action du Québec. À commencer par le chômage très élevé, qui ralentit la croissance, sape la confiance des travailleurs et appauvrit les gouvernements. Ce chômage, effet et non pas cause de nos maux économiques, a comme conséquence au niveau où il se trouve d'accélérer et d'empirer nos problèmes économiques.
Une autre grande faiblesse de la société québécoise réside dans les moyens minimes que nous investissons dans la recherche et le développement. Nous obtenons une des pires notes à ce chapitre, parmi les pays occidentaux. Or, c'est probablement une des clefs majeures pour ouvrir les portes de la croissance future, et pour assurer à nos travailleurs des emplois de qualité.
Plusieurs facteurs politiques constituent un poids important au redémarrage et au développement de notre économie. Il est inutile de rappeler le cynisme des citoyens face aux institutions et aux hommes politiques, sans compter l'inquiétude du public face à l'avenir, qui a l'impression d'être dépourvu de moyens pour agir. En fait, nous croyons que chacun a un rôle à jouer dans le développement économique, et la vie politique véritable dont l'économie a besoin est celle où tous les citoyens se donnent la main pour réaliser leurs projets communs.
Une réalité changeante
Ces faiblesses et problèmes doivent être pris en compte et corrigés pour pouvoir faire face aux changements effectués. Toutes ces nouvelles réalités sont souvent perçues comme des menaces. Mais puisque le poids politique et économique du Québec et du Canada n'est pas très grand, lesdits changements seront dans une large mesure inévitables. C'est pourquoi nous croyons que ces menaces doivent être plutôt perçues comme des opportunités à saisir.
Ces changements sont nombreux. Le marché uni CanadaÉtats-Unis-Mexique est en train de se construire. Différents blocs commerciaux sont appelés à voir le jour rapidement dans le monde. Les ressources humaines qualifiées et bien formées sont de plus en plus rares. Il y a un changement structurel très profond des bases du système économique, des conditions de travail, de la façon de travailler et de commercer, au coeur duquel nous sommes, et qui peut être aussi bouleversant que la Révolution industrielle d'il y a deux cents ans. Pensons aussi à la dichotomie de plus en plus marquée entre l'environnement économique global et celui des régions. Sans compter la préoccupation de plus en plus grande pour le développement durable et la protection de l'environnement naturel.
Tous ces bouleversements marqueront très fortement notre façon de faire d'ici quelques années. C'est pourquoi il nous semble important de redéfinir le rôle de l'État, et y apporter certaines modifications afin d'amorcer un virage économique.
Redéfinir le rôle de l'État
Depuis la Deuxième guerre mondiale, par l'application plus ou moins exacte des politiques keynésiennes, l'intervention de l'État dans les économies occidentales a été de plus en plus importante. Au Québec, nous avons connu ces actions depuis la Révolution tranquille, où le gouvernement était vu comme pourvoyeur de la richesse, et donnait l'assurance de la croissance économique. C'était l'Étatprovidence.
Les problèmes sont survenus lorsque les gouvernements se sont endettés en pleins cycles de croissance, pendant lesquels il n'était pas nécessaire qu'ils interviennent. Par conséquent, lors des crises économiques majeures, comme celle que nous vivons présentement, les gouvernements ne sont plus en mesure d'intervenir pour relancer la consommation et l'investissement.
Nous croyons que pour cette raison, leur mission économique doit être redéfinie.
L'État catalyseur
Dans l'économie, nous croyons que le gouvernement devrait jouer le rôle (primordial) de catalyseur, c'est-à-dire qu'il mette en place pour les entreprises, les coopératives, les individus, les conditions les plus favorables à leur développement.
