Éducation : le temps des solutions
L'éducation est à la fois fin et moyen : voilà la première contradiction à laquelle on se heurte quand on réfléchit sur le sujet. Il est d'autant plus difficile de subordonner le moyen à la fin que le pouvoir en éducation est réparti entre quatre acteurs très différents : la société (les parents, les médias, etc.), les éducateurs, les pouvoirs publics et les employeurs. Chacun de ses acteurs a ses propres contradictions : les parents voudraient que leurs enfants fassent très tôt l'apprentissage du travail intellectuel, mais ils leur permettent de passer plusieurs heures par jour devant la télévision ; les éducateurs veulent à la fois la sécurité du secteur public et la liberté du secteur privé ; les pouvoirs publics prétendent avoir pour mission de défendre l'intérêt général, mais ils font grand cas des groupes d'intérêts du secteur de l'éducation ; les employeurs réclament des diplômés mieux formés, mais ils n'hésitent pas à recourir aux services de jeunes qui devraient en principe étudier à plein temps.
C'est pourquoi en éducation, plus encore que dans d'autres domaines, « nous ne pouvons souffrir ni nos maux, ni les remèdes à nos maux ». Le temps des solutions est pourtant venu.
Jacques Dufresne, philosophe, directeur du journal L'Agora
Membres du comité :
Louis Balthazar, sociologue, professeur titulaire au département des sciences politiques de l'Université Laval
Normand Lapointe, économiste, service des finances de la ville de Montréal
Marc Pellerin, étudiant, études supérieures en sciences politiques
Marie-Claude Barrette, étudiante en sciences économiques
Le redressement tranquille
Le monde de l'éducation a subi de nombreux chocs au cours des trente dernières années. Bien des changements coûteux à tous égards ont donné des résultats décevants. Personne ne souhaite de nouveaux bouleversements inutiles; tout le monde reconnaît cependant que de nouveaux redressements s'imposent, dans des domaines aussi cruciaux que l'apprentissage de la langue française et la fréquentation de l'école jusqu'à la fin du secondaire.
Au cours des trois décennies de révolution tranquille, le Québec a été un immense laboratoire. Dans tous les domaines, en éducation surtout, nous avons multiplié les expériences sur nous-mêmes. Avons-nous eu raison de le faire? Cette question est vaine. Une expérience n'est pas ratée parce qu'elle échoue. Quand une expérience échoue, il faut seulement revenir à l'hypothèse antérieure, à moins de pouvoir formuler une nouvelle hypothèse.
L'heure des synthèses
L'heure est venue de faire le bilan des expériences récentes, ce qui nous amènera tantôt à revenir à des hypothèses antérieurement vérifiées, tantôt à continuer dans la même direction. Le grand défi de l'heure est d'opérer une synthèse entre l'ancien et le nouveau, l'ancien qui n'est pas dépassé et le nouveau qui s'impose. Revenir à des hypothèses antérieurement vérifiées ce n'est pas revenir en arrière, c'est faire preuve de rigueur et de bon sens dans la conduite d'une expérience. Si on découvre, après trente ans d'expériences diverses, qu'il n'existe rien de mieux que la dictée pour apprendre l'orthographe aux enfants, il faut revenir à la dictée. Il faut seulement le faire avec mesure. Qu'on revienne à des méthodes éprouvées ou qu'on innove, par exemple au moyen des techniques informatiques, il faut agir avec souplesse et finesse. Certains abusent déjà de la dictée, ils en font un moyen magique; d'autres abusent de l'ordinateur de la même manière. Ce n'est pas le rapport au passé ou au présent qui est en cause ici, mais l'intelligence de chacun.
Tous les éléments de la synthèse souhaitable doivent être perçus comme des gages d'une stabilité dont le milieu de l'enseignement a grand besoin pour être capable des innovations et des adaptations essentielles requises par un environnement mondial qui évolue impitoyablement, c'est-à-dire sans tenir compte des efforts démesurés d'adaptation déjà faits par une collectivité donnée.
La synthèse doit aussi respecter la volonté générale. Ce qui épuise et paralyse le monde de l'éducation au Québec, c'est la confusion constante entre les règles de la négociation et l'expression de la volonté générale. Cette dernière appelle la fermeté, la continuité et la cohérence. La négociation fait passer la ruse, les tractations et le compromis au premier plan.
Cette confusion a miné l'expérience des cégeps dès l'origine. Le Rapport Parent prévoyait des examens nationaux et des contenus de cours précis, définis par l'État. Il n'aurait jamais dû y avoir de négociations sur ces points. La négociation a eu pour résultat qu'on a tenté de maintenir des contenus communs tout en se privant de tout mécanisme de contrôle digne de ce nom. Il en résulte un système qui cumule davantage les inconvénients du public et du privé qu'il ne combine les avantages de l'un et de l'autre. Chaque cégep, comme chaque professeur, a toutes les libertés d'un agent privé. Mais ni dans un cas, ni dans l'autre, l'évaluation n'est assurée soit par l'implacable marché, soit par les règles du jeu normales dans un système vraiment public, comme l'est celui de la France par exemple.
Vingt-cinq ans plus tard, la confusion entre l'expression de la volonté générale et la négociation avec des volontés particulières (qu'il s'agisse de celles des syndicats ou des associations d'institutions) nous a conduits à une autre réforme à la fois trop radicale et pas assez radicale. Nous n'aurions aucune peine à démontrer que la même confusion est à l'origine de maux semblables dans chacun des niveaux d'enseignement.
Dégager la volonté générale
L'heure de la volonté générale affirmée avec force est aussi venue. Pour dégager la volonté générale il suffirait de consacrer à une consultation directe de la population une infime partie de l'énergie qui a été consacrée au cours des 25 dernières années aux tractations avec les groupes d'intérêts particuliers.
Quand la population aurait parlé, il faudrait ajuster les conventions collectives et les règles administratives aux grandes orientations qu'elle aurait choisies. Le primat de la volonté générale doit toutefois demeurer compatible avec la dignité des éducateurs. Il n'est évidemment ni possible, ni souhaitable de soumettre les éducateurs à la volonté générale contre leur gré. Leur enthousiasme, leur joie au travail est la condition première du succès des écoles. On peut même affirmer que leur dévouement a toujours été et sera toujours à la mesure de l'estime qui leur est accordée.
