La Venise de Byron et la Venise des romantiques
La Venise de Byron : Childe Harold pleure sur la décadence de Venise, qu’il reproche à l’Europe, mais dont il fait honte aux Vénitiens, qui, selon lui, accepte avec trop de résignation, leur esclavage. Le passé de Venise est magnifiquement ressuscité dans Marino Faliero et dans Les deux Foscari. Mais, le plus beau, le plus romantique des poèmes de Byron est peut-être son séjour à Venise, qui, comme tout ce qui touchait Byron, a piqué de la façon la plus vive la curiosité de nos romantiques (V. Estève, Byron et le romantisme français, 1907).
C’est le séjour de Byron à Venise qui a fait de Venise un lieu de pèlerinage romantique. Alfred de Musset, Brizeux, A. Houssaye, Louise Colet, Michelet, Quinet, sont allés à Venise, et nous ont raconté leur voyage. Tous ont été hantés par le souvenir de Byron.
Brizeux, Cas. Delavigne, Ed. d’Anglemont, J.-J. Ampère, Roger de Beauvoir, Aug. Barbier, dans leurs odes ou leurs poèmes, évoquent Venise. S’ils ne parlent presque jamais de Byron, ils imitent et amplifient les thèmes de Childe-Harold, de l’Ode à Venise, de Marino Faliero, des Deux Foscari; ils composent surtout des méditations sur la grandeur et la décadence des empires.
Un roman d’Alph. Royer, avec deux vignettes de C. Nanteuil: Venezia la bella (1834), réunit en une vue d’ensemble toutes les images de Venise dont s’enchantait le romantisme.
L’originalité de nos romantiques en face de Byron se trouve dans leur culte de l’art vénitien (peinture et architecture). Chez eux le thème se dégage de l’histoire pour devenir une méditation esthétique.
La Venise de Musset, avant le voyage du poète à Venise, s’inspire de celle de Byron; mais Musset a eu recours aussi, dans la suite, aux Mémoires de J. Casanova (Contes d’Italie, Marrons du feu), à Shakespeare; et sa Venise est la patrie irréelle de la jeunesse, de l’amour (Le Fils du Titien).
George Sand a vu Venise en 1834. Ses Lettres d’un voyageur (avril-mai 1834), écrites après le départ de Musset, sont pleines d’un réalisme coloré et fin, de lyrisme et d’harmonie.
Mais, dans ses romans postérieurs, en particulier L’Uscoque, pastiche du Corsaire (L’Uscoque, roman vénitien de 1858), elle laisse ses réminiscences de Byron prendre le pas sur ses souvenirs.
Chateaubriand, lui, avait vu Venise en 1806; à cette date, elle ne lui avait pas plu; en 1833, cédant à la mode, il la revoit, l’admire et lui consacre des pages lyriques dans ses Mémoires. Comme Byron, il pleure la décadence de Venise, mais il trouve, dans cette décadence, un certain charme; la morbidité de Barrès est déjà en germe chez lui.
Plus tard, Gautier, Taine ont adoré Venise comme des poètes et l’ont étudiée comme des archéologues. Quant à Barrès, il a fait la métaphysique de Venise.
La place d’honneur parmi tous les Romantiques revient à Byron, parce qu’il a, le premier, reconnu que Venise était le lieu le plus favorable à la libre et totale expansion de l’individu. Tous, après lui, par des voies différentes, ont cherché la même chose.
Analysé d’après Lucien Cattan, Revue de littérature comparée, janvier-mars 1925.