Né à Paris le 21 novembre 1694, François Marie Arouet a été élevé, après le décès de sa mère lorsqu’il eut neuf ans, par l’abbé de Châteauneuf, oncle libertin. En 1704, il entre au collège Louis-le-Grand, tenu par les jésuites. Dès 1714, il commence à signer Voltaire. Pendant une quinzaine d’années, il se lance dans la vie mondaine et dans les voyages en Belgique, aux Pays-Bas et en Angleterre. La publication des Lettres philosophiques (1734) expose Voltaire à la menace d’une arrestation. Il se réfugie chez son amie Madame du Châtelet à Cirey en Lorraine. En 1740, il rencontre pour la première fois Frédéric ii de Prusse à Clèves auprès de qui il accomplira des missions officieuses et dans la proximité de qui il séjournera à plusieurs reprises. À ce «despote éclairé», il offre la primeur de sa tragédie Le fanatisme ou Mahomet le prophète. En 1753, l’auteur de Zaïre et de Zadig quittera définitivement Berlin, les relations avec l’empereur étant au point mort. Il réside un an à Colmar puis à Genève, pour s’installer définitivement, en 1759, sur la terre de Ferney dans le pays de Gex, non loin de Genève, où il écrit quelques-unes de ses grandes œuvres, Candide, le Traité sur la tolérance, Dictionnaire philosophique portatif ainsi que plusieurs contes et d’innombrables lettres. En 1778, il se rend à Paris pour y présenter sa dernière pièce, Irène. Il est déjà très malade et quelques semaines plus tard, le 30 mai, il meurt en déclarant: «Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes ennemis, en détestant la superstition.» Outre son aspect dramatique, l’œuvre de Voltaire est éminemment éthique: «Pour Voltaire, la philosophie relève moins de la spéculation théorique que d’un militantisme de la raison. La tâche du philosophe est de lutter pour plus de justice, plus de liberté face aux pouvoirs, moins de guerres (le pacifisme a incontestablement des racines voltairiennes). Cette tâche s’inscrit dans ce monde, ce chaos d’absurdités et d’horreurs, la philosophie seule peut lui conférer un peu “d’humanité”» (D. Huisman et M.-A. Malfray, Les pages les plus célèbres de la philosophie occidentale, p. 222). Ainsi, en 1755, le tremblement de terre de Lisbonne, qui fit périr près de cinquante mille personnes, porte Voltaire, penseur de la condition humaine, à décrire les limites du pouvoir de l’esprit humain devant le mystère de tant de souffrances et de mort. Il écrit: «On a besoin d’un Dieu qui parle au genre humain./Il n’appartient qu’à lui d’expliquer son ouvrage […]./ L’homme, étranger à soi, de l’homme est ignoré./Qui suis-je, où suis-je, où vais-je, et d’où je suis tiré? […]/Le passé n’est pour nous qu’un triste souvenir./Le présent est affreux, s’il n’est point d’avenir./Si la nuit du tombeau détruit l’être qui pense,/Un jour tout sera bien, voilà notre espérance./Tout est bien aujourd’hui, voilà l’illusion» (Poème sur le désastre de Lisbonne ou Examen de cet axiome « tout est bien », Athena :Voltaire, Lisbonne, Christine Rossi, http//hypo.ge-dip.etat-ge.ch)
D’après Bayet*, Voltaire «est de tous les écrivains du siècle celui qui donne à la morale nuancée la forme la moins systématique, l’air le plus séduisant» (Le suicide et la morale, p. 656). Il se garde bien de faire l’apologie du suicide ou d’en faire un drame. Il en parle de façon décontractée et humoristique, comme dans le cas d’une jeune fille «à qui les jésuites avaient tourné la tête et qui, pour se défaire d’eux, était allée dans l’autre monde… C’est un parti que je ne prendrai pas, du moins sitôt, par la raison que je me suis fait des rentes viagères sur deux souverains et que je serais inconsolable si ma mort enrichissait deux têtes couronnées» (lettre du 3 mars 1754 à la marquise du Deffand). Le suicide des jeunes filles, qui se noient ou se pendent par amour, semble avoir été fréquent dans son temps. Il leur conseille «d’écouter l’espérance du changement, qui est aussi commun en amour qu’en affaires». D’après lui, la cause de la plupart des suicides se trouve dans l’oisiveté, car, dit-il, «le laboureur n’a pas le temps d’être mélancolique, ce sont des oisifs qui se tuent […] le remède serait un peu d’exercice, de la musique, la chasse, la comédie, une femme aimable». se moque de la lettre de Saint-Preux dans La nouvelle Héloïse de Rousseau*: «Ses instructions sont admirables. Il propose d’abord de nous tuer; et il prétend que saint Augustin* est le premier qui a jamais imaginé qu’il n’était pas bien de se donner la mort. Dès qu’on s’ennuie, selon lui, il faut mourir. Mais, maître Jean-Jacques, c’est bien pis quand on ennuie! Que faut-il faire alors? Réponds-moi. Si on t’en croyait, tout le petit peuple de Paris prendrait vite congé de ce monde» (Mélanges, Paris, Gallimard, « Pléiade », 1961, p. 404).
