Eros déchu
Ce passage est tiré d'un texte, les Homélies pseudo-clémentines, dont l'auteur, appelé Clément, réunit les traits de Clément de Rome et de Flavius Clemens, membre de la famille impériale. Clément, un chrétien, donne d'abord la parole au grammairien Apion, lequel défend l'adultère en s'appuyant sur une tradition plaçant le dieu Éros au-dessus du bien et du mal. Donnant ensuite la parole à une philosophe qui est son alter ego, il réduit Éros au désir physique et enseigne une sagesse qui consiste à dominer ce désir.
Source: un article de Dominique Côté intitulé : La figure d'Eros dans les homélies pseudo-clémentines, p. 135 à 165., faisant partie de l'ouvrage collectif présenté ailleurs dans ce document.
Un Éros «biologique»
Puisque le désir d'amour survient pour des raisons de succession et de propagation légitime 119...
Éros n'est donc pas un dieu. Il n'a rien du δυνατός θεός qui menace de sa colère tous ceux qui oseraient résister à ses ordres 120. Il n'est que le «désir qui surgit du tempérament de tout être vivant pour assurer la propagation de la vie, selon la providence de celui qui produit toutes choses 121». Une έπιθυμία, voilà tout ce qui reste du plus ancien des dieux, une pulsion qui obéit à la providence divine dans le seul but d'assurer la propagation de la vie. Bien entendu, la nature fondamentalement utilitaire du désir n'exclut pas toute possibilité de plaisir. Mais, s'il arrive que le plaisir accompagne le processus de reproduction, c'est que la providence a voulu que l'exercice puisse se faire προφάσει ήδονής, c'est-à-dire, sous le prétexte du plaisir 122. Le plaisir n'a ici aucune consistance en lui-même et n'est certainement pas «cette grande jouissance parmi les hommes» que célèbre Apion 123!
Un Éros conjugal et légitime
Éros n'est pas un dieu, mais un désir qui surgit ... pour assurer la transmission de la vie ... afin que sorte un être nouveau, né d'un légitime mariage, de manière à connaître son père et à le nourrir dans sa vieillesse, ce que ne sauraient faire les enfants nés de l'adultère 124.
Si le désir s'avère indispensable à la transmission de la vie, le νσμιμος γάμος s'avère tout autant indispensable au désir pour que le processus s'accomplisse de manière utile. Les lois qui interdisent l'adultère, au-dessus desquelles le grammairien plaçait le dieu Éros, doivent donc, au contraire, dominer et freiner le désir. «Il faut, explique la philosophe, que les parents rappellent fermement à leurs enfants les châtiments qui découlent des lois pour que ceux-ci se servent de la crainte comme d'un frein et ne s'empressent pas vers les plaisirs insensés 125». La σωφροσύνη, la maîtrise des passions, s'acquiert ainsi dans la crainte du jugement. Autrement, «pareil à un feu bien nourri en bois 126», un feu inextinguible, le désir que l'on satisfait sans se soucier de son cadre légitime ravage tout sur son passage. Seule la crainte du jugement peut venir à bout d'un tel fléau: «en fait, tout comme l'eau éteint le feu, de même la crainte éteint le désir déraisonnable 127».
Notes
119. H V 25, 1: έπεί ούν διαδοχής ένεκεν καί γνησίας έπανξήσεως… ή έπιθυμία συμβαίνει ή έρωτική…
120. H V 24, 4: «En outre, tu me menaces de la colère d'un dieu puissant. Éros n'est pas le dieu qu'il paraît [...]» = πρός τούτοις δέ μοι ˝Ερωτος ώς δυνατοΰ θεοΰ άπειλείς χόλον. ˝Ερως θεός οΰκ έστιν οίσς δοκεί.
121. H V 24, 5: τής τού ζώου κράσεως πρός διαδοχήν τού βίου πρόνοιαν τού τα πάντα ένεργήσαντος συμβαίνουσα έπιθυμία.
122. Ibid.
123. H V 17, 5: ή μεγάλη έν άνθρώποις άπόλαυσις.
124. H V 24, 5-6 (trad. A. Siouville): Ερως θεός ούκ έστιν οίος δοκει, άλλ΄ έκ τής τού ζώου κράσεως πρός διαδοχήν τού βίου κατά πρόνοιαν τού τά πάντα ένεργήσαντος ουμβαίνουσα έπιθυμία, ϊνα τό πάν γένος μηδεπώποτε έπιλείπη, άλλ΄ προφάσει ήδονής έκ τής τού μέλλοντος τελευτάν ούσίας πάλιν άλλος γένηται, νομίμω προεκπεφυπώς γάμω, όπως πρός τό γηροτροφείν τόν αύτού πατέρα γνώση· όπερ ποιείν οί έκ μοιχείας γεγονότες ούκ άν έδύναντο.
125. H V 25, 2: πρός τούτοις δέ πυκνώς αύτούς τάς κολάσεις ύπομιμνήσκειν τάς έκ τών νόμων, ϊνα ώσπερ χαλινώ τώ φόβω χρώμενοι ταίς άτόποις μή, συντρέχουσιν ήδοναί.
126. H V 26, 2: ώσπερ τό πύρ τής ϋλης εύπορούν.
127. H V 26, 3: ώς γάρ ϋδωρ πύρ κατασβέννυσιν, οϋτως, καί φόβος τή άλόγου έπιθυμία.