Ils retrouveront toute l'estime de la société quand cette dernière leur aura donné un mandat clair tout en se donnant les moyens de vérifier si ce mandat a été rempli. Les enseignants doivent seulement comprendre que leurs rapports avec la société sont faussés dans la mesure où cette dernière est dans l'impossiblité d'assumer ses deux responsabilités: par-delà le processus de négociation, indiquer la direction à suivre et s'assurer qu'on ne dévie pas en cours de route.
Il y a déjà au Québec un large consensus sur l'importance qu'il convient d'accorder à l'éducation dans la conjoncture actuelle. Tout le monde a compris ou deviné que l'information est désormais plus importante pour le développement économique que le capital, le travail ou les ressources naturelles.
Bien des gens d'autre part commencent à comprendre que dans une humanité livrée à une féroce concurrence mondiale dans un environnement de plus en plus menacé, il importe qu'un nombre croissant de personnes accèdent par l'éducation à une sagesse qui rende l'accomplissement personnel possible en dépit des pressions très fortes qui s'exercent de l'extérieur.
Le mot valeur est maintenant sur toutes les lèvres. L'éthique est à l'avant-scène, même dans le monde des affaires. «Les travailleurs du savoir formeront la classe dirigeante, mais ils devront être aussi des leaders, ce qui exige d'eux une éthique, des valeurs, une morale.» Le manager des managers, Peter Drucker rejoint ainsi l'économiste philosophe que fut Schumacher, lequel écrivait: «Ce sont nos convictions fondamentales qui sont en désordre et aussi longtemps que persistera l'état d'esprit hostile à la métaphysique dont on fait preuve aujourd'hui, le désordre ira de pire en pire. L'éducation, loin de représenter la ressource primordiale, sera alors un agent de destruction conformément au principe “corruptio optimi pessima”».(La corruption de ce qui est meilleur est la pire) . Le même Schumacher écrivait aussi que l'essence de l'éducation réside dans la transmission des valeurs. «Nous pensons et jugeons par elles, elles sont les instruments mêmes au travers desquels nous observons, interprétons et expérimentons le monde.»
Hélas! Quand on met ainsi l'accent sur les valeurs en général, c'est habituellement le signe d'un doute radical sur les valeurs précises qu'on est effectivement en mesure de transmettre. Dans ce domaine il faut bien se garder de croire que le consensus est plus facile à atteindre qu'il ne l'est en réalité. Plutôt que d'aboutir à un consensus minimal sur des valeurs vagues, il est préférable d'identifier deux ou trois constellations de valeurs bien définies, auxquelles il sera possible de faire correspondre des moyens d'action appropriés. Par exemple, les parents qui attachent plus d'importance à l'obéissance et à la discipline qu'à la spontanéité et à la liberté devraient, là où la chose est possible, placer leurs enfants dans des écoles ayant une hiérarchie des valeurs semblable à la leur.
Les valeurs
Voici une liste de valeurs qui conviendra vraisemblablement à un grand nombre de parents:
— Le travail bien fait, méthodique, rigoureux.
— Une vision critique de l'individu et de la société.
— Le souci de la vérité, l'honnêteté intellectuelle.
— Le sens de l'appartenance, condition du sentiment d'identité collective.
— Le sens démocratique.
— L'esprit d'équipe.
— L'amour du patrimoine.
— Le souci d'une langue correcte.
— L'autonomie et la responsabilité.
— Le sens de l'effort et de la discipline personnelle.
— Le sens de l'intériorité.
Cette liste de valeurs conviendra à des parents et à des enfants qui craignent les contrôles et les contraintes extérieurs. Un autre groupe de parents pourrait préférer une liste de valeurs centrée sur le respect de la réalité plutôt que sur le développement sans entraves de l'enfant, et sur l'idenfication à des modèles comme condition du développement d'un esprit critique, qui ne soit pas prématuré, et destructeur pour cette raison. Il faut éviter de confondre ces deux constellations de valeurs au sein d'un consensus trop hâtivement établi.
Dans un système d'éducation public et national, il faut pourtant des valeurs communes. Il y a une chose au moins sur laquelle tous devraient pouvoir s'entendre: les valeurs n'ont de chances de s'incarner, de passer dans la réalité, que dans la mesure où elles sont pensées et présentées par couples de contraires. Une valeur c'est un désir qui a subi l'épreuve de la contradiction. La grande difficulté sur la voie du consensus c'est la confusion entre les désirs et les valeurs. Les désirs sont illimités; ils ne supportent pas la contrainte. Tout en étant un appel et une nourriture, les valeurs nous indiquent des moyens de limiter nos désirs de façon à ce qu'une croissance harmonieuse soit possible.
La personne la plus créatrice et la plus autonome se trouve tôt ou tard dans une situation où elle doit raisonner ainsi devant un patron: «je ne suis pas de votre avis sur cette grave question, mais dans la situation grave et urgente où nous nous trouvons, quelqu'un doit trancher. Vous êtes le chef. Vous avez tranché. Je suis à vos ordres.» Cet acte d'acceptation d'une solidarité hiérarchisée, acte libre on l'aura remarqué, s'appelle depuis toujours obéissance. L'apprentissage de l'obéissance doit être fait à l'école au même titre, et pour les mêmes raisons profondes, que celui de la liberté. La liberté tempérée par l'obéissance et l'obéissance tempérée par la liberté. C'est là un bel exemple de la façon dont il faut penser et présenter les valeurs par couples de contraires. Tel est le prix d'un consensus sur des valeurs qui seront plus que des mots.
Bien qu'elle admette l'importance des valeurs et de l'éducation, la population constate aussi qu'il ne suffit pas d'investir toujours plus pour atteindre les fins visées. Il est vrai que nous avons accompli des pas de géant en ce qui a trait à l'accessibilité à l'école et à la fréquentation scolaire en général. Mais Beaucoup s'inquiètent de ce que, entre 1963 et 1993, le coût de l'éducation soit passé de quelques centaines de millions à plus de dix milliards, avec entre autres résultats, un retour à la situation de 1963, pour ce qui est du pourcentage de jeunes qui obtiennent leur diplôme de fin d'études secondaires.