L'État, lorsqu'il joue le rôle de producteur non seulement fausse les règles du jeu, mais néglige du coup ses rôles beaucoup plus importants, comme celui de fournir une éducation adaptée aux besoins des individus et de l'économie, celui de mettre en place des institutions fiscales et sociales adaptées à la vie économique moderne, etc. Bien sûr, certains cas particuliers (l'Hydro-Québec en est un exemple) nécessitent l'appui gouvernemental pour leur réalisation. Mais nous croyons qu'en général, l'État ne devrait pas gaspiller inutilement son énergie en prenant le rôle de producteur.
L'État est le lieu de l'action politique, et nous croyons que le politique est en étroite relation avec l'économique. Or, la légitimité de la fonction économique d'une société ne peut être acquise que par la définition claire de ses objectifs. C'est ainsi que l'État, la manifestation de la vie politique, doit être présent comme une âme stimulant l'énonciation de ces objectifs, et stimulant leur réalisation.
Réglementation, capital de risque & entrepreneurship
Ce rôle catalyseur prend plusieurs formes.
D'abord, par la mise en place d'une réglementation adéquate, et réaliste, qui ne soit un poids pour personne. À l'heure actuelle, notre bureaucratie fait perdre des énergies importantes à tout le monde, aux travailleurs comme aux employeurs, aux consommateurs comme aux producteurs. Des solutions comme les guichets uniques pour les entreprises, le revenu minimum garanti pour les individus doivent être envisagées pour éliminer ces dépenses d'énergie inutiles, et permettre aux diverses instances gouvernementales et administratives de les employer à des fins plus utiles.
Ensuite, nous croyons que l'État a un rôle à jouer, par l'adoption de législations et de procédures administratives diverses, dans la mobilisation du capital de risque pour les nouvelles entreprises, et par la commercialisation des innovations développées par les divers acteurs de la scène de la recherche et du développement.
Ce capital de risque offrira aux entrepreneurs des opportunités pour leurs développements et participera à la mise sur pied de nouvelles P.M.E., une des forces majeures de notre économie.
Un modèle québécois
Le Québec, au niveau de son développement économique, devra miser sur les principaux agents économiques que sont l'entreprise privée, les syndicats, les coopératives et l'État québécois. Les divers éléments de notre société sont souvent perçus comme particulièrement interalliés entre eux. Nous croyons que cela est coexistant à un nécessaire esprit coopératif. La coopération, la concertation et le dialogue entre ces agents économiques devraient conduire à l'adoption de stratégies de développement économique qui tiennent compte des acquis des trente dernières années mais réadaptées aux défis et à la réalité des années à venir. De plus, ces éléments devraient permettre l'expression d'une vision économique inclusive.
En ce sens, ce que nous proposons ce n'est pas une rupture avec à notre modèle de développement passé et présent, mais bien une évolution de celui-ci, conséquente de la nouvelle réalité québécoise, soit la présence d'un solide réseau de P.M.E. québécoises, un secteur coopératif important et solidement implanté, l'émergence d'un entreprenariat syndical et une capacité d'intervention de plus en plus réduite de l'État.
Nous proposons également de reconnaître et de mettre au centre de tout projet de développement économique les agents économiques privés qui sont le moteur du dynamisme et de la croissance de notre économie. Ils doivent être impliqués et sollicités dans l'élaboration d'une stratégie de développement économique durable. Parallèlement à cette réaffirmation du rôle essentiel et historique de la fonction de l'entrepreneur, il est primordial de se redonner une structure économique qui encourage et facilite les initiatives privées créatrices d'emploi et de richesse.
L'État québécois devra tenir compte de cette réalité et se modifier, de grand entrepreneur l'État deviendra surtout un catalyseur. L'État devra assurer la mise en place des conditions favorables à l'épanouissement des entreprises en plus d'élargir et d'entretenir les infrastructures nécessaires. Mais pour assurer le succès de cette transition, il sera nécessaire de regrouper tous les acteurs qui caractérisent le Québec actuel afin d'assurer une communauté de vision dans l'atteinte d'objectifs partagés et convergents. C'est pourquoi l'État devra être un rassembleur et un agent de mobilisation des différents acteurs du développement économique.
