Paradoxe de la gloire

André Suarès
Qu'est-ce enfin que cette gloire, qu'on préfére à la vie? Si vivante que la vie même l'est moins qu'elle. Pour la gloire, on vit dans les tourments; et l'on meurt pour la gloire. Sur la promesse d'une récompense, qu'on est peut-être seul à se faire, on consent à tous les sacrifices; on abandonne tous ses avantages pour une victoire non certaine. On jeûne tout son siècle, dans l'espoir d'un festin unique, où l'on ne sera pas: car, fût-on bien sûr de la table magnifiquement servie, on est plus sûr encore de n'y jamais prendre place...

Admirable détour: la vraie gloire, qui dépend d'autrui, comme le succès ou la fausse, distingue entre ceux qui dispensent l'une et l'autre. Elle méprise le succès, ayant trop de raisons, là, sous les yeux, de mépriser ceux qui en disposent. Elle renvoie, pour elle-même, aux temps à venir, où les juges sont dignes de juger, sans envie, sans haine, sans bassesse. Je ne voudrais par rire de cette naïveté. Il est trop vrai qu'on n'a point de bons juges, parmi les vivants, et tant qu'on vit: car ils n'aiment qu'eux. Pour être aimé des vivants, et glorieux dans leur opinion, il faut donc, pour le moins, qu'on ait cessé de vivre. Quand on en vaut la peine, on ne vit guère qu'avec des ennemis.

Que de prises au destin, quand l'instinct de la gloire s'en mêle! Et toutes, dans l'angoisse. Et même dans le plus profond dégoût, elle entretient l'espérance. Elle est le soleil du grand silence. Ah, la chienne de gloire!

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