Si bien qu'il est devenu difficile, périlleux même, de tenter d'enthousiasmer les gens avec des promesses relatives à la qualité de l'éducation. Heureusement, si l'enthousiasme est nécessaire, les promesses, elles, ne le sont pas. Être enthousiaste, nous dit l'étymologie, (en theos) c'est être habité par un dieu. Il faut être habité par un dieu pour éduquer. Les promesses sont en général des objectifs administratifs fixés arbitrairement. On peut s'en passer. Pour tenter de les réaliser, on détruit parfois les conditions favorables à l'éveil du dieu dans l'âme des maîtres comme dans celle des élèves. Le mal devient alors irrémédiable.
Une nouvelle approche: le modèle organique
Le système d'éducation n'est pas une grande machine dont on peut accroître la productivité en actionnant quelques leviers. Il est un organisme fait d'écoles qui sont autant de cellules vivantes. Ces écoles à leur tour sont habitées par des êtres vivants, élèves et enseignants, qui ont avant tout besoin d'être nourris et soutenus par un humus, par un climat. Le progrès de l'école est une croissance soumise à toutes les règles subtiles de la croissance des êtres vivants. Il importe de connaître et de respecter ces règles, non de planifier des résultats, de fixer des objectifs administratifs, et utopiques, du genre: en l'an 2000, 100% des jeunes Québécois obtiendront leur diplôme d'études secondaires.
On n'insistera jamais trop sur la différence entre l'approche organique et l'approche mécaniste. On peut à bon droit rattacher la plupart des reproches adressés à l'école secondaire québécoise aux excès de l'approche mécaniste: locaux trop grands, trop exclusivement fonctionnels, manquant de chaleur et de vie, absence de cour de récréation inspirante, pédagogie centrée sur des objectifs qui relèvent des techniques de conditionnement, plutôt que des modèles qui soient des nourritures et des sources d'inspiration, caractère interchangeable des enseignants plutôt que stabilité de maîtres auxquels l'enfant peut s'identifier, etc.
Voici donc un ensemble de propositions destinées à favoriser l'avènement dans les écoles d'un climat favorable à la croissance des êtres qui y vivent.
La société des étudiants à plein temps
La première condition pour opérer un redressement en éducation, c'est la société dans son ensemble qui doit la remplir. Comment ? En faisant preuve à l'égard des études d'un attachement tel qu'aucun élève de moins de 18 ans ne puisse en être distrait plus de 10 heures par semaine par un travail rémunéré. Aucun étudiant à plein temps de plus de 18 ans, de quelque niveau que ce soit, ne devrait pouvoir travailler à l'extérieur plus de 20 heures par semaine.
Certes, pour bien des jeunes, le travail à l'extérieur est le seul moyen de demeurer à l'école contre la volonté de parents qui ne voient guère l'importance de l'éducation. Certes, il s'agit là d'une tendance bien caractéristique des sociétés de consommation comme la nôtre. Pour toutes ces raisons, on peut difficilement imaginer le recours à la loi pour forcer les jeunes à étudier à plein temps. Mais ne faudrait-il pas au moins faire en sorte que l'importance des études, et du temps qu'il convient de leur consacrer, s'inscrive dans le discours officiel?
L'un des signes de progrès social c'est le fait que les enfants en bas âge aient été libérés du travail. Nous sommes en train d'annuler ce progrès. L'importance accordée aujourd'hui à la consommation, combinée avec divers autres facteurs, dont le manque d'exigences et de discipline à l'école, a eu pour conséquence que pour un grand nombre d'enfants, le temps des études n'est plus désormais qu'un temps partagé entre l'étude et le travail.
Ajoutons à cela que la libération des moeurs entraîne souvent chez les jeunes un surmenage affectif qui contribue à son tour à les éloigner des études. Notons surtout que le travail à l'extérieur provoque souvent une maturation hâtive qui fait perdre aux jeunes ce sens de la gratuité sans lequel il n'est pas de vie intellectuelle possible. De nombreux parents soutiennent que les enfants acquièrent le sens du réel en travaillant à l'extérieur. Il faut aussi veiller à ce que ce réel ne soit pas rétréci, désenchanté par l'atrophie de l'imagination. Or l'imagination, comme l'attention, a besoin du vide et donc du loisir pour se développer. On devrait mettre ces vers de Paul Valéry au fronton de toutes les écoles:
- Ces jours qui te semblent vides
Et perdus pour l'univers
Ont des racines avides
Qui travaillent les déserts.
Patience, patience,
Patience dans l'azur!
Chaque atome de silence
est la chance d'un fruit mûr!
travailleur qui redeviendrait étudiant à plein temps libérerait une fraction d'emploi qui pourrait être occupée par un jeune travailleur en chômage.
Plusieurs estiment que le travail des jeunes étudiants correspond à une tendance irrésistible dans nos sociétés, que ce phénomène constitue une étape vers un monde où l'on sera étudiant-travailleur toute sa vie. Si l'on doit justifier la situation actuelle par cet argument, il faudra qu'on le fasse avec cohérence, c'est-à-dire en faisant participer le jeune travailleur- étudiant davantage au paiement de ses études, de façon à lui inculquer le sens des responsabilités à l'égard de la société — laquelle consacre sept ou huit mille dollars par année au paiement de ses études — de façon aussi à dégager des crédits pour les autres âges de la vie.
Des professeurs à temps plein
L'attachement d'une collectivité à la vie intellectuelle se manifeste également par la part de leur temps que les professeurs consacrent à des activités gratuites au service de la culture et de leurs étudiants. Cette part n'est pas toujours aussi grande qu'elle devrait l'être.
Un certain nombre de professeurs de l'enseignement supérieur doublent ou triplent leurs revenus par des activités professionnelles accomplies en dehors de l'université ou du collège. Comment peut-on demander aux étudiants de consacrer tout leur temps à leurs études quand leurs maîtres ne consacrent à leur travail académique proprement dit qu'une partie de leur temps? (Il faut bien se garder ici de mettre en cause tous les professeurs . Les pratiques que nous évoquons ici sont propres à quelques facultés ou départements.)
Selon les règles du jeu communément admises, un professeur, comme un ingénieur travaillant dans un grand bureau privé, peut utiliser son temps libre comme bon lui semble. Après un semaine de travail bien remplie, on a le droit de faire ce qu'on veut, y compris d'accepter des contrats supplémentaires.
