Les humoristes, serviteurs zélés de la société marchande
L'année dernière, François L'Yvonnet a publié un petit livre (1) pour dénoncer la nouvelle hégémonie des humoristes, devenus les « maîtres à penser » d'une époque qui n'a plus vraiment de pensée. Il rejoignait en cela des intellos (dirait-on à la télé) comme Bernard Stiegler ou Alain Finkielkraut. L'Yvonnet ne contestait pas seulement la toute-puissance des humoristes, il leur reprochait de se grimer en courageux « dissidents » alors même qu'ils sont les serviteurs zélés de la société marchande. En vérité, nos rigolos de service sont autant crédibles en transgresseurs héroïques qu'un acteur du Châtelet déguisé en hallebardier pour la séance du soir. Le pire est l'effet dévastateur de ces logiques au sein même des équipes de radio ou de télévision quand il s'agit de courir l'Audimat. Là où les efforts de toute une rédaction peinent à requinquer l'audience, une heure de calembredaines y suffit. La musique, la culture, le reportage : oui, d'accord, très bien, mais d'abord les farceurs, les chiffres sont là, coco…
Au total, cette bêtise omniprésente n'est pas si rigolote. Poussée à ses limites, elle prépare le terrain aux futures et cyniques trahisons. Comme disait Bernanos, en septembre 1946, dans sa « Lettre aux Anglais », elle encourage les « lâches dans leur ruée vers la servitude ».
(1) « Homo comicus ou L'intégrisme de la rigolade », de François L'Yvonnet, éd. Mille et Une Nuits, 80 p., 9 €.
Jean-Claude Guillebaud, "La société des railleurs", Sud Ouest, 17 mars 2013