Santé démocratique : la confiance en nos institutions
Pour opérer un revirement de ces tendances et ramener la confiance nécessaire des citoyens envers leurs institutions, toute réforme devra reposer sur un certain nombre d’idées-force, de valeurs de base. Ces valeurs peuvent être décrites comme suit: décider en fonction du long terme; pratiquer la transparence, la lucidité et l’intégrité; revenir à l’humain; considérer les droits comme corollaires des responsabilités.
Jean-Guy St-Roch, député indépendant à l’Assemblée Nationale
Membres :
Jacques Gauthier,avocat en pratique privée
Marie Grégoire, consultante en communication
Normand Hamel, homme d’affaires
Jean Nobert, agriculteur
Danny Morin, comptable agréé
Revalorisation et modernisation de nos institutions
Décider en fonction du long terme
Tant au plan des décisions budgétaires (déficit, fiscalité) que des questions environnementales et des habitudes politiques, une préoccupation du long terme apparaît comme centrale. Comme l’écrit Covey, il n’y a pas de «quick fix» pour les problèmes de société: l’avenir est à ceux qui y mettent le temps et qui voient plus loin que la prochaine élection. On doit travailler à ce que la génération qui nous suit vive mieux que nous. Les jeunes de la génération des années 1990 sont la première génération depuis le début du siècle à vivre moins bien que les générations précédentes.
Transparence, lucidité, intégrité
Quoique ces valeurs semblent être des lieux communs, il paraît crucial de les réhabiliter à une époque où notre société vit une crise de confiance envers les institutions. Nos politiciens sont-ils tous plus ou moins menteurs? N’a-t-on, en fait, que les politiciens qu’on mérite? Pouvons-nous reprocher aux hommes et aux femmes publics de manquer de vision alors que, comme citoyens, nous pratiquons l’aveuglement volontaire?
L’intégrité va plus loin que la simple exigence de voir les personnes politiques s’abstenir de manipuler les fonds publics: elle suppose que l’on dise les choses comme elles sont. Cette notion dépasse aussi l’obligation de transparence dont on charge les hommes et les femmes politiques; elle suppose que l’on s’oblige collectivement à plus lucidité.
Bien intégrés, ces concepts permettent de dépasser l’apparence de démocratie qu’ont les débats publics, ne satisfaisant que les groupes de pression et les porte-parole professionnels. Ils font en sorte que ces débats — et les décisions qui doivent les suivre et non les précéder—impliquent la participation responsable des citoyens.
Revenir à l’humain
La démotivation, la désorientation que vivent les travailleurs, les élèves à l’école, les malades à l’hôpital, tiennent sans doute beaucoup au fait que ces derniers ont le sentiment d’être un rouage dans une machinerie qui les dépasse alors qu’elle avait été créée dans le but de les servir. Le résultat de l’ingénierie sociale semble être que le citoyen, dans de multiples aspects de sa vie, est au service de l’État plutôt que l’inverse.
Comme l’ont dit certains membres du Comité, il faut donner aux citoyens, et en particulier aux jeunes, de la matière au rêve. Il faut retrouver des raisons d’espérer, et pour cela revenir aux sources: que l’État et les institutions soient des instruments du bonheur humain. Quand avez-vous eu récemment cette impression?
Les droits sont les corollaires des responsabilités
Nous sommes bardés de chartes, de déclarations ronflantes nous conférant les droits les plus multiples et les plus divers. Ces droits, nous en revendiquons les bénéfices auprès d’un débiteur unique et, espérons-nous, omnipuissant: l’État.
Or, l’État n’est que la somme des modestes contributions que chacun d’entre nous désire ou peut y apporter.
Le droit de s’exprimer dans le débat public est vain si personne ne sent la responsabilité de s’engager dans le débat public.
Le droit de recevoir les bénéfices de la solidarité sociale est lettre morte si, de fait, tous ne mettent pas l’épaule à la roue pour produire ces bénéfices.