On peut toutefois difficilement imaginer qu'un ingénieur à l'emploi d'un bureau privé puisse consacrer plus de 20% de son temps à des contrats personnels. On devrait imposer une telle limite aux professeurs , à condition que le temps prévu pour le travail universitaire proprement dit ne soit pas entamé.
On pourrait faire une exception pour les activités extérieures à la fois bien rémunérées et de nature à assurer le progrès du professeur dans sa sphère de recherche. Dans ce cas toutefois, l'argent gagné au moyen de toute activité professionnelle rémunérée devrait être remboursé à l'institution dans la proportion qui excède des limites raisonnables.
À une période où il convient de partager l'emploi, est-il admissible qu'un professeur d'université profite de sa situation avatangeuse pour faire une concurrence déloyale à des travailleurs autonomes ?
L'École
Tenir compte de sa nature
L'école se distingue du préceptorat, qui l'a précédé, en ce qu'elle assure un enseignement simultané à vingt ou trente élèves. Un tel enseignement suppose de la discipline, laquelle suppose à son tour que le maître soit soutenu par les autorités de l'école.
Le mot discipline effraie encore bien des gens. La discipline, bien comprise, est au service de la vie, de la vie de l'école et de celle de l'enfant. L'intelligence ne peut pas se nourrir adéquatement en classe, si juste avant d'y entrer l'élève a bousculé un camarade au son d'une musique violente. La vie de l'intelligence exige que l'entrée en classe soit préparée par un rituel d'ordre et de silence.
Le climat d'une bonne école est fait de choses aussi diverses que le silence (aux endroits et aux moments appropriés), les plantes (comme dans les maisons), l'air pur, la lumière. La discipline a pour finalité le respect de ces divers éléments du climat de même, bien entendu, que la préparation de l'enfant à un acte aussi important sur le plan affectif que sur le plan intellectuel: l'attention. Les rites et les rythmes sont à cet égard très importants. Le rituel des examens, avec papier spécial, atmosphère solennelle, etc. en est un bel exemple.
Assurer son autonomie
Face aux familles et au pouvoir judiciaire notamment. Ce n'est pas à un juge qu'il appartient de décider de la façon dont les règlements de l'école doivent être établis et appliqués. Les directeurs de l'école doivent être maîtres chez eux comme les parents le sont à la maison. Les parents et les directeurs sont certes co- responsables de l'éducation, mais cette co-responsabilité doit s'exercer dans le respect de la compétence et de la sphère d'influence de chacun.
L'invasion de l'école par le pouvoir judiciaire est particulièrement inquiétante quand il s'agit des conditions dans lesquelles les écoles doivent accueillir les enfants handicapés, mais elle est aussi inutilement coûteuse et perturbatrice quand il s'agit de l'évaluation ou de l'admission des étudiants. Au cégep et à l'université, cette judiciarisation coûte de plus en plus cher à tous égards. Il faut revenir au bon sens. Un trio de Sages, choisi parmi les professeurs émérites à la retraite, pourrait très bien faire office de Cour suprême à l'intérieur des universités. Quant aux avocats, ils n'ont pas à se mêler de pédagogie et d'administration scolaire courante. Dans la pire des hypothèses, celle où un étudiant a été réellement victime d'une injustice, ledit étudiant doit apprendre à se défendre lui- même. Cela fait partie de sa formation.
Respecter sa mission propre
Sa mission est de transmettre des connaissances et de donner une formation, et non de servir de garderie, de refuge, voire même d'hôpital et de prison. Le fait est cependant que bien des enfants se présentent à l'école le matin dans un état tel qu'il faut tantôt les nourrir, tantôt les consoler avant d'exiger d'eux qu'ils suivent les activités d'une classe normale. L'école est donc contrainte de jouer un rôle qui n'est pas le sien. Tant que ce sera le cas, il faut lui donner les moyens correspondant aux services qu'elle rend hors de sa mission propre. Il n'en importe pas moins d'opérer une distinction nette entre la mission propre de l'école et les services subsidiaires qu'elle fournit.
La pédagogie
Tenir compte du fait que la pédagogie est une pratique
La pédagogie est une pratique, non une théorie. L'enseignant s'apparente au chirurgien, non au biologiste qui fait de la science fondamentale. Qui parmi nous accepterait d'être opéré par un chirurgien qui aurait fait l'apprentissage de la chirurgie dans des livres de théorie plutôt que dans une salle d'opération, aux côtés d'un praticien? L'une des erreurs commises lors de la réforme scolaire a consisté à oublier cette vérité élémentaire et par suite à placer le pédagogue sous la tutelle des théoriciens des sciences de l'éducation. Il faut corriger cette situation en redonnant au praticien la place centrale qui lui revient, aussi bien à l'école que dans les facultés de sciences de l'éducation. Dans les hôpitaux ce sont toujours les praticiens qui décident des règles de la pratique.
Attacher à l'initiation l'importance qu'elle mérite
Par leurs travaux sur la jeunesse québécoise, Jacques Grand'maison et ses collaborateurs ont été amenés à découvrir une grave lacune dans l'éducation au sens large du terme: le manque d'initiation.
L'initiation c'est le rôle joué par un adulte — père, tante ou voisin — qui transmet à l'enfant sa passion pour son métier, qui l'aide à acquérir maîtrise de soi et confiance en lui-même. Le roman Le Matou, d'Yves Beauchemin, est rempli de beaux exemples d'initiations.
C'est ainsi, par l'initiation, que les sociétés et les familles ont depuis toujours assuré
l'éducation des enfants. Pour que l'école puisse participer à cette oeuvre, il faut que les éducateurs soient des maîtres et que les jeunes puissent s'identifier à l'un d'entre eux: le tuteur, le
titulaire.
Les buts de l'éducation
L'école a deux grands buts: la formation et la transmission de connaissances utiles. La formation, les Anciens le savaient déjà, consiste pour l'essentiel à aider l'intelligence à trouver sa forme achevée en se dégageant du chaos des émotions, des humeurs, des préjugés. Penser, c'est saisir des rapports nécessaires entre des phénomènes. Plus ces phénomènes sont près de nous — et ils sont toujours près de nous dans la vie courante — plus il nous est difficile de les considérer sans avoir la vue obscurcie par des vapeurs qui montent de notre moi. Pour libérer l'intelligence, donner au regard toute son acuité, il convient d'étudier des disciplines se situant à un certain niveau d'abstraction. Dans l'abstrait, l'oeil peut s'exercer avec une plus grande liberté parce que les phénomènes en cause — nombres, figures, règles de logique ou de syntaxe — sont à une grande distance du moi. On aura compris que c'est l'enseignement axé sur l'actualité et les problèmes sociaux qui est ici contesté.