Si les initiatives locales seront encouragées et importantes dans notre développement économique, il sera tout aussi nécessaire d'encourager l'implantation et le développement de multinationales. Ces entreprises devraient servir de catalyseur dans la création de réseaux de soustraitants québécois. Cette coopération devrait permettre la création d'alliances stratégiques qui favorisera l'émergence au niveau local, et ensuite au niveau mondial, d'une série d'entreprises québécoises capables de concurrencer dans des domaines de pointe.
Les travailleurs devront également être sollicités. Pour tenir compte des conditions changeantes sur le marché du travail, de nouvelles formes d'organisation du travail seront nécessaires. En ce sens, un effort commun devra être fait afin de revoir nos pratiques actuelles de gestion. La participation des travailleurs dans l'entreprise devra être encouragée et dépasser le simple cadre d'une relation contractuelle entre employeur et employé, caractérisée trop souvent par l'affrontement et la méfiance. Toutes les ressources individuelles devront être mobilisées afin de relever le défi de la productivité. C'est pourquoi il est nécessaire de reconnaître la responsabilité du travailleur et le rôle actif qu'il doit jouer dans le développement de l'entreprise. Les entreprises seront donc invitées à collaborer étroitement avec leurs travailleurs et à entreprendre un véritable dialogue qui sera à la base d'un nouveau contrat social.
En bref, le modèle québécois, c'est celui de la concertation, de l'harmonisation entre les entreprises et les individus. Le modèle québécois, c'est également le développement par les efforts de tous et chacun, par une prise en main tant individuelle que collective, quelle que soit la région. Il importe de catalyser toutes nos énergies pour réaliser nos projets futurs. Cela ne peut se faire que si nous multiplions les relations entre nous.
Les moyens de développement économique
Le développement économique n'est pas une fin en soi. C'est le seul moyen viable à long terme pour assurer un niveau de vie décent à tous les citoyens. De plus, le développement économique peut redonner aux individus la dignité du travail et l'espoir d'une amélioration de leur sort. Ainsi, un développement économique sans travail et sans croissance du niveau de vie de la majorité des individus n'est pas acceptable. De plus, le développement économique doit se faire de façon équitable à l'échelle de la Province, région par région, personne par personne. Notre vision du développement économique du Québec s'articule autour des moyens suivants.
L'éducation
Afin de former des individus compétents et aptes à relever le défi de l'emploi, il est primordial de reconnaître que l'éducation scolaire constitue l'un des piliers de la formation des individus. Le développement économique repose désormais sur la performance des systèmes scolaires qui, en cette fin de siècle, sont des sources d'avantages concurrentiels indispensables.
Plus particulièrement, la formation tant au niveau du primaire que du secondaire doit permettre l'accumulation de connaissances et d'habiletés qui rendent l'individu capable d'une grande polyvalence tout au long de sa vie. Ceci est vrai au niveau de l'enseignement des sciences qui sont à la base de la création d'une économie dans les secteurs de hautes technologies. Sans une grande qualité dans sa formation dès sa jeunesse, l'individu devra, tout au long de sa vie, effectuer un rattrapage long, pénible et coûteux tant pour la société et les entreprises que pour lui-même. C'est pourquoi il sera nécessaire de s'assurer que les contenus académiques répondent aux objectifs suivants:
1) une solide formation de base susceptible d'assurer la polyvalence;
2) la présence de programmes de spécialisation aptes à bien préparer les individus au marché du travail.
Des efforts urgents doivent être faits pour réduire à la source le décrochage qui devient un important facteur d'exclusion du marché du travail et confine trop souvent les individus dans des emplois faiblement rémunérés dans des secteurs économiquement précaires. De même, il faut récupérer les individus qui ont décroché et les amener à compléter leur formation. Ceci ne pourra se faire que si les ressources nécessaires sont disponibles, si une plus grande compréhensions de problèmes existe, si les incitatifs nécessaires sont mis à la disposition des individus et surtout si une véritable concertation de tous les acteurs impliqués par les enjeux du défi de l'éducation est établie. Il faut donc reconnaître que l'éducation ne relève pas seulement de quelques groupes particuliers mais de tous les acteurs sociaux présents au Québec.
