Rolla, long poème de 784 vers, obtint un succès considérable. Musset y conte l'histoire de Jacques Rolla, le plus grand débauché de Paris, ville du monde «où le libertinage est à meilleur marché». L'écrivain en profite pour régler ses comptes avec les philosophes du siècle précédent qu'il accuse d'avoir hâté la disparition de la foi et l'avènement de la volupté sans amour et d'être ainsi les responsables du désespoir sans fond qui explique l'époque et ses infamies. On retrouve les grands thèmes qui resteront chers au poète : le tragique et continu affrontement ambigu entre pureté et corruption; la situation pathétique de Marion (Marie), l'enfant du siècle abandonné des dieux et sans autre raison de vivre que la quête d'une illusoire beauté. À travers Rolla, Musset tente, non sans une certaine grandiloquence, le portrait d'une génération empêtrée dans ses contradictions et qui finit par croire que, le bonheur devenu impossible, il ne reste que l'ivresse ou le suicide.
Encyclopédie Larousse, «Alfred de Musset»
http://www.larousse.fr/encyclopedie/litterature/Musset/175529
Paul de Musset, Biographie de Alfred de Musset : sa vie et ses œuvres, G. Charpentier, 1877, p. 18.
Encyclopédie Larousse, «Alfred de Musset»
http://www.larousse.fr/encyclopedie/litterature/Musset/175529
Paul de Musset, Biographie de Alfred de Musset : sa vie et ses œuvres, G. Charpentier, 1877, p. 18.
EXTRAITS
Marie en souriant regarda son miroir.
Mais elle y vit Rolla si pâle derrière elle,
Qu'elle en resta muette et plus pâle que lui.
«Ah ! dit-elle, en tremblant, qu'avez-vous aujourd'hui?
-Ce que j'ai ? dit Rolla, tu ne sais pas, ma belle,
Que je suis ruiné depuis hier au soir?
C'est pour te dire adieu que je venais te voir.
Tout le monde le sait, il faut que je me tue.
-Vous avez donc joué?-Non, je suis ruiné.
-Ruiné ?» dit Marie. Et, comme une statue,
Elle fixait à terre un grand œil étonné.
«Ruiné? ruiné ? vous n'avez pas de mère ?
Pas d'amis ? de parents ? personne sur la terre ?
Vous voulez vous tuer? pourquoi vous tuez-vous?»
Elle se retourna sur le bord de sa couche !
Jamais son doux regard n'avait été si doux.
Deux ou trois questions flottèrent sur sa bouche;
- Mais, n'osant pas les faire, elle s'en vint poser
Sa tête sur la sienne et lui prit un baiser.
Je voudrais pourtant bien te faire une demande,
Murmura-t-elle enfin: moi je n'ai pas d'argent,
Et, sitôt que j'en ai, ma mère me le prend.
Mais j'ai mon collier d'or, veux-tu que je le vende?
Tu prendras ce qu'il vaut, et tu l'iras jouer.
Rolla lui répondit par un léger sourire.
Il prit un flacon noir qu'il vida sans rien dire;
Puis, se penchant sur elle, il baisa son collier.
Quand elle souleva sa tête appesantie,
Ce n'était déjà plus qu'un être inanimé.
Dans ce chaste baiser son âme était partie,
Et, pendant un moment, tous deux avaient aimé.
Alfred de Musset, Rolla V
http://www.poeme-amour.org/de-musset/13_39_1400.html
Tout le quatrième chant de Rolla cherche à culpabiliser Voltaire et le rendre responsable de la crise morale et du déclin spirituel de son siècle : «Dors-tu content, Voltaire, et ton hideux sourire voltige-t-il toujours sur tes os décharnés?» (Rolla IV)
Et : «Voilà pourtant ton oeuvre, Arouet, voilà l'homme Tel que tu l'as voulu...»
Vois-tu, vieil Arouet? cet homme plein de vie,
Qui de baisers ardents couvre ce sein si beau,
Sera couché demain dans un étroit tombeau.
Jetterais-tu sur lui quelques regards d'envie?
Sois tranquille, il t'a lu. Rien ne peut lui donner
Ni consolation ni lueur d'espérance.