Les connaissances utiles vont de la lecture du thermomètre à l'apprentissage des traitements de texte, en passant par des notions comme la toxicité. L'étude de la langue comme celle des mathématiques appartient autant à la sphère de la formation qu'à celle des connaissances utiles.
L'unité et la continuité entre les niveaux
Les fins de l'éducation, la transmission des connaissances et l'acquisition d'une formation, sont les mêmes de la maternelle à l'université. On ne peut toutefois pas les atteindre par les mêmes moyens à tous les âges et dans toutes les conditions. D'où l'existence de systèmes scolaires généralement divisés en trois niveaux: élémentaire, secondaire, universitaire. Au Québec, il existe un quatrième niveau: le collégial.
L'articulation des niveaux entre eux est essentielle. La formation aussi bien que la transmission des connaissances supposent l'unité et la continuité. L'idéal dans cette perspective, c'est que l'enseignement des trois ou quatre niveaux se donne dans une même institution. Cela est impossible en pratique, mais au moins faudrait-il que l'ensemble du système scolaire constitue une vaste zone de libre échange où rien ne fait obstacle à l'unité et à la cohérence que requiert la formation. La continuité exige à la fois une bonne articulation des contenus et des objectifs et la mobilité des enseignants. Aucun obstacle d'ordre administratif ne devrait empêcher l'accès à un niveau supérieur à un professeur qui le désire et qui a la compétence requise.
S'il existe des niveaux, c'est toutefois parce qu'il convient de viser des objectifs particuliers à chaque étape de la formation. Le souci de la continuité ne doit pas avoir pour conséquence que la formation donnée à un niveau soit définie de façon trop exclusive en fonction des exigences du niveau supérieur. C'est en grande partie parce qu'on ne tient pas suffisamment compte des objectifs propres au secondaire qu'il y a tant d'échecs à ce niveau.
Un baccalauréat national
Par souci d'unité et de continuité, en même temps que pour créer des sphères d'excellence, on a récemment introduit le baccalauréat international dans plusieurs institutions; emportées par ce mouvement, de nombreuses commissions scolaires et de nombreuses institutions privées offrent le programme international.
Est-il nécessaire de souligner qu'il y a quelque chose d'humiliant pour le Québec dans le recours généralisé à un organisme international pour susciter ici l'apparition de sphères d'excellence? Voilà un peuple qui se dit fier de sa souveraineté en éducation et qui aspire à une telle souveraineté dans une foule d'autres domaines! Or quel usage fait-il de sa souveraineté en éducation? Il y renonce pour se mettre sous la tutelle d'un organisme international dont la mission première est d'offrir des services correspondant aux besoins des familles de divers pays qui habitent les grandes capitales du monde. On ne peut pas blâmer les commissions scolaires et les institutions privées qui ont adopté le programme international. C'était, dans les circonstances où elles l'ont fait, la seule façon pour elles de bien servir leur clientèle. On peut toutefois reprocher au ministère de l'éducation de s'être laissé coloniser.
Pourquoi ne pas reprendre une idée qui est dans l'esprit du Rapport Parent: celle d'un baccalauréat national? Il va de soi qu'une telle batterie d'examens accompagné du programme approprié, suppose une très grande continuité, des liens très étroits entre les niveaux d'enseignement, en particulier entre le secondaire et le collégial. On devrait avoir comme but lointain un ajustement aux normes mondiales: un secondaire de six ans suivi d'un premier cycle universitaire de quatre ans. Rien n'empêcherait que les cégeps actuels donnent les deux premières années du baccalauréat en liaison étroite avec les universités.
À l'heure actuelle, la chose est un secret de Polichinelle, un grand nombre d'étudiants perdent leur temps au secondaire V, puisque l'admission au cégep se fait pour l'essentiel en fonction des notes obtenues à la fin de secondaire IV. Au cégep, les étudiants perdent l'équivalent d'une autre demi-année, en raison de ce malheureux système des sessions qui crée un trou d'un mois au milieu de l'année scolaire.
Le primaire
Parce que le problème du décrochage se pose surtout à ce niveau et pour diverses autres raisons, c'est le secondaire qui retient surtout l'attention. Les professeurs du secondaire auraient toutefois presque autant de raisons de se plaindre de la formation donnée au primaire que les professeurs de cégep en ont de se plaindre de la formation donnée au secondaire.
Faut-il rappeler l'importance au niveau primaire de la formation fondamentale, du développement personnel et social, ainsi que de l'initiation aux principales dimensions (spirituelle, artistique, scientifique, physique) de la culture? Le principal défi dans ce contexte concerne les familles tout autant que l'école. Depuis de nombreuses années on assiste à une érosion de la capacité d'attention et de concentration des enfants. Les problèmes qui en résultent sont particulièrement graves, en milieu urbain surtout, dans le cas des enfants appartenant à des familles pauvres. Il faut résister à la tentation de réduire les exigences proprement scolaires. On provoque ainsi des retards qui seront l'une des causes du décrochage au secondaire.
L'approche organique qui est préconisée dans ce document a, on l'aura deviné, encore plus de sens et d'importance au primaire qu'aux autres niveaux.
Le secondaire et ses programmes
Il n'y a pratiquement pas de limites au nombre de sujets d'études au contact desquels on peut acquérir une formation. Les exercices de traduction par exemple, sont aussi formateurs que l'étude d'une science comme la chimie. Il n'empêche qu'on mise surtout sur les sciences, et notamment sur les mathématiques, pour donner une formation. C'est là, de l'aveu même de bien des décrocheurs, une des causes de l'échec de nos écoles secondaires.
Les mathématiques sont ainsi devenues l'instrument de sélection par excellence. C'est là un mal pour les mathématiques, pour l'éducation et pour la société en général. L'une des conséquences de cet état de fait, c'est qu'il existe désormais dans l'ensemble de notre système scolaire deux voies, une forte et une faible, qui ne sont pas désignées comme telles. La voie forte est évidemment celle où les mathématiques dominent. À l'université, les étudiants appartenant à la voie forte ne cachent pas le mépris que leur inspire l'autre voie. Cela crée un climat malsain. On peut être très fort intellectuellement sans avoir la bosse des mathématiques.