Il devient également important de revaloriser les profils professionnels, tant au niveau secondaire que collégial. Trop souvent dans notre société la formation universitaire est encouragée sans véritablement permettre l'exploration d'alterna tives qui pourraient se révéler intéressantes pour l'individu, l'entreprise ou la société.
La formation de la main-d'oeuvre
L'investissement dans la formation continue des travailleurs sera plus que jamais nécessaire afin de rattraper le très grand retard du Québec dans ce domaine. Si nous ne pouvons pas disposer d'une main-d'oeuvre qualifiée, il sera difficile de justifier des salaires élevés et il faudra se résoudre à voir notre niveau de vie inexorablement diminuer. Mais il est important de cibler cette formation. Les ressources devront être consacrées de façon prioritaire dans les secteurs susceptibles de créer une économie à valeur ajoutée avec des emplois prometteurs et de qualité. Trop souvent, les programmes de formation ne sont que des voies d'évitement qui déplacent temporairement les problèmes et désabusent les travailleurs. Oui, il faut former les travailleurs, mais cette formation doit les orienter vers des emplois d'avenir.
Ainsi, l'investissement dans la formation de la main-d'oeuvre permettra de rendre nos travailleurs plus compétitifs, d'assurer leurs chances de trouver un emploi et de favoriser des conditions de travail intéressantes. De plus, la présence d'une masse critique de main- d'oeuvre qualifiée et des structures nécessaires à la formation des travailleurs deviendront des sources d'avantages compétitifs pour les entreprises établies au Québec. Il sera possible de jeter ainsi les véritables bases d'implantation de secteurs entiers d'économies à valeurs ajoutées.
Au niveau de l'entreprise, la formation continue de maind'oeuvre est d'abord et avant tout le résultat des investissements privés. Mais une collaboration étroite entre les syndicats, les milieux scolaires, l'État et les entreprises est nécessaire afin d'en négocier les modes d'application. La concertation des différents intervenants permettra à tous d'intégrer la formation à l'intérieur d'un projet cohérent où les actions des uns ne viendront pas diminuer ou annuler celles des autres. C'est pourquoi nous pensons que le rôle du système d'éducation, dans ce processus, est double: assurer une formation de base à l'individu et collaborer avec différents intervenants pour supporter un effort de formation continue.
Pour rapprocher les étudiants du marché du travail, l'élargissement des programmes de stages en entreprises sera encouragé par la mise en place de structures incitatives dans les écoles secondaires, collèges et universités, par la présence de mesures fiscales positives dans ce domaine et surtout par la création d'une culture de collaboration propice à ce type d'initiative. Il est nécessaire de pouvoir ancrer la formation académique dans la réalité du travail. Ceci demandera une collaboration importante entre le monde du travail et les milieux académiques.
La réduction de la réglementation gouvernementale
Il est plus que temps de libérer les entrepreneurs des très nombreuses réglementations qui, dans bien des cas, étouffent l'initiative privée, augmentent inutilement les coûts d'administration des P.M.E. et sont, de plus en plus, une source importante de chômage. La réglementation qui devait, dans bien des cas, protéger les individus des abus et leur donner un statut particulier, force maintenant un nombre grandissant de ceux-ci à l'anonymat et au travail au noir. En plus de priver l'État de revenus substantiels, cette situation laisse les travailleurs sans les protections normalement accordées.
