La double ignorance
« La vieille ignorance se meurt. L'on côtoie de moins en moins de ces hommes qui savent peu et ne sont pas séparés de la réalité, ayant conservé, par un métier, par des relations humaines stables, par des expériences qu'aucun prisme idéologique n'a galvaudées, une prise directe et probe sur les choses. Au contraire la double ignorance pullule: ce savoir tronqué, alliage de prétention et d'ivresse, d'irresponsabilité et de vertige.
Notre conception de la culture, si superficielle, si extérieure à la personne, néglige notre besoin d'une terre humaine riche et féconde, strates successives d'habitudes morales, conscientes et inconscientes, léguées, transmises et perfectionnées dans lesquelles l'individu s'enracine et trouve une nourriture pour sa croissance. Si cet humus vient à manquer, le mécanique prend la place du vivant: la culture ressemble alors à un vaste entrepôt où verbiages et divagations s'entassent, instruments d'une fuite loin de nous-mêmes et des choses. »