Le droit des jeunes à recevoir une instruction de qualité est inutile s’ils n’ont pas l’occasion d’exercer par la suite la responsabilité de contribuer plus tard, par leur travail, à créer des opportunités semblables pour ceux qui les suivent.
A) La première démarche: redonner voix au citoyen
Il nous apparaît que la démarche la plus importante, au chapitre de la vie démocratique, consiste à redonner un droit de parole direct aux citoyens.
Afin qu’ils aient une prise sur les décisions qui les affectent et prennent une responsabilité significative dans l’orientation des gouvernements, nous proposons que le gouvernement tienne des référendums à intervalles réguliers.
Pour minimiser leur coût, ces référendums devraient coïncider avec les élections générales, en temps normal. Les questions qui y seraient posées devraient pouvoir être soumises non seulement par le gouvernement en place, mais aussi par l’opposition ou par des regroupements de citoyens. Ces questions pourraient être d’ordre national ou régional. Si elles sont d’ordre régional, elles s’adresseraient aux seules circonscriptions de cette région.
Outre les référendums réguliers, nous proposons que les citoyens aient l’opportunité de déclencher un référendum sur une question donnée si celle-ci regroupe un nombre suffisamment imposant d’intéressés.
1) Ces référendums d’initiative pourraient être de deux ordres:
- a) d’ordre constitutionnel;
b) d’ordre législatif et organisationnel, et/ou rectificatif.
2) Qu’une consultation populaire ait lieu pour déterminer les modalités entourant la tenue de ces référendums afin d’en définir les paramètres, tels que:
- — la durée de la période de signe de la pétition;
— le nombre d’électeurs requis;
— les délais de présentation à la consultation populaire;
— l’intervalle nécessaire pour qu’une question ayant fait l’objet d’un premier référendum puisse à nouveau y être adressée.
3) Afin de faciliter le processus de la tenue des référendums et de minimiser les coûts des élections, favoriser l’établissement d’une liste permanente des électeurs, conçue pour servir le monde scolaire municipal et provincial, ainsi que la création de la carte d’électeur qui faciliterait la mise à jour constante de cette liste.
Ces référendums dits «d’initiative» ne devraient cependant pas affecter les engagements financiers du gouvernement adoptés par l’Assemblée nationale.
De plus, nous croyons qu’il serait nécessaire de faire en sorte que l’Assemblée nationale soit contrainte de débattre d’un projet de loi si un tel projet reçoit un appui assez imposant.
B) Changements requis à l’institution qu’est l’Assemblée nationale
1. Redonner le pouvoir aux élus
Il faut enlever l’emprise politique de l’exécutif sur l’Assemblée nationale. Les gouvernements sont habituellement élus avec une forte majorité parlementaire à l’égard de laquelle ils exercent une discipline rigoureuse tant et si bien que le gouvernement est d’habitude placé en position dominante par rapport au Parlement et se trouve en mesure de soumettre ce dernier à ses volontés jusqu’à en faire une simple chambre d’enregistrement. L’existence d’un contrôle gouvernemental sur l’activité parlementaire donne au gouvernement un véritable monopole de l’initiative des lois et du travail législatif et l’abus des délégations de pouvoir réglementaires entraîne un véritable transfert de la fonction législative à l’exécutif.
Afin de minimiser cette emprise, il faut:
1.1 Des votes libres
Par exemple, seuls les votes sur le Discours du Trône, le Discours sur le Budget et les très grandes orientations élaborées dans les programmes politiques, devraient faire partie de la formule de la ligne de parti.
1.2 Un député en mesure d’assumer son rôle
Afin de donner les outils nécessaires aux parlementaires pour leur permettre d’assumer leurs trois missions de législateur, de contrôleur et de représentant de leurs citoyens, il faut leur faciliter l’obtention de la bonne information, de l’information pertinente à l’allocation des ressources et à la reddition des comptes, comme le mentionne le Vérificateur général dans son rapport de 1991-1992.
Il faudra donc appliquer la réforme parlementaire de 1984 et donner, tel qu’elle le décrivait, une plus grande autonomie aux Commissions parlementaires pour la tenue de mandats d’initiative, d’enquêtes publiques et d’auditions.