Il est nécessaire de revenir à un contexte qui permette la négociation libre entre les individus, redonne le goût de créer et d'exploiter des entreprises et qui, surtout, ne se veuille pas une réponse aux demandes de groupes spécifiques de pression. Dans le contexte actuel de mondialisation, un allègement et une simplification de la réglementation dans plusieurs secteurs est également une nécessité pour favoriser la création d'emplois et pour maintenir la souplesse indispensable à une plus grande compétitivité.
Déréglementer ne veut pas dire tout changer ou pis, ne rien réglementer. Certaines réglementations, comme le salaire minimum, reposent sur une vision sociale de l'économie qui est tout à fait fondée et qu'il ne serait pas question d'éliminer. Il s'agit plutôt de revoir les principales réglementations gouvernementales qui sont souvent le fruit d'époques révolues mais dont certains principes sont toujours valables.
Ainsi le décret de la construction, la loi sur les décrets de conventions collectives, le code du travail devront prioritairement être revus. Les réglementations devront tenir compte de l'existence d'un nombre important de P.M.E. et des différences régionales. Par une certaine déréglementation, le statut d'entrepreneur reprendra la place qu'il doit occuper dans notre société, l'innovation et l'initiative privée pourront s'exprimer et les contrôles souvent excessifs exercés sur l'entreprise seront réduits. Une réduction de la réglementation permettra également l'apparition d'initiatives nouvelles et originales.
Le développement des régions
Parallèlement à une-déréglementation, il faut redonner aux régions les moyens de prendre en main leur développement. Donner des moyens aux régions, c'est tenter d'équilibrer les chances entre les individus sur la surface du territoire québécois sans porter préjudice à personne. Il faut favoriser l'émergence des initiatives locales et tenir compte des particularités de chaque région. Ceci passe par la création de mécanismes régionaux de concertation et de coopération. Coopérer, c'est permettre aux régions de se développer en formant des petits marchés autonomes qui ne dépendent pas seulement d'une industrie spécifique. Pour un commerçant de Matane, faire imprimer ses factures à Rivière-du-Loup plutôt qu'à Québec ou Montréal, c'est permettre à sa région de se développer. En fait, ce qu'il faut c'est que le tissu social des régions devienne la base d'un tissa économique serré. Globalement, plus une région est économiquement forte, plus elle sera capable d'interagir avec les autres régions.
Une certaine décentralisation des pouvoirs et des ressources du gouvernement québécois vers les régions est un outil qui permettra à celles-ci de se prendre en main. Il est nécessaire de mobiliser des moyens afin de freiner l'exode des régions vers les deux grands centres que sont Montréal et Québec. En ce sens, pourquoi ne pas favoriser la création de véritables «capitales régionales» capables de concentrer et de soutenir les efforts des individus. Ces capitales deviendraient sources d'initiatives dans les régions, en plus de faciliter les échanges à l'intérieur de la région et, par la suite, entre les différentes régions.
Le développement des régions, c'est également le développement technologique lorsque cela est possible. Par l'utilisation et la concentration des expertises locales générées par les institutions collégiales et universitaires de même que par les entreprises, il sera possible de créer et de développer dans certaines régions un savoir-faire particulier créateur d'emploi, tant dans les domaines de la production de biens et services que dans celui de la connaissance. Les régions deviendront ainsi plus que des pourvoyeurs de ressources – naturelles et humaines – vers quelques grands centres urbains, mais des zones économiques avec de réelles possibilités d'oeuvrer dans tous les domaines de la vie économique.
L'investissement par le capital de risque
Il serait inutile d'encourager l'entrepreneurship et l'émergence de P.M.E. si l'accès à un capital de risque à un coût compétitif était inexistant. La complexité des procédures et les coûts qui en résultent, les règles extrêmement strictes imposées par les prêteurs institutionnels sont autant d'obstacles qui empêchent les initiatives privées et réduisent la création d'emploi. Ceci est particulièrement vrai dans les régions.
