L'Encyclopédie sur la mort


Lettres à Madame la marquise du Deffand (Extraits)

Voltaire

Dans sa correspondance avec Marie de Vichy-Champrond, marquise du Deffand (1697-1780), Voltaire a su trouver des accents sincères et émouvants pour exprimer son être profond. La marquise devint aveugle en 1754 et vécut dès lors retirée au couvent St-Joseph, rue Saint-Dominique. (Lettres choisies, «Notes», p. 590) Voltaire lui écrit : «Je vous regarderai comme la personne de mon siècle qui est le plus selon mon coeur et selon mon goût, supposé que j'aie encore goût et coeur. Je vous demanderai vos bontés comme la première de mes consolations et je dirai :«C'est auprès d'elle que j'aurais voulu passer ma vie.» (Lettre du 26 novembre 1775, op. cit., p. 526) Dans plusieurs de ses lettres à la marquise, Voltaire s'entretient sur la mort.
La vie n'est pas grand chose
Voltaire semble suivre la pensée d'Épicure* selon laquelle la mort ne doit pas nous affecter, car elle échappe à notre expérience. Du point de vue existentiel, la mort est un non-événement. Ce qui nous affecte, c'est le point de vue social : le verdict de mort qui est prononcé sur nous. Voltaire ne considère la mort que comme fin de la vie et non pas comme réalité au coeur de la vie.«Supportons la vie qui n'est pas grand chose et méprisons la mort qui n'est rien du tout. Ce n'est pas l'idée qu'on ne se réveillera pas qui fait peine, c'est l'appareil qui est horrible, c'est la cruauté que l'on a de nous avertir que tout est fini. À quoi bon prononcer notre sentence. Elle s'exécutera bien sans que le prêtre et le notaire s'en mêlent...» (Voltaire, cité par Jean Lacouture dans Julie de l'Espinasse, Paris, Ramsay, 1980, p, 80)

Je viens de voir mourir une amie de vingt ans
Désolé d'avoir pris à la légère le singulier accouchement de Mme du Châtelet, maîtresse de Saint-Lambert «qui étant cette nuit à son secrétaire avait dit: Mais je sens quelque chose! Ce quelque chose était une petite fille venue au monde sur-le-champ» (Lettre de Voltaire à l'abbé Voisenon dans Lettres choisies, notes, p. 590), Voltaire s'excuse auprès de Mme du Deffand:
«Je viens de voir mourir, madame, une amie de vingt ans, qui vous aimait véritablement, et qui me parlait, deux jours avant cette mort funeste, du plaisir qu'elle aurait de vous voir à Paris à son premier voyage. [...] Mme du Châtelet m'avait recommandé de vous écrire, et j'avais cru remplir mon devoir en écrivant à M. le président Hénault. Cette malheureuse petite fille dont elle était accouchée, et qui a causé sa mort, ne m'intéressait pas assez. Hélas! madame, nous avions tourné cet événement en plaisanterie; et c'est sur ce malheureux ton que j'avais écrit par son ordre à ses amis. Si quelque chose pouvait augmenter l'état horrible où je suis, ce serait d'avoir pris avec gaieté une aventure dont la suite empoisonne le reste de ma vie misérable.» (Lettre du 10 septembre 1749, op. cit., p. 157)

La vie est un enfant
«Je joue avec la vie, madame; elle n'est bonne qu'à cela. [...] Je vous écris rarement, parce que je n'aurais jamais quelque chose à vous demander; et quand je vous aurai bien répété que la vie est un enfant qu'il faut bercer jusqu'à ce qu'il s'endorme, j'aurai dit tout ce que je sais.» (Lettre du 22 juillet 1761, op. cit., p. 320-321)

Du courage dans l'esprit
Voltaire apprend le décès de M. Argenson, frère du marquis: «Si cette nouvelle est vraie, je m'en afflige avec vous. Nous sommes tous comme des prisonniers condamnés à mort, qui s'amusent un moment sur le préau jusqu'à ce qu'on vienne les chercher pour les expédier. Cette idée est plus vraie que consolante. La première leçon que je crois qu'il faut donner aux hommes, c'est de leur inspirer du courage dans l'esprit; et puisque nous sommes nés pour souffrir et mourir, il faut se familiariser avec cette dure destinée. [...] les derniers moments sont accompagnées, dans une partie de l'Europe, de circonstances si dégoûtantes et si ridicules qu'il est fort difficile de savoir ce que pensent les mourants. [...] Il faut avouer que les anciens, nos maîtres en tout, avaient sur nous un grand avantage; ils ne troublaient point la vie et la mort par des assujettissements qui rendent l'une et l'autre funestes. On vivait du temps des Scipion et des César, on pensait, et on mourait comme on voulait; mais pour nous autres, on nous traite comme des marionnettes.» (Lettre du 31 août 1764, op. cit., p. 362-363)

Le bourdonnement d'une abeille
Voltaire connut un homme. Or, cet homme, c'était lui-même (op. cit., p. 659) «qui était fermement persuadé qu'après la mort d'une abeille son bourdonnement ne subsistait plus. Il croyait avec Épicure et Lucrèce*que rien n'était plus ridicule que de supposer un être inétendu, gouvernant un être étendu, et le gouvernant très mal. Il ajoutait qu'il était très impertinent de joindre le mortel à l'immortel. [...] Il nous comparait à un instrument de musique, qui ne rend plus de son quand il est brisé. Il prétendait qu'il est de la dernière évidence que l'homme est, comme tous les autres animaux* et tous les végétaux, et peut-être comme toutes les autres choses de l'univers, fait pour être et pour n'être plus.» (Lettre du 10 avril 1772, op. cit., p. 483)

L'abîme du néant
Suite à une chute, Voltaire fait valoir son ignorance devant la mort qu'il estime proche, Il la perçoit comme l'entrée dans le néant. Or, de rien on ne peut rien connaître: «M. d'Argental s'obstine à me croire tombé dans une apoplexie pour avoir été gourmand [...]. Voulez-vous, madame, que je vous parle vrai ? mon département est l'abîme du néant éternel, où je vais bientôt entrer. Je lis tous les ouvrages philosophiques de Cicéron* sur ce sujet plus usé qu'aisé, et je ne vous conseille pas de les lire: car, quoique ce grand homme soit très éloquent, il ne nous apprend rien du tout. L'abbé de Chaulieu avait précisément mon âge quand il est mort, et il n'en a pas appris davantage.» (Lettre du 26 novembre 1775, op. cit., p. 524-526)



Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

Documents associés

  • Samson (Extrait)
  • SAMSON. Arrêtez; je dois vous instruire Des secrets de mon peuple, et du Dieu que je sers: Ce...