(L'une des raisons pour lesquelles les mathématiques sont devenues l'instrument par excellence de sélection, c'est que dans cette discipline il est possible de corriger les travaux avec objectivité. La seule façon d'atteindre une objectivité comparable dans les sciences humaines et les lettres, c'est la correction impersonnelle, laquelle suppose des examens nationaux, ou tout au moins institutionnels.
Or de tels examens n'existent pas au niveau où les choix deviennent irréversibles: le collège.)
On pourrait remédier à ce mal simplement en prenant au sérieux la distinction entre les deux buts de l'école: la formation et la transmission de connaissances utiles. Il n'est, par exemple, nullement nécessaire de savoir résoudre des problèmes d'algèbre complexes pour acquérir les connaissances utiles en mathématiques. Ces dernières se réduisent aux quatre opérations, au calcul des moyennes et des pourcentages, à la règle de trois et au système de coordonnées cartésien.
Ne devraient aller loin en algèbre que ceux qui aiment les mathématiques ou qui, sans les aimer, se sentent en mesure de faire l'effort qu'elles requièrent parce qu'ils veulent poursuivre des études supérieures exigeant une bonne maîtrise de cette matière. Tous les autres pourraient acquérir leur formation au moyen de disciplines plus conformes à leurs goûts et à leurs aptitudes. Tel adolescent vivant à la campagne a quitté l'école après son secondaire III, parce que les sciences qu'on lui proposait étaient trop difficiles pour lui. Cet adolescent par contre aime les plantes. Pourquoi ne lui permettrait-on pas d'acquérir sa formation en étudiant la botanique? Le recours à des clés pour l'identification des plantes exige à la fois un sens aigu de l'observation et une rigueur dans le raisonnement qui se compare à celle dont le programmeur doit faire preuve. On pourrait accorder un diplôme de fin d'études secondaires, qui ne serait pas un diplôme au rabais, à tout étudiant qui, en plus d'avoir acquis les connaissances utiles, la maîtrise de sa langue maternelle et des bases des mathématiques, de la géographie et de l'histoire, aurait atteint un haut niveau de compétence dans au moins deux disciplines formatrices: langues étrangères, anciennes ou modernes, botanique, informatique, sciences humaines ou sciences pures... Les arts, présents non seulement dans les programmes scolaires, mais aussi dans toute la vie de l'école, compléteraient cette formation.
Une école enrichie pour tous
Quand on a supprimé les voies dans les écoles secondaires, dans le but louable de donner la même formation élevée à tous, on n'a pas prévu qu'un grand nombre de parents éprouveraient le besoin d'accroître les chances de réussite de leurs enfants en les inscrivant, soit dans des institutions privées, soit, comme cela allait bientôt devenir possible, dans les écoles internationales de certaines commissions scolaires. Chacun devrait cependant savoir que lorsqu'un trop fort pourcentage des jeunes les plus doués pour l'étude quittent l'école commune pour une école d'élite, l'école commune est condamnée au dépérissement. Le seuil fatidique est atteint lorsque 30% des jeunes choisissent l'école privée ou l'école internationale de préférence à l'école commune. On n'est pas loin de ce seuil au Québec.
Certaines commissions scolaires, celle de Sherbrooke par exemple, ont indiqué la voie à suivre: le programme international y est offert dans une école commune. On a ainsi réintroduit les voies sans le dire. Il faut continuer dans ce sens. L'étudiant le plus faible doit pouvoir bénéficier du climat enrichi par l'étudiant le plus fort. Nous aurions ainsi des écoles enrichies pour tous où chacun pourrait trouver la voie convenant à ses goûts et à ses aptitudes.
Cégeps: la réforme ratée
Cette réforme ajoute un peu de français, supprime un peu de philosophie et d'éducation physique, introduit de la souplesse dans l'enseignement professionnel, mais ne règle aucun des problèmes découlant de l'introduction d'un quatrième niveau entre le secondaire et l'universitaire. Nous ne voyons rien d'essentiel à ajouter à l'analyse d'Yves Mongeau publiée dans le numéro de septembre de L'Agora.
L'enseignement technique
«Même en ce qui a trait à l'enseignement technique, le gouvernement a refusé d'aller jusqu'au bout de sa démarche, ce qui l'aurait amené à procéder à une véritable émancipation de ce secteur d'enseignement. Pour y parvenir il aurait fallu rompre les amarres qui rattachent entre eux les curriculums des programmes préuniversitaires et techniques. Plus encore, l'émancipation de l'enseignement technique aurait exigé un réexamen de l'ensemble de la filière technique, à partir de l'enseignement professionnel offert dans les écoles secondaires, en passant par les programmes techniques du cégep et en explorant la possibilité d'une extension de cette même filière jusqu'à des niveaux de scolarisation de 15e et 16e année. L'occasion était belle de poser les balises d'un parcours cohérent, continu, en formation professionnelle, comme il en existe ailleurs. Elle a été ratée.»
L'éducation aux adultes
Il faut attacher une importance particulière à cette idée d'un parcours continu en formation professionnelle. L'un des aspects positifs de la réforme est la souplesse qui sera désormais possible dans les rapports entre les cégeps et les entreprises. Il conviendrait de pousser encore plus loin la concertation entre les entreprises et les maisons d'enseignement et ce, à tous les niveaux.
Ce secteur est susceptible d'un accroissement considérable dans la mesure où l'idée de formation continue, d'éducation permanente s'impose de plus en plus. Il importe donc que le gouvernement du Québec consacre au secteur des adultes une attention plus grande. Il importe aussi de veiller à ce que le secteur n'échappe pas à la juridiction du Québec par l'intermédiaire de la formation de la main d'oeuvre où le gouvernement fédéral s'est arrogé un rôle démesuré.