Si l'incrédulité devient une science,
On parlera de Jacques, et, sans la profaner,
Dans ta tombe, ce soir, tu pourrais l'emmener.
(Rolla IV, op.cit.)
Le «C'est la faute à Voltaire», que Gavroche lance à la figure de Gillenormand, le bourgeois voltairien, dans sa chanson des Misérables, n'a rien de la cruauté de la charge de Musset contre Voltaire. Victor Hugo est celui qui réhabilite Voltaire pleinement dans son discours pour le centenaire de la naissance de Voltaire en 1878. (Véronique DuLys, «Voltaire [1694-1778]. Un génie français?» dans Cinq siècles de pensée française. Ouvrage coordonné par Nicolas Journet, Éditions Sciences Humaines, «La Petite Bibliothèque de Sciences Humaines», 2010, p. 29-35)
Marie en souriant regarda son miroir.
Mais elle y vit Rolla si pâle derrière elle,
Qu'elle en resta muette et plus pâle que lui.
«Ah ! dit-elle, en tremblant, qu'avez-vous aujourd'hui?
-Ce que j'ai ? dit Rolla, tu ne sais pas, ma belle,
Que je suis ruiné depuis hier au soir?
C'est pour te dire adieu que je venais te voir.
Tout le monde le sait, il faut que je me tue.
-Vous avez donc joué?-Non, je suis ruiné.
-Ruiné ?» dit Marie. Et, comme une statue,
Elle fixait à terre un grand œil étonné.
«Ruiné? ruiné ? vous n'avez pas de mère ?
Pas d'amis ? de parents ? personne sur la terre ?
Vous voulez vous tuer? pourquoi vous tuez-vous?»
Elle se retourna sur le bord de sa couche !
Jamais son doux regard n'avait été si doux.
Deux ou trois questions flottèrent sur sa bouche;
- Mais, n'osant pas les faire, elle s'en vint poser
Sa tête sur la sienne et lui prit un baiser.
Je voudrais pourtant bien te faire une demande,
Murmura-t-elle enfin: moi je n'ai pas d'argent,
Et, sitôt que j'en ai, ma mère me le prend.
Mais j'ai mon collier d'or, veux-tu que je le vende?
Tu prendras ce qu'il vaut, et tu l'iras jouer.
Rolla lui répondit par un léger sourire.
Il prit un flacon noir qu'il vida sans rien dire;
Puis, se penchant sur elle, il baisa son collier.
Quand elle souleva sa tête appesantie,
Ce n'était déjà plus qu'un être inanimé.
Dans ce chaste baiser son âme était partie,
Et, pendant un moment, tous deux avaient aimé.
Alfred de Musset, Rolla V
http://www.poeme-amour.org/de-musset/13_39_1400.html
Tout le quatrième chant de Rolla cherche à culpabiliser Voltaire et le rendre responsable de la crise morale et du déclin spirituel de son siècle : «Dors-tu content, Voltaire, et ton hideux sourire voltige-t-il toujours sur tes os décharnés?» (Rolla IV)
Et : «Voilà pourtant ton oeuvre, Arouet, voilà l'homme Tel que tu l'as voulu...»
Vois-tu, vieil Arouet? cet homme plein de vie,
Qui de baisers ardents couvre ce sein si beau,
Sera couché demain dans un étroit tombeau.
Jetterais-tu sur lui quelques regards d'envie?
Sois tranquille, il t'a lu. Rien ne peut lui donner
Ni consolation ni lueur d'espérance.
Si l'incrédulité devient une science,
On parlera de Jacques, et, sans la profaner,
Dans ta tombe, ce soir, tu pourrais l'emmener.
(Rolla IV, op.cit.)
Le «C'est la faute à Voltaire», que Gavroche lance à la figure de Gillenormand, le bourgeois voltairien, dans sa chanson des Misérables, n'a rien de la cruauté de la charge de Musset contre Voltaire. Victor Hugo est celui qui réhabilite Voltaire pleinement dans son discours pour le centenaire de la naissance de Voltaire en 1878. (Véronique DuLys, «Voltaire [1694-1778]. Un génie français?» dans Cinq siècles de pensée française. Ouvrage coordonné par Nicolas Journet, Éditions Sciences Humaines, «La Petite Bibliothèque de Sciences Humaines», 2010, p. 29-35)