Voltaire ne condamne pas pour autant le suicide, qui est souvent la suite d’une maladie mentale* ou physique. Le mal peut être héréditaire: «Que la nature dispose tellement les organes de toute une race qu’à un certain âge* tous ceux de cette famille auront la passion de se tuer, c’est un problème que toute la sagacité des anatomistes les plus attentifs ne peut résoudre. L’effet est certainement tout physique, mais c’est la physique occulte.» Voltaire s’exprime en termes de passion et d’occulte pour bien indiquer l’aspect irrationnel et mystérieux du geste suicidaire. La dimension occulte du suicide renvoie à l’agnosticisme qui caractérise Voltaire, notamment en ce qui regarde la mort. Ainsi, face aux cas concrets dont il a été témoin, il a préféré la discrétion et le silence: «Je ne veux point éplucher les motifs de mon ancien préfet, le père Benassès, jésuite, qui nous dit adieu le soir et qui, le lendemain matin, après avoir dit sa messe et avoir cacheté quelques lettres, se précipita du troisième étage. Chacun a ses raisons dans sa conduite» («Suicide ou homicide de soi-même», Dictionnaire philosophique, cité par A. Bayet, ibid., p. 658. À l’Anglais qui lui fit parvenir «une lettre circulaire par laquelle il proposait un prix à celui qui prouverait le mieux qu’il faut se tuer dans l’occasion», il ne répondit point. «Je n’avais rien à lui prouver: il n’avait qu’à examiner s’il aimait mieux la mort que la vie» («De Caton et du suicide», cité par A. Bayet, p. 658.
Le suicide n’est pas contraire à la religion, car «ni l’Ancien Testament ni le Nouveau n’ont jamais défendu à l’homme de sortir de la vie quand il ne peut plus la supporter» («Du suicide ou homicide de soi-même», Dictionnaire philosophique, cité par A. Bayet, p. 657). Quant au droit, «aucune loi romaine n’a condamné le meurtre de soi-même». Du point de vue éthique, voici quelques réflexions de Voltaire: «Si le suicide fait tort à la société, je demande si ces homicides volontaires et légitimés par toutes les lois, qui se commettent dans la guerre ne font pas un peu plus de tort au genre humain» (note sur l’acte v d’Olympie, cité par G. Minois, Histoire du suicide, p. 273) «Philosophiquement parlant, quel tort fait à la société un homme qui la quitte quand il ne peut plus la servir? Un vieillard a la pierre et souffre des douleurs insupportables; on lui dit: “Si vous ne vous faites tailler, vous allez mourir; si l’on vous taille, vous pourrez encore radoter, baver et traîner pendant un an, à charge à vous-même et aux vôtres.” Je suppose que le bonhomme prenne alors le parti de n’être plus à charge à personne; voilà à peu près le cas que Montaigne* expose» («Remarques sur la pensée de Pascal», dans Lettres philosophiques, ibid., p. 273)); «La République se passera de moi comme elle s’en est passée avant ma naissance» (Prix de la justice et de l’humanité, art. v , ibid., p. 273). Il peut difficilement justifier que l’on poursuive une vie devenue insupportable. C’est, en tout cas, ce qu’il semble vouloir exprimer à travers les paroles de la vieille dans Candide: «J’ai voulu cent fois me tuer, mais j’aimais encore la vie. Cette faiblesse ridicule est peut-être un de nos penchants les plus funestes. Car y a-t-il rien de plus sot que de vouloir porter continuellement un fardeau qu’on voudrait toujours jeter par terre?» (ibid., p. 270) Pourtant, Voltaire aime trop la vie pour la quitter. «Son principal stimulant, c’est l’ironie et le sarcasme, la volonté de dénoncer l’odieuse farce qu’est l’histoire du monde» (G. Minois, ibid., p. 269). Il exhorte aussi ses amis à préférer la vie à la mort, car le suicide est pour lui une forme d’inadaptation sociale: «Ce n’est pas aux gens aimables de se tuer, cela n’appartient qu’aux esprits insociables comme Caton*, Brutus* […], mais pour des gens de bonne compagnie, il faut qu’ils vivent» (lettre à Crawford (ibid., p. 272)
À l’instar de beaucoup d’auteurs de l’Antiquité et du siècle des Lumières, Voltaire semble pourtant admirer le suicide de Caton, «l’éternel honneur de Rome»: «Il paraît qu’il y a quelque ridicule à dire que Caton se tua par faiblesse. Il faut une âme forte pour surmonter ainsi l’instinct le plus puissant de la nature. Cette force est quelquefois celle d’un frénétique, mais un frénétique n’est pas faible.» Quelques beaux esprits prétendent «que Caton fit une action de poltron en se tuant, et qu’il y aurait eu bien plus de grandeur d’âme à ramper sous César. Cela est bon dans une ode ou dans une figure de rhétorique.» (« De Caton et du suicide », cité par A. Bayet, p. 658) Voltaire doute fort si les suicidés sont tant à plaindre, comme l’entendit Virgile*. On a parfois affirmé que les vertus des stoïciens n’étaient que des péchés illustres. Or, Voltaire souhaite que la terre puisse «être couverte de tels coupables» (Le philosophe ignorant, XLV, cité par A. Bayet, p. 659). À Élie de Beaumont, avocat et jurisconsulte, il écrit au sujet du suicide des amants de Lyon*: «Cela est plus fort qu’Arria* et Pétus» (Lettre du 30 juillet 1770, cité par A.Bayet, p. 658).
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