L'enseignement préuniversitaire
«En enseignement préuniversitaire, les mesures de renouveau sont si minces qu'on ne peut pratiquement rien en dire. On prétend ouvrir la perspective de programmes collégiaux constituant la première étape d'un cheminement qui conduit par la suite à l'obtention, en trois ans, d'un premier grade universitaire de baccalauréat. Mais cette «perspective stratégique» n'a rien de nouveau puisque c'est elle qui présidait depuis 25 ans à l'établissement des grilles de cours, avec les résultats que l'on sait. Ce qu'une véritable réforme, même modeste, aurait exigé, c'est la mise en place d'un ensemble de règles et de mécanismes d'encadrement qui traduiraient dans la réalité une telle perspective. Ainsi, la nécessité d'une plus grande rigueur dans la définition des programmes préuniversitaires paraît évidente, mais il faudrait que l'autorité ministérielle joue pleinement son rôle, elle qui a toujours eu et continuera d'avoir pleine autorité en cette matière. Or, ce qu'on vient de nous annoncer ne nous permet pas d'entrevoir qu'à l'avenir le ministre exercera plus efficacement ses responsabilités à l'endroit de l'enseignement préuniversitaire. En fait, dans cette prétendue réforme, le secteur préuniversitaire est complètement laissé pour compte.»
«Trop peu réformatrices, la plupart des mesures prises par le gouvernement en vue de renouveler l'enseignement collégial constituent des réaménagements de type bureaucratique. Cela se vérifie notamment à propos de la formation générale, des mécanismes d'évaluation et de l'encadrement général de l'étude et de l'apprentissage. »
L'évaluation au collégial
«Au collégial, le problème de l'évaluation des apprentissages remonte à l'origine même du réseau des cégeps. Au départ, le ministère voulait administrer des examens nationaux à tous les étudiants. Les dirigeants des collèges s'y étant opposés, on en est venu au compromis suivant: le ministère établit les programmes et sanctionne les études en décernant lui-même les diplômes alors que ce sont les établissements qui procèdent à l'évaluation des étudiants. Durant les années 1970, la crédibilité du diplôme commença à être mise en doute. Le ministère institua alors en 1979 une Commission d'évaluation ayant pour mandat d'examiner les politiques institutionnelles d'évaluation et leur mise en oeuvre. Aujourd'hui, un peu plus d'une décennie plus tard, on constate que le problème de la crédibilité des diplômes ne s'est pas résorbé mais aggravé. Que fait le ministère? Il abolit la Commission d'évaluation mise en place en 1979, il en crée une nouvelle dont la mission ressemble à s'y méprendre à celle de l'ancienne: évaluer les politiques institutionnelles d'évaluation des apprentissages et des programmes de même que la mise en oeuvre des divers programmes offerts par un établissement. En matière d'évaluation, on assiste donc, quatorze ans plus tard, à une véritable récidive ministérielle: même approche détournée du problème, même recours à une structure lourde et bureaucratique, même fuite en avant devant le défi que représente la mise en place d'un mécanisme crédible d'évaluation des apprentissages eux-mêmes.»
«Le dilemme est pourtant inéluctable: ou bien on recourt à un système d'accréditation des établissements, et alors on impose aux étudiants des examens communs (pour des raisons d'équité) et externes (pour des raisons de crédibilité.) La mise en place d'un système d'accréditation étant incompatible avec le maintien de la responsabilité ministérielle sur les programmes, le gouvernement a donc écarté cette hypothèse. Mais alors, plutôt que de relever le défi que pose le recours à l'évaluation externe, il a décidé de mandater trois commissaires -enquêteurs qui forment la nouvelle Commission d'évaluation, pour évaluer toute la gamme des moyens mis en oeuvre par un collège pour atteindre ses fins. Plutôt que de mesurer les résultats, on va scruter les manières de faire de chaque établissement. Et pendant que des fonctionnaires analyseront par le menu détail les politiques et procédures internes de chacun des cégeps, la crédibilité du diplôme d'études collégiales continuera de fluctuer à la baisse.»
Nous pourrions aussi nous inspirer de certaines expériences des anciennes facultés des Arts.
À une certaine époque, chaque collège classique avait droit à ses propres examens, du moins aux premiers niveaux. Les nouvelles institutions n'étaient accréditées qu'après cinq ans de probation dans des conditions très précises. La note et les commentaires des correcteurs de l'institution en probation n'étaient pas inscrits sur la copie. À la fin de chaque année, la faculté des Arts exigeait de réviser un certain nombre de copies. La révision était faite par des professeurs appartenant à des institutions déjà accréditées. L'accréditation n'était accordée que si l'écart entre les deux notes était inférieur à 5 %.
Durée des études collégiales et organisation du temps à ce niveau
«La qualité de la formation tient à un ensemble de facteurs. Parmi ceux-ci, on a depuis longtemps reconnu l'importance primordiale des encadrements relatifs à l'organisation des temps d'étude et à l'aménagement des espaces dans lesquels évolue l'étudiant: Sous ces deux rapports, la situation des collèges québécois présente de graves lacunes dont plusieurs ont déjà été identifiées : la durée extrêmement courte de l'année scolaire (un maximum de 160 jours), la division de l'année en deux sessions étanches de 15 semaines chacune, c'est-à-dire 14, le nombre d'étudiants différents qu'un professeur rencontre à chaque session (nombre qui peut dépasser 160) le nombre de cours différents (donnés par des professeurs différents et suivis par des groupes différents) qu'un étudiant doit suivre durant les 60 semaines du programme préuniversitaire (nombre de cours qui peut atteindre 28), la persistance d'horaires comportant des blocs de trois heures consécutives de cours théoriques dans une même matière, l'absence de locaux communautaires propres aux étudiants d'un programme préuniversitaire donné (conséquente à l'absence de structure de programme), etc.»
«Que propose le ministère pour améliorer l'encadrement des activités quotidiennes des étudiants inscrits dans les collèges ? Rien. Il est vrai qu'en ces matières le moindre changement au statu quo risquerait d'entraîner des modifications à l'organisation du travail chez le personnel des collèges. Or, la ministre avait décidé que son renouveau s'implanterait dans le respect des conventions collectives en vigueur.»
Le Forum Option-Jeunesse a eu raison (Le Devoir, juin 1993) de se demander pour qui la réforme a été faite: «Le gouvernement prétend pénaliser financièrement ceux qui abusent du système, et ne visent que les étudiants. Il faut cependant poser la bonne question: pour qui ce système existe-t-il? Dans cette réforme du collégial, deux principes de la Révolution tranquille sont en cause, la gratuité de l'enseignement collégial et la sécurité d'emploi absolue du personnel des collèges. Or le gouvernement a fait le choix de ne s'attaquer qu'aux étudiants.»