Il fut donc encourager les mises sur pied d'organismes de capital de risque par des incitatifs fiscaux. L'entreprenariat syndical dans ce domaine a été une source importante de capitaux durant les dernières années et ce type d'initiative est certainement à encourager. L'accès à un capital de risque devra tenir compte des particularités de la gestion entreprenariale et des conditions économiques des P.M.E.
Le constat fondamental dans ce domaine est que le Québec ne manque pas de capitaux. Le problème se situe plutôt dans le type de placement qui, actuellement, canalise les épargnes individuelles. Il faut mettre en place les incitatifs structurels afin de récupérer les économies des individus et de les réinjecter dans le développement de projets et d'entreprises québécoises. Ceci est particulièrement vrai dans les régions où il est nécessaire d'amener les gens du milieu même à financer les entreprises et ainsi à exercer un meilleur contrôle sur le fonctionnement et la gestion de ces entreprises.
La protection de l'environnement
Il faut encourager le respect de l'environnement et s'assurer d'un développement durable dans l'utilisation des ressources. Il devient nécessaire de veiller à ce que les bénéfices du développement économique d'une région ne se fassent pas sur le dos des générations futures. Dans ce domaine, l'aide gouvernementale pourrait être liée à des conditions de respect de l'environnement et encourager les projets embrassant le principe de développement durable. Une «taxe verte» pourrait être imposée sur les produits polluants et les revenus de celle-ci seraient réinvestis dans la recherche et le développement de produits et de technologies non polluantes.
Le développement de technologies non polluantes peut devenir une stratégie économique viable et porteur d'avenir. En fait, en s'imposant soi-même des règles strictes dans ce domaine, il devient possible de développer une expertise que nous pourrons, par la suite, exporter. Ainsi le «virage vert», en plus de refléter la montée de nouvelles valeurs, est également un mode de développement économique de plus en plus rentable.
La fiscalité
La fiscalité est un des outils sur lesquels le gouvernement peut s'appuyer pour encourager la plupart des initiatives décrites précédemment. La fiscalité des entreprises peut être modifiée afin d'encourager la formation de la main-d'oeuvre. De même, les entreprises respectueuses de l'environnement pourraient se voir accorder des avantages fiscaux qui les inciteraient à s'orienter vers une philosophie de développement durable. Des avantages fiscaux importants pourraient être accordés afin d'inciter la mise sur pied d'organismes chargés de recueillir et de faire la distribution de capitaux de risque. Les particuliers qui investissent dans les jeunes entreprises pourraient également bénéficier d'un traitement privilégié.
Au niveau des entreprises, afin d'en encourager la création, il serait possible de mettre en place une politique de nonimposition d'une première tranche importante des profits. Également, il serait possible d'encourager, par des mesures fiscales incitatives, le réinvestissement des profits des entreprises dans des projets générateurs de retombées locales, comme la création d'emploi ou des initiatives dans le domaine de la recherche et du développement. Les entreprises qui relèvent le défi de l'investissement dans des technologies de pointe et assurent ainsi leur compétitivité pourraient également bénéficier d'un traitement fiscal privilégié.
Il s'agit donc d'encourager la recherche du profit par les entreprises mais tout en incitant le réinvestissement de celui-ci pour le plus grand bien-être général. Enfin, il serait possible d'encourager les programmes de partage des profits entre les entreprises et leurs employés par une modification de la loi de l'impôt. Cette mesure sensibiliserait les travailleurs à l'importance d'une productivité accrue en plus de les impliquer dans la poursuite d'une croissance de la rentabilité des entreprises dont ils sont des acteurs importants.
Enfin, tant pour les individus que pour les entreprises, il faut relever le défi de la simplification de l'administration et de la compréhension du présent système fiscal. Particuiièrement pour les petits entrepreneurs, il est souvent difficile de bénéficier des avantages fiscaux existants sans le recours à une assistance privée souvent coûteuse.
