Jean-Claude Guillebaud reprend ici un thème cher à
Michel Serres.
La difficile conjugaison de «moi» et du «nous» se trouve possiblement enrichie par ce principe de connexion universelle. Elle n'est ni tranchée ni résolue pour autant. Elle est enrichie dans la mesure où la cyberculture rend plus praticable ce que ses défenseurs les plus acharnés appellent l' «intelligence collective», c'est-à-dire la possibilité de mettre immédiatement en synergie une infinité de talents, de savoirs, de perspicacités ou de créativités différentes. Et cela sans limitation de lieu, de langue, ni de distance; sans même l'épaisseur encombrante de la matérialité. Idéalement, en effet, d'innombrables cybernautes peuvent concourir à la création d'une oeuvre sans auteur dénommé comme le fut la Bible ou les cathédrales, mais dont la réalisation dépasse de beaucoup les capacités d'un seul. Ils disposent ou disposeront à court terme d'un accès possible à la totalité des données humaines, grâce à ce qu'on appelle la «déterritoralisation» du concept de bibliothèque. Celle-ci ouvrirait la voie à un type nouveau de relation à la connaissance, une forme inédite d'encyclopédisme, portées non plus par des «savants» au sens ancien du terme mais par des «collectivités humaines vivantes».