On conçoit très bien qu'un ministre de l'éducation veuille maintenir en place les cégeps; ce sont des institutions essentielles au développement intellectuel de plusieurs villes et régions, mais il était et il demeure possible, tout en confirmant l'importance de ces institutions, de les adapter à la réalité et aux défis actuels.
La réforme qu'il faut réussir
La réforme du système collégial pourrait se faire dans le respect des indications données dans le présent document. La réintroduction des voies au niveau secondaire conduit à l'hypothèse d'un niveau collégial où les cours, dits de formation générale, seraient adaptés aux aptitudes de chacun, ce qui veut dire notamment que les cours de philosophie pourraient varier d'un secteur d'enseignement à l'autre, par leur contenu et dans certains cas, par leur quantité.
Il serait plus facile de résoudre enfin le problème de l'évaluation par l'instauration d'un baccalauréat national, qui pourrait s'appeler baccalauréat général dans le cas du secteur général, et baccalauréat technique dans le cas du secteur professionnel.
Un premier cycle universitaire de 4 ans
Un premier cycle universitaire de quatre ans présenterait de grands avantages. Les dédoublements et les chevauchements entre le niveau collégial et le niveau universitaire pourraient être éliminés. Les étudiants québécois qui s'inscrivent dans nos universités n'auraient pas perdu un an par rapport à ceux qui ont terminé un secondaire de six ans dans un autre pays. Les universités pourraient profiter de ce réajustement pour revaloriser la pédagogie. L'une des plaintes le plus souvent entendue de la part des étudiants du premier cycle actuel est que les professeurs, trop tournés vers la recherche dont dépend leur carrière, ne sont pour leurs étudiants ni des maîtres, ni même de bons pédagogues. Il va de soi que les deux premières années d'un tel premier cycle devraient être offertes dans les cégeps actuels, lesquels deviendraient ainsi des foyers de culture encore plus importants dans les régions et les quartiers urbains où leur présence est 'devenue essentielle.
Les grandes écoles
On pourrait également profiter d'une telle réforme pour créer dans chaque université du Québec, au moins une maison de formation générale de haut niveau qui pourrait dans certains cas devenir l'équivalent d'une
grande école française. Une telle maison existe déjà à l'université Concordia sous le nom de
«Liberal Arts College». À une certaine époque, les autorités de ce collège ont craint d'avoir trop de demandes d'étudiants francophones qui ne trouvaient pas dans leurs universités le programme de haut niveau qui correspondait à leurs aspirations.
Administration scolaire
Assurer l'équilibre de la pyramide des âges des enseignants
De nombreuses maisons d'enseignement prestigieuses des États-Unis, le «Dartmouth College» par exemple, ont dans leur constitution une règle qui oblige les directeurs à maintenir la pyramide des âges des enseignants en équilibre. Sans faire, un absolu d'une telle règle, nous aurions intérêt à nous en inspirer. Parce qu'elle' est une pratique, la pédagogie ne progresse que par des échanges constants entre les professeurs expérimentés et les débutants. Une juste répartition des âges favorise ces échanges.
Accorder la priorité au personnel qui est directement au service de l'enfant
Dans l'administration scolaire, il faut avoir comme premier objectif, jusqu'à l'obsession, qu'une part croissante des ressources puisse être affectée au paiement du personnel qui est directement au service des enfants. Dans le secteur privé, une équipe d'une dizaine de personnes assure le fonctionnement d'un réseau touchant environ 75,000 élèves. Le ratio dans ce cas est de un employé pour 7,500 élèves. Dans certaines commissions scolaires le même ratio est près de cent fois plus élevé. Dans certains pays scandinaves comparables au Québec, comme le Danemark, il y a cent fois moins de fonctionnaires qu'ici et deux fois plus de professeurs.
Il est vrai que les commissions scolaires ont des responsabilités que n'ont pas les réseaux d'institutions privées.On éliminerait une partie de ces responsabilités en ramenant l'école à sa mission propre.
Respecter le principe de subsidiarité
Le principe de subsidiarité doit s'appliquer en éducation comme dans l'ensemble du secteur public. Dans le respect des fins définies par l'État central, les régions et les municipalités, via les commissions scolaires, ou à titre expérimental directement, devraient assumer plus de responsabilités, compte tenu de ce qui été dit précédemment sur les moyens de combattre le décrochage.
Chaque commission scolaire, chaque école même devrait être autorisée à adapter le contenu aux besoins de jeunes qui quitteraient l'école s'ils étaient contraints de suivre intégralement les programmes communs. Une telle libéralisation régionalisée, à condition qu'elle soit bien contrôlée, rendrait possible une foule d'expériences d'où pourraient émerger des solutions modèles. Les institutions régionales existent déjà. Il suffirait de leur donner un peu plus d'importance.
Chaque commission scolaire, chaque école même devrait être autorisée à adapter le contenu aux besoins de jeunes qui quitteraient l'école s'ils étaient contraints de suivre intégralement les programmes communs. Une telle libéralisation régionalisée, – à condition qu'elle soit bien contrôlée, rendrait possible une foule d'expériences d'où pourraient émerger des solutions modèles. Les institutions régionales existent déjà. Il suffirait de leur donner un peu plus d'importance.
Le libre accès aux examens
L'école est la voie royale pour accéder à des connaissances et à une formation sanctionnées par un examen; elle n'est pas la voie unique. Il ne suffit pas de se rendre à cette évidence, en se promettant bien de n'en tirer aucune conséquence dérangeante. Dans la formation des adultes en particulier, il faut favoriser systématiquement l'apprentissage individuel et l'accès direct à des examens. Pourquoi payer des professeurs pour surveiller des étudiants, pourquoi contraindre ces derniers à faire acte de présence dans une salle de cours, quand ils pourraient, en réussissant un examen, prouver qu'ils ont progressé de façon satisfaisante?
Des réformes continues
On se fait progressivement à l'idée qu'il faudra étudier toute la vie. Pour les mêmes raisons, il faut se faire à l'idée que le système d'éducation doit être réformé de façon continue. En raison des ajustements mineurs qui s'imposeront constamment, il faudra veiller sur la stabilité du système dans ce qu'il a de fondamental.