1.3 Revoir le pouvoir de réglementation
La réglementation accompagnant chacune des lois publiques couvrant les différents ministères et les différentes sociétés d’État, devrait être revue de sorte que chacune des Commissions parlementaires ait maintenant la responsabilité d’étudier la réglementation accompagnant chacune des lois en commission parlementaire, et de tenir des audiences publiques le cas échéant, tout en maintenant les délais de publication ou de prépublication dans la Gazette Officielle, entre 45 et 60 jours, selon les différentes lois.
1.4 Documenter les projets législatifs
L’établissement d’une loi-cadre qui obligerait chaque projet de loi à contenir, en plus des notes explicatives, la période de révision de la loi, ses impacts sur les ressources humaines requises et ses impacts sur les finances publiques tant au niveau des intrants que des dépenses.
1.5 La haute fonction publique devant les élus
Même si le projet de loi 198 a été adopté, il a tellement été épuré qu’il deviendra, dans son état actuel, un simple voeu pieux avec très peu de chances de voir se concrétiser l’imputabilité de la haute fonction publique devant les commissions parlementaires auxquelles se rattachent les ministères concernés. Pour ces raisons, il devra être revu et corrigé.
1.6 Remettre en question le concept du fonds consolidé
Qu’une réflexion s’amorce dans le but de modifier le concept du fonds consolidé des finances publiques pour envisager la possibilité que chacun des ministères puisse constituer son propre fonds avec pouvoir de garder les entrées de fonds, ce qui contribuerait à augmenter son sens d’entrepreneurship pour s’autofinancer et se développer, tout en s’assurant d’une gestion globale afin d’éviter le déséquilibre entre les finances de chacun des ministères et l’orientation des objectifs gouvernementaux.
2. Un processus démocratique amélioré
2.1 Limiter les mandats des élus
2.1.1 Le Premier ministre et le vice-premier ministre ne recevraient que deux mandats
2.1.2 Pour ce qui est des ministres, ils ne devraient pas pouvoir siéger plus de huit ans à ce titre. Toutefois, dans l’éventualité d’un troisième mandat consécutif, huit ministres sur quinze devraient obligatoirement céder leur poste.
2.2 Des élections à date fixe, tous les cinq ans
Afin de minimiser les coûts et de maximiser l’efficacité de l’appareil gouvernemental, des élections à date fixe, tous les cinq ans, deviendraient de rigueur.
Dans le système actuel, nous pouvons présumer que les six à huit premiers mois suivant l’élection, communément appelés la période de grâce, sont généralement dévolus à l’ensemble des élus pour qu’ils se familiarisent avec leurs fonctions; les huit à douze mois suivants servent à implanter les grandes orientations énoncées dans le programme politique, suivis, en règle générale, vers la fin de la troisième année, d’une période d’accalmie, le nouvel échéancier électoral étant trop rapproché pour amorcer de nouveaux contrats sociaux ou des réformes d’envergure.
2.3 Renforcement de la démocratie
L’introduction des votes libres et les limites imposées à la durée des mandats aura un effet structurant sur la culture parlementaire. Par la suite, le concept de l’établissement d’une représentation législative pour tout groupe ayant obtenu un certain pourcentage du vote populaire national, devra être soumise à une consultationl afin que l’idée soit discutée et puisse prendre place dans notre processus démocratique. Cette consultation aurait pour mandat de soumettre: le pourcentage du vote requis, le type de représentation collant le mieux à la réalité et à la mentalité québécoise.
Comme l’efficacité de ce processus demandera un certain temps, il faut qu’une modification à la loi électorale du Québec soit apportée pour faire en sorte que tout parti politique ayant obtenu 5% du vote populaire, reçoive du Président directeur général des élections, les sommes requises pour son financement, proportionnellement au vote national exprimé, et proportionnellement aussi aux montants octroyés aux autres grandes formations politiques, quel que soit le nombre de députés élus.