Le commerce international
Les initiatives individuelles au niveau du commerce international devront être encouragées. Mais, compte tenu de la situation financière de l'État, il faudra faire mieux avec les ressources actuellement investies dans ce domaine. Une véritable stratégie de concentration des ressources et de la présence du Québec à l'étranger devra être mise en place. Il faudra tenir compte, entre autres, du potentiel que représentent les marchés sur lesquels nous nous implantons, des possibilités d'affaires des entreprises québécoises, compte tenu de nos avantages concurrentiels. En ce sens, il sera nécessaire d'examiner, parallèlement, nos sources d'avantages concurrentiels, de les valoriser et de les exploiter systématiquement.
Afin de favoriser les exportations, nous suggérons également la mise en place d'un guichet unique gouvernemental qui serait accessible à tous. Ce guichet pourrait informer les futurs exportateurs des marchés possibles pour leurs produits, des programmes de subventions, de l'aide gouvernementale dans ce domaine. Ainsi, plutôt que de compartimenter les rôles des différents ministères économiques, il s'agit de favoriser la polyvalence qui pourra se traduire par un meilleur service des exportateurs.
Parallèlement à la restructuration des ministères et à l'implantation d'une philosophie axée sur le service aux exportateurs, il est nécessaire de rechercher, de façon active, les entreprises ayant le potentiel requis pour l'exportation et de leur faire connaître les moyens d'utiliser ce potentiel. Pour faciliter, par la suite, l'émergence de ces entreprises, il sera important d'identifier et de favoriser la mise en place de réseaux de distribution, car sans ces réseaux, il est souvent difficile de pénétrer un marché étranger.
Le revenu minimum vital
Afin de simplifier tous les transferts gouvernementaux vers les individus, nous proposons d'étudier très sérieusement la possibilité de remplacer la multitude des programmes actuels par la formule bien connue du revenu minimum vital(6). Le principe est simple: garantir à tous les individus, de l'étudiant au chômeur en passant par les retraités et les mères, un revenu minimal décent. Spécifiquement, le revenu minimum vital pourrait remplacer à lui seul toute une gamme de programmes, dont le programme de pensions de vieillesse et de supplément de revenu garanti, le programme de prêts et bourses, le programme d'assurance-chômage, le programme d'aide sociale et le programme d'allocations familiales.
Pour l'utilisateur, les avantages sont nombreux; le plus important est bien sûr la simplification de l'accès à ces programmes par la mise en place d'un guichet unique. Pour l'État, l'administration de tous ces programmes serait grandement simplifiée en plus d'en réduire considérablement les frais. Ainsi l'objectif de ce programme est double: assurer la distribution des transferts gouvernementaux le plus rapidement et le plus simplement possible au moindre coût.
Cette façon de procéder remplacerait une foule de programmes provinciaux et fédéraux. Par conséquent, ce programme ne pourrait s'appliquer au Québec que dans l'éventualité d'un transfert considérable de pouvoir du gouvernement fédéral vers le gouvernement québécois.
Notes
(1) Rapport mondial sur l'éducation 1991, UNESCO, Paris, passim
(2) Comptes publics 1991-1992, Québec: Ministère des Finances, 1992, p. 13
(3) Calculé à partir des Comptes publics 1991-1992. op. cit., et du supplément statistique historique, 1991-1992, L'observateur économique canadien,. Statistique Canada, no 11-010, p. 104, tableau 12. 1
(4) Pour la dette brute des pays en pourcentage du PIB: Rapport annuel mondial sur le système économique ei les stratégies 1993, Paris, Dunod (Institut français des relations internationales), 1992, p.397-403,
(5) Comptes publics 1991-1992, Québec, Ministère des Finances, 1992, p.13.
Tous ces bouleversements marqueront très fortement notre façon de faire d'ici quelques années. C'est pourquoi il nous semble important de redéfinir le rôle de l'État, et y apporter certaines modifications afin d'amorcer un virage économique.
(6) Soutien du revenu et propension au travail: l'expérience canadienne Mincome, Ottawa: Conseil économique du Canada, 1991.