Gloire
Une intéressante définition proposée par un dictionnaire français du 19e siècle
"Qu’est-ce donc la gloire, cet attribut de la divinité, que l’homme a voulu rapetisser à sa taille mortelle, elle, dont la majesté et la durée n’a point de limites? Consiste-t-elle seulement dans un concert unanime d’estime et de louanges, ainsi que le dit le Dictionnaire de l’Académie? Ou bien est-ce quelque chose de plus indéfinissable? La gloire est plus que de la célébrité; car la célébrité est éphémère, contestable, et s’attache aux bonnes comme aux mauvaises actions; et la gloire, qui serait passagère, contestable, ou établie sur des bases contraires à la morale, cesserait de porter ce beau nom; la gloire est plus qu’un concert de louanges et d’estime, qu’une admiration enthousiaste, car elle pourrait alors être l’ouvrage d’une camaraderie adulatrice. La gloire d’un citoyen, c’est-à-dire cette renommée inattaquable qui donne durant des siècles une puissance prodigieuse et un noble retentissement à son nom, doit être pure et brillante comme le disque du soleil : que l’œil y découvre une tache, quelque minime qu’elle soit, et tout son prestige tombe soudainement; elle a cessé d’exister dès ce moment. Où se trouve donc ce mobile puissant, dont le nom a tant de fois été blasphémé? Dirons-nous, avec le savant, qu’elle est dans une science étroite; avec le poète, qu’elle est dans ses vers; avec l’artiste, qu’elle est sur la toile, ou dans la pierre, qu’il a animée; avec le navigateur, qu’elle est dans ces découvertes qui ont transporté sur d’autres continents les vices de notre civilisation? Dirons-nous avec les guerriers et les conquérants qu’elle est dans le sang qu’ils ont vainement répandu? Aucun d’eux n’y atteint cependant; car, ainsi que la fortune, la gloire accompagne rarement la mémoire de ceux qui ont usé leur vie à la chercher, et elle vient s’asseoir dans la tombe modeste de celui qui l’a fuie. Sanction de toutes les vertus utiles, de toutes les actions désintéressées, qui ont signalé un citoyen à la postérité, la gloire individuelle ne saurait être renfermée dans la ville, dans le pays qui lui a donné le jour : elle est cosmopolite. Aussi est-il peu de mots que l’on devrait être plus jaloux d’appliquer à propos, car c’est prostituer la gloire que de la prodiguer.
On conçoit dans combien de cœurs l’amour de la gloire a dû germer, ne fût-elle, comme tant l’ont dit, qu’une illusion d’autant plus chère qu’elle est plus insaisissable. Malheur à qui n’y a pas rêvé une fois dans sa vie! Car son âme est sèche et égoïste; malheur aussi à qui s’est complu à la rêver sans cesse! Car chez lui ce beau mobile de toutes les grandes choses a dégénéré en ambition : ce nom troublera sans relâche son bonheur. C’est presque toujours un excessif désir de gloire qui a engendré tous les fanatismes; et les partis, il faut l’avouer, n’ont pas peu contribué à lui enlever son éclat en s’en faisant les distributeurs. Qu’on ne pense pas, d’après ce que nous venons de dire, que la gloire ne puisse être l’apanage que de quelques hommes privilégiés : elle est aussi la récompense de peuples entiers. Leurs succès dans les batailles, leur moralité dans la paix, leurs progrès dans les sciences et les arts, constituent en leur faveur une gloire qui est pour une nation ce qu’est l’honneur pour un particulier.
Gloire se prend quelquefois pour l’honneur et les hommages que l’on rend à Dieu, pour la béatitude céleste dont on jouit dans le paradis. Cette gloire aérienne a été représentée par les peintres et par les sculpteurs. Les premiers ont appelé gloire la représentation du ciel ouvert, avec les êtres divins, les anges et les saints; les derniers ont donné ce nom à un assemblage de rayons divergents, entourés de nuages, et au centre desquels on aperçoit un triangle, symbole de la Trinité.
Enfin, les machinistes des théâtres ont désigné ainsi une machine suspendue, entourée de nuages, sur laquelle se placent les acteurs qui doivent monter aux cieux, ou en descendre. Ces gloires massives s’enlèvent ou s’abaissent à l’aide de contre-poids."
William Duckett (dir.), Dictionnaire de la conversation et de la lecture: inventaire raisonné des notions générales les plus indispensables à tous. Tome dixième. Paris, Firmin Didot, frères, fils, 1859, p. 341-342.