3. Réduire la taille de l’appareil gouvernemental pour répondre aux nouvelles responsabilités
3.1 Un conseil des ministres diminué de moitié
La taille de l’État québécois se doit d’être revue pour refléter ses responsabilités modernes. À ce titre, le Conseil des ministres ne devrait se composer que de 17 personnes, dont 15 titulaires de ministères, le premier ministre et le vice-premier ministre.
À titre d’exemple, les ministères existants pourraient très bien être refondus de la façon suivante:
Les Affaires internationales, la Francophonie et l’Immigration pourraient être rassemblées ainsi que Culture et Communications, Énergie et Ressources et Forêts, etc.
Le tout sous-entend une remise en question et une justification de tous les organismes et sociétés d’État de même qu’une réévaluation, tous les cinq ans, du nombre de ministères.
4. Réorganisation territoriale
Afin d’impliquer les citoyens et les citoyennesdans la gestion de l’État, la création de la Chambre des régions est recommandée, ce qui signifie:
4.1 La réorganisation des régions administratives pour qu’elles reflètent le sentiment d’appartenance: elles passeraient de seize à vingt.
4.2 La reconnaissance des MRC et des communautés urbaines comme principaux leviers de la vraie décentralisation gouvernementale.
4.3 La reconnaissance des gouvernements autochtones.
4.4 Le mandat de la Chambre des régions:
- — Suggérer et entériner différentes nominations effectuées par le bureau du Premier ministre. À titre d’exemple: les membres des Conseils d’administration des universités, du Conseil des Arts, etc.
— S’assurer du processus de décentralisation de la machine gouvernementale vers les régions.
— Établir et recommander des budgets pour le développement régional, définir les objectifs et en assurer le suivi.
— Analyser les besoins des différentes régions pour en recommander les plans d’action. (Note: Ceci est le point de départ de tout autre concept pouvant favoriser le développement des régions et, par conséquent, une nette amélioration de l’économie du Québec tout entier.)
4.5 Désignation des membres
Dans un premier temps, les membres seraient non électifs et ils pourraient provenir de chacune des MRC et des communautés urbaines, (membres élus, représentants du monde universitaire, du milieu communautaire, de l’enseignement, de la culture). Au départ, la Chambre des régions avait un nombre total de 50 membres.
Dans la foulée de la reconnaissance des gouvernements autochtones, la possibilité de nommer des représentants de chacune des entités autochtones présentes au Québec, si elles le désirent.
Dans un deuxième temps, après consultation populaire, et après une première période de cinq ans, le processus de désignation devrait se diriger vers la forme élective et vers des mandats raffermis et déterminés.
5. La Constitution du Québec
5.1 Refonte et regroupement de la Loi de l’Assemblée nationale, de la Loi électorale, de la Charte des droits et libertés de la personne, etc.
Il est temps, croyons-nous, devant les expériences vécues et tout particulièrement celles des deux dernières années et afin de sauvegarder la liberté d’expression et la démocratie, de revoir les lois existantes qui en sont les fondements, c’est-à-dire la Loi de l’Assemblée nationale, la Loi électorale, la Charte des droits et libertés de la personne, etc., et de les refondre dans un nouveau document qui deviendrait partie de la Constitution du Québec.
Ces lois, qui garantissent les libertés sous tous leurs aspects, peuvent, dans l’état actuel du système qui nous gouverne, être changées, modifiées, simplement en utilisant le poids du nombre, de la part de l’exécutif en place. Par exemple, la banalisation du bâillon à l’Assemblée nationale. Durant la seule année 1992, le leader du gouvernement y a eu recours à quatre reprises pour des projets de loi majeurs.
Ces énoncés sauront, à n’en pas douter, susciter beaucoup de discussions, permettant d’élaborer davantage sur ces points tout en gardant l’essentiel du système de parlementarisme de type britannique qui est le nôtre. Il est faux de prétendre qu’après 200 ans, nous ne puissions pas moderniser ce système afin d’en faire un outil de gestion moderne, dans le respect des libertés et de la démocratie.